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Le blog d'Ariane Beth - Page 349

  • Brûler la politesse

     

    Comme « non », il est des mots qui pour être de petits mots peuvent dire beaucoup de choses.

    Lorsqu'ils sont prononcés bien sûr, mais tout autant parfois par leur omission.

    Merci est de ceux-là.

     

    Par exemple en voiture il n'est pas si fréquent qu'un conducteur en remercie un autre de lui laisser le passage, ai-je constaté. Parfois c'est parce qu'il a priorité comme on dit. « C'est mon droit, mon dû de passer devant, alors pourquoi dire merci ? »

    Dans ce cas-là, passons de même : c'est l'ordinaire.

    Mais quand on renonce à sa propre priorité par pragmatisme (ça ira plus vite, ça débloquera le carrefour) ou tout simplement par gentillesse, le merci est aussi rare. Pourquoi ?

    J'exclus que les autres automobilistes nous trouvent systématiquement une sale gueule. Je pense que ça n'a rien de personnel.

    Je crois plutôt que dire merci reste entaché chez un certain nombre de gens d'un soupçon d'allégeance, de soumission.

    En eux se raidit encore l'enfant à qui on inculquait avec plus ou moins de bienveillance la politesse, surtout envers les « grands ».

    Et ainsi dire merci n'est pas associé à la notion d'égard envers autrui. Au plaisir d'alléger et fluidifier les relations sociales, de les polir. C'est au contraire vu comme un pensum un peu humiliant.

    Une sorte de corvée infligée par celui que sa situation dans le schéma relationnel place en situation de maître.

    Il a donné (cédé le passage dans notre exemple) : on est son obligé.

     

    Voilà qui nous amène au sens initial du terme, désormais désuet.

    « Merci nf : grâce, pitié. Avoir merci de quelqu'un. Crier merci. »

    Être à la merci de quelqu'un est une situation non seulement désagréable, mais potentiellement critique, voire mortelle.

     

    À propos de cette histoire de passage à céder, est-ce d'avoir trop fréquenté Papa Freud, mais je ne peux m'empêcher d'évoquer un des faits divers les plus médiatisés de la culture mondiale.

    Un certain carrefour vers Thèbes où se rencontrent deux hommes, un vieux et un jeune. Amertume de devenir vieillard impuissant d'un côté, insolence de la jeunesse de l'autre, chacun estime que c'est à l'autre de lui céder le pas.

    La querelle tourne mal. Le jeune entreprenant tue le vieux grincheux.

    Le nom du petit jeune ? Oedipe.

     

     

     

  • Ni hurlements ni fumée

     

    Pour agiter la foule.

    Celui qui veut agiter la foule ne doit-il pas être le comédien de lui-même ? Ne doit-il pas commencer par se traduire lui-même en grotesquement évident et déclamer aussi bien toute sa personne que sa cause sous cette forme caricaturale et simplifiée ?

    (Nietzsche Le gai savoir 236)

     

    Plutôt sourd qu'assourdi.

    Autrefois, on voulait faire parler de soi, : désormais, cela ne suffit plus, car le marché est devenu trop vaste – il faut faire crier. Cela a pour conséquence que même les bons gosiers s'époumonent, et que les meilleures marchandises sont proposées par des voix enrouées : sans vocifération de marché et voix enrouée, il n'y a plus de génie.

    Voilà certes une mauvaise époque pour le penseur : il doit apprendre à trouver son silence entre deux bruits et à faire le sourd jusqu'à ce qu'il le soit. Tant qu'il ne l'a pas encore appris, il court à coup sûr le danger de périr d'impatience et de maux de tête. (id 331)

     

    « Liberté », c'est le mot que vous aimez hurler entre tous ; mais j'ai cessé de croire aux « grands événements » qui s'accompagnent de hurlements et de fumée.

    Et crois-moi je t'en prie, cher vacarme d'enfer, les plus grands événements, ce ne sont pas nos heures les plus bruyantes, mais les heures du plus grand silence. 

