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Le blog d'Ariane Beth - Page 26

  • Sur le rêve (14) Son propre système de combinaison

    « Les liens logiques qui jusqu'à présent avaient tenu ensemble le matériau psychique sont perdus dans cette métamorphose en contenu onirique. Le travail du rêve ne reprend en quelque sorte pour son travail d'élaboration que le contenu objectif des pensées du rêve. C'est au travail d'analyse que revient le soin de produire la connexion interne que le travail du rêve a anéantie. »

    (Sigmund Freud Sur le rêve chap 6)

     

    Le contenu objectif des pensées : encore une formule paradoxale. Notre imprégnation cartésienne nous fait percevoir la pensée comme consubstantielle à une subjectivité.

    Mais le rêve travaille autrement, posant les objets pensés en un « c'est là », qui semble au premier abord une sorte d'inventaire à la Prévert.

     

    La pensée rêvante (le travail du rêve) a pourtant relié ces objets, mais c'est autrement que selon la logique de la pensée vigile. Le rêve utilise « des caractères formels de son propre système de combinaison ».

    « En premier lieu (…) en réunissant ce matériau au sein d'une situation. Il restitue du lien logique en rapprochant dans le temps et dans l'espace, à la façon du peintre qui réunit tous les écrivains dans le tableau du Parnasse, alors qu'ils n'ont jamais été ensemble sur un quelconque sommet, mais constituent bel et bien, sur le plan conceptuel, une communauté. »

    Le rêve présente ainsi un tableau comme pour dire : regardez bien, toutes ces choses ont un rapport entre elles.

    Ce rapprochement peut jouer aussi sur la formation d'une séquence d'un ensemble de rêves : « Il faut noter ici, au demeurant, que tous les rêves produits au cours d'une même nuit permettent, à l'analyse, d'identifier leur origine dans la même sphère de pensées. »

    Les rêves d'une même nuit : ajoutons et parfois de plusieurs nuits consécutives.

     

    Deuxième caractère dans le système onirique de combinaison :

    « La relation causale entre deux pensées est soit laissée sans figuration, soit remplacée par la successivité de deux éléments oniriques de longueur différente. Il arrive fréquemment que cette figuration soit une relation inversée, le début du rêve exhibant la conséquence, sa conclusion le présupposé. La métamorphose directe d'une chose en une autre dans le rêve semble figurer la relation de cause à effet. »

    Une description du phénomène qui n'explicite pas certains points : pourquoi, comment, le rêve opte-t-il pour la non-figuration de la causalité ? Dans quels cas plutôt la successivité et dans quels autres plutôt la métamorphose ?

    C'est que le moment de la formation du rêve est en fait très bref (comme le rêve lui-même d'ailleurs) : le rêveur est ainsi dans une situation d'urgence relative.

    Comme quelqu'un qui fait ses courses juste avant la fermeture du magasin, il passe vite fait dans chaque rayon où il va trouver les produits de sa liste (de pensées-à-rêver), et remplit son chariot un peu au pif : bon, même si c'est pas le paquet de lessive de tel parfum telle composition telle contenance, tant pis c'est toujours de la lessive, ça fera l'affaire.

    Freud mentionne encore d'autres modalités de la mise en scène onirique, que nous verrons la prochaine fois.

     

     

  • Sur le rêve (13) Un langage poétique imagé

    « Si c'est principalement au travail du déplacement qu'il faut imputer le fait qu'on ne retrouve pas ou qu'on ne reconnaisse pas les pensées du rêve (le latent donc) dans le contenu du rêve (l'apparent) (…), il est une autre sorte, plus douce, de transformation entreprise avec les pensées du rêve, qui nous amène à découvrir un type de prestation du travail onirique certes nouveau, mais facile à comprendre. »

    (Sigmund Freud Sur le rêve chap 6)

     

    Le contenu ne s'exprime pas « dans les formes verbales sobres dont notre pensée se sert de préférence, mais sont au contraire figurées de manière symbolique par des paraboles et des métaphores, comme dans un langage poétique imagé. »

    Freud explique cela par le caractère concret et visuel de ce contenu onirique. Le rêve ne propose ni discours ni raisonnement ni longues explications. Tel certain hebdomadaire (et désormais à vrai dire la plupart de tous les media) il privilégie au poids des mots le choc des images.

    « Qu'on s'imagine par exemple devoir remplacer les phrases d'un éditorial politique ou d'un plaidoyer au tribunal par une série de dessins, et l'on comprendra sans peine les modifications auxquelles la prise en compte du caractère figurable dans le contenu onirique contraint le travail du rêve. »

    Il poursuit en expliquant que cela est dû au fait que ces représentations imagées rejouent souvent « des épisodes vécus 'qui ont marqué' – remontant assez souvent à la toute première enfance – qui ont donc été eux-mêmes saisis comme des situations, avec un contenu le plus souvent visuel », car l'enfant ne maîtrise pas suffisamment le langage pour traduire en mots les images, sensations, impressions (in-fans en latin : qui ne parle pas).

