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Le blog d'Ariane Beth - Page 252

  • Bonne volonté

    « Je ne mérite pas de m'affliger car je n'ai jamais affligé volontairement personne. » (Marc-Aurèle. Pensées pour moi-même VIII, 42)

     

    J'ai déjà noté que ces pensées sont souvent trace du débat de Marc-Aurèle avec son surmoi, débat fréquent, pour ne pas dire permanent.

    Le surmoi Janus, double face, le surmoi pharmakon, agent double. Agent à la fois de l'utile et bienfaisante conscience morale, et de la débilitante angoisse de culpabilité.

    Je ne mérite pas de m'affliger signe ainsi le quitus de la conscience morale : "c'est bon tu as fait au mieux, ne te reproche rien".

    Mais on y décèle tout autant une angoisse : n'avoir affligé personne, est-il sûr que cela nous garantisse que personne ne voudra nous affliger ?

     

    Bon, Marco le sait autant que nous, rien n'est moins sûr. Autrement dit la justice immanente & rétributive, c'est grosse blague.

    Après on peut toujours choisir de la supposer, la justice, se la figurer, de façon à avancer dans la vie sans (trop de) peur ni de reproche. "Tous les moyens sont bons pour ne pas se sentir trop mal ni être trop mauvais" : voilà décidément la maxime éthique de base.

     

    Et puis il y a ce volontairement qui ne peut manquer d'accrocher le lecteur. Au-delà de l'objectivité du « on sait jamais », comment ne pas y entendre un aveu … involontaire ?

    Mais rassure-toi Marco, loin de moi la pensée de te jeter la pierre. Au contraire. Affliger, si c'est des cons ou des salauds, je dis : vas-y, fonce. Si ça leur fait pas le mal qui leur ferait du bien, tant pis. Mais au moins toi tu te seras un peu lâché, c'est pas si souvent.

     

  • Un langage sain

    « Parle au sénat (comme à quiconque) avec décence et clarté. Utilise un langage sain. »

    (Marc-Aurèle. Pensées pour moi-même VIII, 30)

     

    Bien trouvé ce concept de santé du langage. On ne dira jamais assez combien il faut préserver la parole des contaminations qui la désagrègent, la corrompent, l'invalident.

    Marc-Aurèle donne les deux critères essentiels de cette santé.

    Qu'entendre par décence ? D'abord le sens premier, ce qui convient.

    Un langage décent est un langage adapté à la situation. De cette adaptation dépend son utilité, sa force, son effectivité. Le langage décent ne parle pas pour ne rien dire, sait adresser son message en fonction de son but.

    Et puis il y a le sens moral. De la simple politesse à un tact plus raffiné, le langage décent marquera le respect de l'interlocuteur, sa prise en compte, et si besoin sera le moyen de l'empathie. Sans être pour autant beau-parleur, choisir avec élégance les mots qui pourront faire du bien.

    À l'opposé du langage indécent qui aime choquer, provoquer, humilier, le langage décent serait de bon diseur à bon entendeur salut.

     

    Il y a cependant un inconvénient possible à la décence du langage, c'est le politiquement correct.

    Véhicule d'affadissement et de conformisme.

    (Mais il existe aussi en certains lieux, réels ou virtuels, un conformisme de l'indécence, un politiquement incorrect).

     

    La clarté est sans doute la plus nécessaire qualité du langage. Elle remédie au flou, embrouilles et zones d'ombres de la communication.

    Elle est le vecteur indispensable d'une réelle information. Et par là un outil fondamental des prises de décision politique.

    C'est pourquoi Marc-Aurèle, qui veut être un bon gouvernant, s'exhorte à en faire preuve dans ses rapports avec le sénat.

    Mais c'est valable pour tout le monde. Pour nous aujourd'hui citoyens de base, faciles vecteurs des virus rumeur et désinformation. Et pour les médias, et tous ceux dont la parole est de quelque crédit et de quelque poids par leur position sociale.

     

    C'est que la santé du langage détermine celle du corps social dans son ensemble, de sa qualité dépend celle de la raison politique (cf Raison d'état).

    Nous sommes hommes et nous ne tenons les uns aux autres que par la parole. (Montaigne Essais I,9 Des menteurs)

     

  • Vol libre

    « Il n'existe pas de voleur de la liberté de choix. C'est d'Épictète. »

    (Marc-Aurèle. Pensées pour moi-même XI,36)

     

    Marc-Aurèle livre la citation (et plusieurs autres) sans commentaires (prise de notes en attendant de trouver le temps d'y réfléchir entre deux campagnes sarmaticides*?)

    Difficile en tous cas de savoir s'il adhère ou si une telle affirmation le laisse sceptique. Le deuxième, non ? M'étonnerait qu'en son temps romanticain on reculât devant ce genre de vol. Ni en aucun temps en fait.

     

    D'ailleurs sans me vanter ce dont notre époque peut se glorifier, c'est qu'elle s'en est fait carrément une spécialité : le vol de liberté de choix est vraiment sa marque de fabrique, son moteur, sa raison d'être. Moyennant bien sûr un vol de vérité.

    « Notre vérité de maintenant, ce n'est pas ce qui est, mais ce qui se persuade à autrui : comme nous appelons monnaie non celle qui est loyale seulement, mais la fausse aussi qui a mise. »

    (Montaigne Essais II,18 Du démentir)

     

    Vol de vérité/liberté où excellent par exemple la publicité (lessive, camembert, association humanitaire, collectivité territoriale, président de la république – aucune différence), ou les fake news algorithmées.

     

    Corrélativement, logiquement, notre époque ne trouve vraiment honorables, selon sa valeur directrice le commerce (son signifiant-maître, dirait Lacan) que les meilleurs voleurs de liberté sur la place du marché.

     

    « La place du marché est pleine de bouffons solennels – et la foule se glorifie de ses grands hommes ! Ils sont pour elle, les maîtres du moment. »

    Nietzsche Ainsi parlait Zarathoustra (Les mouches du marché)

    Bouffons solennels : bien dit, non ? Et sans connaître Trump et tutti quanti. On ne dira jamais assez le génie visionnaire de Nietzsche.

     

    *cf 26 juin Utile