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Le blog d'Ariane Beth - Page 27

  • Sur le rêve (11) Les fils se croisent et s'entretissent

    « Le travail de condensation explique aussi (…) des personnes complexes et mixtes, et des formations mixtes étranges (…)

    Leurs modes de fabrication sont variés et multiples. Je peux composer une personne en lui conférant des traits de l'une et de l'autre, ou en lui donnant l'apparence extérieure de l'une tout en pensant dans le rêve le nom de l'autre, ou je peux me représenter visuellement l'une des personnes, mais la placer dans une situation qui s'est produite avec l'autre. »

    (Sigmund Freud Sur le rêve chap 4)

     

    En outre « Ces compositions oniriques sont toujours formées à neuf avec une richesse inépuisable. »

    Le travail d'analyse du rêve est ainsi une sorte de rallye-découverte. Et si les lieux où il nous emmène ne sont pas tous remarquables ni agréables, la promenade, elle, reste amusante.

    Ajoutons qu'elle comporte d'incessants allers-retours :

    « Tout élément du contenu du rêve est surdéterminé par le matériau des pensées du rêve, fait remonter son origine non pas à un seul élément particulier des pensées du rêve, mais à toute une série de celles-ci. L'élément onirique est au sens strict le représentant délégué dans le contenu onirique pour tout ce matériau disparate. (…)

    De la même façon (…) une pensée du rêve, en règle générale, délègue son représentant dans plus d'un élément onirique.(...) Les fils associatifs chemin faisant se croisent et s'entretissent à de multiples reprises. »

    Bon on voit maintenant comment ça marche, la condensation. Mais il reste une question :

    « La condensation est le trait caractéristique le plus important et le plus spécifique du travail onirique. Mais pour ce qui est du motif qui requerrait une pareille contraction du contenu, rien ne nous a d'abord été dévoilé. »

    Un coup de teasing de Papa Freud : genre « chers lecteurs ne manquez pas la lecture des chapitres suivants qui s'annonce passionnante ! »

     

  • Sur le rêve (10) Le chat de Schrödinger

    « Quand ces éléments communs existant entre les pensées du rêve n'existent pas déjà, le travail onirique s'efforce d'en créer, afin de rendre possible la figuration commune dans le rêve. »

    (Sigmund Freud Sur le rêve chap 4)

     

    Quand ces éléments communs existant n'existent pas : curieuse formulation, non ? Quatre explications possibles à cette contradiction frôlant le non sens.

    1)Une désinvolture délibérée envers la logique classique pour laquelle ne peuvent être simultanément vraies deux propositions contraires.

    2)Une intuition de la fameuse expérience de pensée dite du chat de Schrödinger.

    3)Une désinvolture cynique avec la réalité factuelle du fait de la roublardise de Sigmund.

    4)Un défaut de formulation nuisant à la clarté du texte.

    Considérer comme vraie chacune de deux propositions contradictoires, ou maintenir l'indécidable entre elles (options 1 et 2), c'est la routine dans le mode inconscient. Freud le nomme mode primaire de penser, le rapprochant de la pensée enfantine ou magique. Mais il n'en rend jamais compte que dans un discours logique et argumenté : il n'était pas du genre à se livrer à l'écriture automatique façon surréaliste.*

    L'option 3 aura la faveur des détracteurs de Freud. Mais je gage qu'il était trop soucieux de faire reconnaître le sérieux de ses théories, et d'abord de s'en assurer lui-même, pour se satisfaire d'une victoire au bluff. Il faut l'excuser, il ne connaissait pas notre monde merveilleux friand de mensonge et de bêtise, où la falsification fonctionne tellement mieux que la vérification pour asseoir la crédibilité.

    Mais l'option 4 est plus probable. Pour limiter les dégâts de la mauvaise réception de sa Traumdeutung (cf 1), Freud écrit en vitesse, se débarrasse de ce qu'il voit comme un pensum. D'où des formules approximatives (mais qui finissent toujours par se préciser).

     

    Reprenons donc « … le travail onirique s'efforce d'en créer, afin de rendre possible la figuration commune dans le rêve. La voie la plus commode pour rapprocher deux pensées du rêve qui n'ont encore rien de commun consiste à modifier la formulation verbale de l'une, cependant que l'autre viendra peut être encore s'opposer à elle en se coulant de manière adéquate dans une autre expression. »

    Freud rapproche cela de « la composition de vers rimés, où l'homophonie tient lieu de l'élément commun recherché. Une bonne part du travail du rêve consiste à créer ce genre de pensées intermédiaires ».

    Le rapprochement entre travail poétique sur les mots et travail inconscient sur les pensées est un des outils les plus féconds de la pensée freudienne. Il sera fondamental dans son analyse du mot d'esprit (Witz), et constitue un des paramètres fiables pour l'interprétation dans la pratique clinique.