    La référence à la vie psychique enfantine pour expliquer, non seulement la genèse d'éventuelles névroses, mais celle de la mise en place « normale » de la personnalité, est un point essentiel de la théorie freudienne (un point qui sera contesté, en particulier pour la place conférée à la sexualité infantile).

    L'enfant est le père de l'homme dit-il dans une belle formule. Il analysera aussi combien l'enfant est particulièrement le père de l'artiste.

    « Le contenu onirique ne consiste cependant pas exclusivement en situations : il inclut également des morceaux non altérés d'images visuelles, des paroles prononcées, voire des bribes de pensées inchangées. »

    Donc des morceaux de « vécu brut » si l'on peut dire, non retravaillés. Ils subsistent en l'état dans la psyché, tel un morceau de nourriture impossible à digérer. Et si l'analyse les reconnaît comme tels, non altérés, ils permettent de repérer ce qui n'est pas passé dans le vécu d'un sujet.

    Ensuite Freud se penche sur le détail du travail du rêve, qui consiste à fabriquer « un complexe psychique d'une construction tout ce qu'il y a de compliquée. »

    Une construction caractérisée comme « une efficace sélection des composants les plus valables pour la création de la situation mise en scène. »

    On verra à l'œuvre la prochaine fois ce rêveur metteur en scène.

     

  • Sur le rêve (12) S'occuper de broutilles

    Pour continuer sa recherche, Freud revient sur les conclusions de l'analyse de son rêve "de la table d'hôte" (cf 4).

    « Ce qui dans le rêve était amplement et nettement mis en place comme étant le contenu essentiel doit après l'analyse se satisfaire d'un rôle extrêmement subalterne parmi les pensées du rêve, et ce qui après l'énoncé de mes sentiments revendique parmi le pensées du rêve la plus grande attention voit son matériau imaginaire ou bien ne pas du tout se trouver dans le contenu onirique ou bien n'avoir de représentant que dans une allusion lointaine au milieu d'une région insignifiante du rêve. »

    (Sigmund Freud Sur le rêve chap 5)

     

    Autrement dit l'affect, la pensée, l'image, à la source du rêve (le contenu latent à retrouver par l'analyse) sont comme filtrés pour en modifier la couleur, l'intensité, dans le contenu apparent (le récit qui est fait du rêve). Il nomme ce processus déplacement onirique, puisqu'il a pour effet de transférer les accents de certains éléments sur d'autres.

    « Je pourrais désigner ce que j'ai appelé déplacement onirique sous le nom de réévaluation des valeurs psychiques.*(...)

    L'impression à laquelle échoit le rôle de déclencheur du rêve peut (prolonger) les préoccupations majeures de l'existence vigile.(...)

    (Mais souvent) le contenu onirique semble, y compris quand il est cohérent et compréhensible, s'occuper de broutilles (…) Une bonne part du mépris où le rêve est tenu découle de cette préférence pour ce qui dans le contenu du rêve est nul et sans intérêt. »

    Mais bien sûr ce jugement est modifié par le travail d'analyse qui « met régulièrement en évidence l'épisode vécu important, et à juste titre excitant, qui se remplace (s'est remplacé dans le contenu apparent) par l'épisode indifférent avec lequel il est entré dans des liens associatifs abondants. »

    Freud note encore « un curieux processus qui se produit dans la formation du rêve, et dans lequel condensation et déplacement coopèrent à l'effet produit. »

    Il nomme cela une formation de compromis.**

    Bref tout se passe comme si le rêve ne pouvait présenter de pensées que déguisées. Ça cache forcément quelque chose, se dit Freud.

    Si bien que « De façon plus pressante encore que dans la condensation, le besoin s'exprime (…) de découvrir ce qui motive tous ces efforts énigmatiques déployés par le travail du rêve. »

     

    *Probable allusion à Nietzsche qui emploie l'expression à propos de valeurs morales. (Ce qui est logique puisque la question morale intervient on le verra dans le travail psychique de formation du rêve).

    **Il prend un exemple dans son célèbre rêve dit « de l'injection à Irma » (cf Traumdeutung chap 2) où propylène sert de compromis entre amylène et Propylées. Un compromis qui se révélera plein d'informations sur le fonctionnement du rêve, et tout autant sur la psyché de Freud (comme le montre Lacan dans sa sorte d'analyse au carré du rêve de Freud cf son séminaire II sur le Moi).