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Le blog d'Ariane Beth - Page 25

  • Sur le rêve (17) Une sorte de façade

    Freud aborde ensuite ce qu'il appelle l'élaboration secondaire.

    « Sa prestation consiste à mettre en ordre les différents composants du rêve de telle sorte qu'ils s'aboutent à peu près en un ensemble cohérent. Le rêve reçoit ainsi une sorte de façade qui certes ne recouvre pas son contenu dans toutes ses localisations. »

    (Sigmund Freud Sur le rêve chap 7)

     

    Cette mise en ordre est, à l'intérieur-même du rêve, une tentative du rêveur de se donner « une première interprétation provisoire ». Une interprétation bâclée « en faisant, comme on dit, de tous les cinq un nombre pair, (qui) ne délivre d'ailleurs rien d'autre qu'une éclatante incompréhension des pensées du rêve ».

    Mais Freud (on le reconnaît bien là) ne se laisse pas abuser par cette grossière exhibition de cohérence qui revient à dire : circulez, il n'y a (plus) rien à interpréter.

    « Quand nous nous attaquons à l'analyse du rêve il faut d'abord nous affranchir de cette tentative d'interprétation. »

    Mais qu'est-ce qui peut motiver le rêveur à livrer ainsi un pack « rêve + interprétation » ? Surtout une interprétation que sa cohérence rend forcément terne. On la dirait faite exprès pour décourager la vis analytica : « bof si c'est pas plus marrant ou croustillant, à quoi bon tenter de se souvenir de ses rêves pour les interpréter ? »

    « Mais l'on s'égarerait si l'on ne voulait rien voir d'autre dans ces façades oniriques que (le travail réalisé) par l'instance consciente de notre vie psychique. Pour la construction de la façade du rêve il n'est pas rare que soient utilisées des représentations imaginaires de choses désirées qui se trouvent déjà formées à l'avance dans les pensées du rêve et qui sont de la même espèce que celles que nous connaissons de la vie à l'état de veille et qu'on appelle à juste titre ''rêves diurnes''. »

    Je souligne au passage l'insistance sur cet apparent oxymore rêves diurnes. Elle se rapporte à l'enjeu fondamental de la théorisation freudienne : montrer la porosité dans le psychisme entre vie rêvée et vie éveillée, et de même entre normal et pathologique. Toute façade, tout mur élevé pour maintenir un apartheid entre les deux séries de domaines ne pourra que s'écrouler dans le travail d'analyse.

    Quant aux rêves à proprement parler, rêves nocturnes, « (Leurs) productions imaginaires (…) s'avèrent souvent n'être que répétitions et réélaborations de scènes de l'enfance ; la façade onirique nous montre ainsi immédiatement, dans bien des rêves, le noyau proprement dit du rêve tel qu'il a été défiguré par le mélange avec un matériau différent. »

    Bref « le travail du rêve n'est pas créateur, il ne développe aucune production imaginaire qui lui soit propre » et se contente de « condenser (cf 9,10,11), déplacer (cf 12) et réélaborer le matériau dans la perspective de la visibilité (cf 13,14,15) à quoi vient encore s'ajouter l'ultime et infime variable d'un travail d'interprétation » qui rapetasse tout ça pour construire la façade du rêve.

    Cette construction, insiste Freud, est en fait une re-construction (cf 15 re-production) : une façade en trompe l'œil, « (copiant) le plus fidèlement du monde la littéralité (des propos utilisés par les pensées du rêve), tout en laissant à l'écart ce qui en a été l'occasion et en changeant leur sens de la façon la plus violente qui soit. »

    Et il termine le chapitre 7 par des exemples pour « soutenir ces dernières affirmations. »

    Je ne les reprends pas car ils valent par le détail de l'analyse, dont l'exposé rallongerait trop cette série déjà longue (mais c'est l'occasion, lecteur, d'aller voir le texte de Freud).