    (Ainsi parlait Zarathoustra. De grands événements)

     

    Limite de notre ouïe.

    On n'entend que les questions auxquelles on est en mesure de trouver une réponse. (Le gai savoir 196)

     

    Nouvelle prudence.

    Ne pensons plus autant punir, blâmer et corriger ! Nous transformerons rarement un simple individu ; et si nous devions y parvenir, peut être réussirions-nous à notre insu quelque chose d'autre : nous aurons été transformés par lui !

    Cherchons plutôt à faire en sorte que notre propre influence sur tout ce qui arrivera compense son influence et prévale sur elle ! Ne menons pas un combat direct ! - ce à quoi revient tout blâme, toute punition, toute volonté de corriger.

    Au contraire, élevons-nous nous-mêmes d'autant plus haut ! Donnons à notre modèle des couleurs toujours plus éclatantes ! Assombrissons autrui par notre lumière !

    Non ! Nous ne voulons pas, à cause de lui, devenir nous-mêmes plus sombres, comme tous les punisseurs et les mécontents ! Cheminons plutôt à l'écart ! Regardons ailleurs ! (id 321)

     

    Ce que nous faisons.

    Ce que nous faisons n'est jamais compris, mais toujours simplement loué ou blâmé. (id 264)

     

     

     

     

  • Réaction ou action ?

     

    « Ce mot (de Tite-Live) que les habitants d'Asie étaient esclaves à un seul, pour ne savoir prononcer une seule syllabe, qui est Non, donna peut être la matière et l'occasion à La Boétie de sa « Servitude volontaire ».

    Cette remarque de Montaigne, comme le livre de la Boétie, disent une chose pas toujours comprise : le non est une force avant tout constructrice.

    L'essence du non n'est pas dans l'usage qu'on en fait la plupart du temps : le refus, l'interdiction, la contradiction, la polémique. Ce n'en sont que des accidents possibles.

    Le but d'un non est d'arriver à un oui. Refuser la servitude volontaire, mais pour construire.

    « Libre de quoi ? Peu importe à Zarathoustra. Mais que ton regard clairement m'annonce : libre pour quoi ? » rappelle Nietzsche.

    Si l'on veut résolument dire non à l'inacceptable, et surtout rendre effectif ce rejet, cela suppose d'accepter de dire oui à ceux qui portent le même non, de s'allier avec eux, de co-opérer.

    (Éventuellement de façon transitoire et sans renoncer aux débats ultérieurs bien sûr).

     

    Le profil psychologique du passif-agressif se caractérise au contraire non par l'action, mais par la réaction. Il carbure au ressentiment.

    Pour lui, les autres ne font jamais comme il faut : lui seul sait, sait faire … Sauf qu'il ne fait jamais. Il détruit, mais est incapable de construire, car incapable de l'humilité et du pragmatisme qui font avancer pas à pas.

    Tels les chevaliers d'un film immortel des Monty Python, un passif-agressif ne sait dire que « Ni ». Un ni qui tue. Dans le film ça fait rire.

    Mais pas quand le Nini d'un cavalier-seul à la grognonne figure peut amener au désastre.

    Le réflexe conditionné de la négativité, paré du nom d'insoumission, ou puérilement associé, sous celui de dégagisme, à un jeu de chamboule-tout, cela produit quoi ?

    Nietzsche nous l'a appris depuis longtemps : le nihilisme n'est pas révolutionnaire, il est juste mortel.

    L'insoumission est à la liberté ce que le rictus est au sourire.

     

    Vous souvient-il de l'épisode biblique du jugement de Salomon (1er livre des Rois chap 3  v.16-28) ?

    Deux femmes se disputent le même enfant. Au départ chacune avait le sien, mais l'un des deux est mort. Salomon dit : coupez l'enfant en deux, chacune sa part et basta.

    L'envieuse, qui veut juste que l'autre n'ait pas ce qu'elle n'a pas, n'a plus (car l'enfant mort est le sien en fait) n'y voit pas d'inconvénient.

    Mais l'autre dit : donnez l'enfant à cette femme, qu'il vive !