    En psychanalyse freudienne (contrairement au coaching ou autre forme plus ou moins soft de « direction de conscience »), celle-ci n'est ni assertion ni ordre ni conseil. Elle consiste à trouver de(s) mot(s) (attitudes, réactions) pour attirer l'attention de l'analysant sur ce qu'on perçoit dans son discours comme possible indicateur de ses enjeux inconscients. À lui d'y entendre ce qu'il peut ou veut, et d'en faire comme il l'entend.

     

    Bon ben avec tout ça, désolée, j'ai encore pas fini ce chap 4 cette fois-ci, mais ce sera pour la prochaine fois sans faute.

     

    *Ce qu'en un sens on peut considérer comme méfiance envers la validité du message inconscient, et donc comme inconséquence théorique. Lacan, lui, au fil de ses séminaires, assumera de plus en plus de (ou se laissera aller à) parler en associations libres, comme l'analysant sur le divan. Plus grande confiance envers la pertinence de la pensée inconsciente, ou paresse roublarde à mettre en forme ses intuitions ? Je laisse le lecteur décider (à supposer que la psyché de Lacan soit un objet plus décidable que l'état du chat de Schrödinger).

     

  • Sur le rêve (9) Une grandiose opération de condensation

    Freud revient sur l'analyse de son rêve de la table d'hôte (cf 4).

    « Il apparaît dans cette analyse que ma femme s'occupe d'autres personnes à cette table, ce que je ressens comme désagréable ; de cela le rêve contient l'exact contraire, savoir, que la personne qui remplace ma femme tourne toute son attention vers moi. Mais à quel désir un épisode vécu désagréable peut-il mieux donner lieu qu'à celui que ce soit le contraire de cet épisode qui se soit produit, comme le rêve en contient l'accomplissement ? (…)

    Une partie des antagonismes entre contenu onirique manifeste et contenu latent devrait donc pouvoir être ramené à une satisfaction de désir. »

    (Sigmund Freud Sur le rêve chap 4)

     

    Mais le travail du rêve ne porte pas seulement sur ce bidouillage, ce bricolage, qui grime le désagréable en agréable.

    « Il y a une autre prestation – plus évidente encore – du travail onirique, qui fait naître les rêves incohérents. Quand on compare, dans n'importe quel exemple, le nombre d'éléments imaginaires ou l'ampleur de la consignation écrite dans le cas du rêve proprement dit et dans les pensées du rêve auxquelles l'analyse aboutit (…) on ne peut douter que le travail onirique a réalisé une grandiose opération de compression ou condensation»

    C'est pourquoi un rêve noté en peu de mots, raconté en quelques minutes, peut nécessiter une dizaine de pages (ou d'heures de divan) pour son interprétation.

    « On ne peut dans un premier temps juger des dimensions de cette condensation. Mais elle impressionne d'autant plus qu'on a pénétré profondément dans l'analyse du rêve. On ne trouve là aucun élément du contenu onirique dont les fils associatifs ne partiraient pas dans deux ou plusieurs directions, aucune situation qui ne serait l'aboutement de deux ou plusieurs impressions et épisodes vécus. »

    Cependant tout n'est pas apte à la condensation, elle obéit à certains critères.

    « Il est donc requis qu'il existe déjà dans tous les composants un – ou plusieurs – élément commun. Le travail du rêve procède donc comme Francis Galton* quand il réalise des photos familiales. Il recouvre les différents composants les uns par les autres comme s'il les superposait ; après quoi l'élément commun ressort nettement dans l'image globale, les détails qui se contredisent s'effacent à peu près entièrement les uns les autres. Ce processus de fabrication explique aussi en partie les définitions hésitantes (…) d'un flou caractéristique. (…)

    L'interprétation du rêve énonce alors la règle suivante : (…) on remplacera cet ou bien ou bien par un « et », et on prendra chaque membre de l'alternative apparente comme point de départ indépendant d'une série d'idées spontanées. »

    Cette exploration pas à pas du labyrinthe onirique en suivant les différents fils associatifs fait parfois de l'analyse d'un rêve une longue randonnée, agréable ou pas, selon les paysages intérieurs qui s'y révèlent …

    Mais tout n'est pas dit encore sur le travail de condensation, on en saura un peu plus la prochaine fois.

     

    *Francis Galton (1822-1911) photographiait sur une même plaque plusieurs membres d'une même famille pour faire ressortir leurs traits communs. En fait son propos était eugéniste : différencier les « bons » traits des « mauvais ». Théorie absurde en fait, et surtout dangereuse, dont on sait l'usage qui fut fait dans la suite.