     

  • Sur le rêve (16) Rien moins que Goethe

    « Quand le rêve apparaît tangiblement absurde, quand il comprend dans son contenu une absurdité manifeste, c'est intentionnellement qu'il en est ainsi, et par son apparente négligence à l'égard de toutes les requêtes de la logique il exprime (…) contradiction, raillerie et mépris dans les pensées du rêve. »

    (Sigmund Freud Sur le rêve chap 6)

     

    Notre expérience de rêveurs nous fait noter toutefois que le repérage du côté intentionnel d'une absurdité n'est pas si simple. Freud voit le problème. « Et comme cette explication fournit l'objection la plus forte contre la conception qui fait surgir le rêve d'une activité spirituelle dissociée et dépourvue de critique, j'y insisterai par le moyen d'un exemple. »

    Suivent le récit et l'analyse d'un autre de ses rêves dont le sujet est le suivant :

    « Une de mes connaissances, Monsieur M., a été attaqué par rien de moins que Goethe dans un article, avec une violence qui, à notre avis unanime, est injustifiée. »

    « J'essaie de m'expliquer les rapports chronologiques, qui me paraissent quelque peu invraisemblables. » Le rêveur calcule : d'après la date de mort de Goethe (1832) et celle de naissance de l'ami, on aurait un vieux Goethe, archi célèbre et reconnu, déployant une violence critique parce qu'il se sent menacé par un jeune homme de 18 ans au maximum.

    En plus « je ne sais pas avec certitude en quelle année nous sommes présentement et tout le calcul s'enfonce dans l'obscurité. »

    Double invraisemblance, double incertitude, chronologique et psychologique. D'autant que « ce Monsieur M. est un jeune commerçant bien éloigné de toute espèce d'intérêt pour la poésie et la littérature. »

    L'« absurdité criante » de ce rêve ne peut qu'inciter à une analyse circonstanciée de ses éléments. Elle aboutit à ces remarques :

    « Je voudrais dire et redire ici qu'aucun rêve ne procède de mises en mouvement autres qu'égoïstes. Le sujet qui dit Je dans le rêve n'y est pas uniquement à la place de mon ami, mais aussi à ma propre place. Je m'identifie à lui parce que le destin de sa découverte* me paraît exemplaire de l'accueil fait à mes propres découvertes. »

    Freud note que son inconscient se comporte comme des étudiants effrontés et frondeurs. Dans le rêve « mon ami se vante d'avoir déclenché un gros chahut destiné à l'élimination d'un vieux professeur (…) devenu incapable d'enseigner du fait d'une débilité sénile ».

    Freud rappelle souvent que sa théorie de la psyché (en particulier à propos de son volet sexuel) a fait du bruit, déclenché un gros chahut dans le monde universitaire et même l'opinion publique. Rappelle … ou s'en vante un peu exagérément ?

    « Les pensées du rêve disent ironiquement : 'Naturellement qu'il est fou, que c'est un bouffon, et vous, vous êtes des génies plus malins. Mais est-ce que ça ne devrait pas être l'inverse ?' - Or, cette inversion est généreusement représentée dans le rêve, dès lors que c'est Goethe qui a agressé le jeune homme, ce qui est absurde, alors qu'un tout jeune homme pourrait sans problème aujourd'hui encore agresser le grand Goethe. »

    Ainsi dans le rêve Freud, rattrapé par sa lucidité, raille (gentiment) sa pente mégalomane : convoquer la figure du grand Goethe pour ratifier l'importance géniale de tes théories, c'est un peu too much, non, Sigmund ?

     

    *L'ami en question, dans le rêve sous l'identité de Monsieur M. jeune commerçant, est Wilhem Fliess, qui produisit des théories assez étranges cf le titre de l'ouvrage critiqué (censément par Goethe donc) Les relations entre le nez et les organes génitaux féminins, présentées selon leurs significations biologiques.

    Néanmoins (si j'ose dire) Fliess, tout perché qu'il fût, sera pour Freud un interlocuteur stimulant dans ses recherches, on le voit dans leur correspondance, publiée sous le titre La naissance de la psychanalyse.

     

  • Sur le rêve (15) La reproduction du rêve

    « Le rêve n'exprime jamais l'alternative 'ou bien ou bien', mais prend chacun de ses deux membres comme aussi légitimes l'un que l'autre au sein de la même corrélation. J'ai déjà signalé qu'un 'ou bien ou bien' utilisé dans la reproduction du rêve par le rêveur devait être traduit par 'et'. »

    (Sigmund Freud Sur le rêve chap 6)

     

    La reproduction du rêve par le rêveur : il s'agit du récit que fait le rêveur de son rêve. Mais le terme de reproduction dit bien que l'accès au rêve n'est pas immédiat, étant filtré par au moins deux choses : le souvenir qu'en retrouve le rêveur, et les mots qui lui viennent pour le raconter.

    « Les représentations qui ont entre elles un rapport d'opposition, sont exprimées de préférence dans le rêve par le même élément. »

    Il y a dans la Traumdeutung (chap 6 partie 4) un exemple : une dame associe sur une même branche lys blancs et camélias rouges. L'analyse montrera que ce rêve est lié à la peur d'être enceinte (lys des tableaux d'Annonciation, camélia rouge par lequel l'héroïne de Dumas signale qu'elle a ses règles).

    À défaut d'exemple (il y en a peu dans ce livre, par souci de faire court, ce qui le rend trop abstrait par moments) Freud met ici une note :

    « Il est tout à fait intéressant que des linguistes de renom affirment que les plus anciennes langues de l'humanité auraient exprimé des oppositions contradictoires sur un plan tout à fait général par le même mot (fort-faible, dedans-dehors etc.) Voir 'Sur le sens opposé des mots originaires' ».

    Il reprendra ce titre d'un article de 1884 de Karl Abel, et à plusieurs reprises examinera ce paramètre linguistique sous divers angles, mythologie, religion, psychologie.

    « Il semble que le 'ne pas' n'existe pas pour le rêve. L'opposition entre deux pensées, la relation d'inversion, trouve dans le rêve une figuration hautement remarquable. Elle est exprimée par le fait qu'un autre élément du contenu onirique, et ce comme après coup, est inversé en son contraire. »

    Une inversion qui joue donc sur les deux plans logique et chronologique. Tout se passe comme si l'instance psychique en charge de la production du rêve s'escrimait à brouiller les pistes, à l'instar d'un criminel semant de faux indices pour dérouter l'enquêteur.

    C'est de fait avec le principal présupposé d'un enquêteur que Freud aborde l'interprétation : le doute sur la parole des témoins (potentiellement suspects). Et il use des mêmes ficelles, en particulier faire répéter le récit des faits, à l'affût d'une contradiction, ou inversement d'une répétition trop fidèle pour être honnête.

    « Nous découvrirons plus loin une autre façon d'exprimer une contradiction. De même, dans le rêve, la sensation si fréquente d'une inhibition de mouvement sert à figurer une contradiction entre différentes impulsions, un conflit au niveau de la volonté. »

    La sensation sert à figurer : une petite notation qui permet de ne pas oublier le lien entre psyché et soma. (Voir la partie 3 du chap 1 de la TD sur les stimuli et les sources du rêve)

    « Parmi les relations logiques il n'en est qu'une seule, celle de la similitude, du caractère commun, de la concordance, qui bénéficie largement du mécanisme de la formation onirique. Le travail du rêve se sert de ces cas comme de points d'appui pour la condensation onirique en contractant tout ce qui montre cette concordance en une nouvelle unité. »

    C'est que la similitude est en fait en grande partie le déclencheur du rêve. Similitude avec un élément important pour la vie psychique (image, mot, situation) mais élément dormant pour ainsi dire, qu'en tant que futur rêveur on enregistre automatiquement à partir de la vie éveillée, dans l'intuition qu'on pourra le réactualiser au service des pensées du rêve.