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Le blog d'Ariane Beth - Page 346

  • Poker face

     

    « Ne laissons pas entendre dans nos propos que nous savons qu'on nous trompe. Ne laissons pas voir sur notre physionomie que nous sentons qu'on nous offense. Nous en retirerons une délectation infinie et un inépuisable profit. »

    Hong Zicheng (Propos sur la racine des légumes I,126)

     

    Voilà un propos qui vient compléter le précédent, le propos I,162.

    Et le complexifier. Y a de la chinoiserie dans l'air ou je m'y connais pas.

    Quoique. Peut être au contraire est-ce une simplification à toute épreuve.

    La base du toujours fort utile Machiavel pour les nuls.

    Car le machiavélique ne grimace pas en faisant eh eh.

    Le machiavélique porte son masque de poker face en toutes circonstances.

    Quel que soit son état d'esprit, que l'on soit confiant ou pas, sincère ou pas dans son attitude confiante, c'est vrai qu'on n'a rien à perdre à afficher l'impassibilité. Et même, dit Hong, on a tout à gagner.

    En profit sonnant et trébuchant, et aussi en plaisir. Une délectation infinie.

    Le profit, c'est clair. Celui qu'on trompe mais qui fait genre qu'il le voit pas a évidemment une longueur d'avance. À malin malin et demi : adage valable à Pékin comme à Paris ou n'importe où.

    Une longueur d'avance qui lui permettra d'anticiper pour se défendre efficacement de la tromperie. Et plus si affinités.

    Genre passer à l'attaque lui-même, par esprit de vengeance ou pour toute autre (aussi bonne) raison.

    Mais la délectation, en quoi consiste-t-elle ?

    Pour ma part j'y vois le plaisir paradoxal du bon comédien, qui incarne au plus près son personnage, mais sans y être collé. Plaisir du second degré. Voir le pas-malin jouer au malin, se voir malin feintant le pas-malin. Précisément en simulant la pamalinitude dont il se croit exempt. (On arrive au 3° degré là).

    Un spectacle drôle. Quoique un peu grinçant je vous l'accorde.

    Quoique. Que le rire soit jaune ou noir qu'importe c'est du rire.

     

    L'éthique c'est comme le vin, y en a qui l'ont triste, y en a qui l'ont gaie.

    Sauf que pour le vin on n'y peut pas grand chose, alors qu'on peut choisir son éthique.

    Nausée garantie avec désespérés & moralistes grincheux (je vous en épargne la longue liste) ou joyeux trip avec disons au hasard Spinoza, Nietzsche, Montaigne.

     

     

     

     

     

  • Rien à prouver

     

    « Celui qui fait confiance aux gens, même s'ils ne sont pas tous sincères avec lui, prouve ainsi sa propre sincérité. Celui qui se méfie des gens, même s'ils ne sont pas tous malhonnêtes envers lui, prouve ainsi sa propre malhonnêteté. »

    Hong Zicheng (Propos sur la racine des légumes I,162)

     

    Cette phrase est à première vue bien proche de celle de Montaigne citée la dernière fois : « La fiance de la bonté d'autrui est un non léger témoignage de la bonté propre. »

    Mais on peut observer des différences de forme.

    La manière de dire en dit souvent plus long que ce qui est dit, révélant le propos essentiel d'un discours : le désir dont il est porteur.

    Ceci n'est pas une pétition de principe pour aficionados de papa Freud ou tonton Lacan. C'est un fait d'expérience quotidienne, vérifiable depuis les éruptions verbales incontrôlées tweetistes jusqu'aux théorisations les plus complexes, en passant par les échanges qui ne mangent pas de pain sur la pluie et le beau temps.

     

    Stylistiquement donc, la phrase d'Hong sonne comme une plaidoirie d'avocat, ou une maxime de jurisprudence à l'usage des apprentis magistrats.

    Elle s'articule dans un cadre casuistique organisé par la double opposition de paramètres : sincère/pas sincère (parole), honnête/ malhonnête (action).

    Le sujet en est un être humain inscrit dans le procès éthique. Dont il est juge et partie. Accusé levez-vous, et argumentez votre sentence.

    Montaigne construit sa phrase de façon impersonnelle. L'indéfini autrui, l'emploi de l'article et non du possessif. Le sujet de la phrase est un mot abstrait.

    La vertu de confiance n'y est pas incarnée. Lui qui n'hésite pourtant jamais à dire je, choisit de ne pas le faire ici.

    On se doute bien sûr qu'il s'exhorte à la pratique personnelle de cette vertu, et aussi qu'il a en tête des exemples et contre-exemples concrets. Mais il laisse tout cela dans l'implicite, au second plan.

    La phrase d'Hong a un petit côté menons l'enquête, vérifions les alibis, instruisons le dossier. Pas celle de Montaigne qui fut pourtant juge pour de vrai.

    C'est peut être pour ça : l'éthique du devoir, de la dette et de la culpabilité, il en connaît les limites. Et puis par caractère il est plus à son aise dans la liberté.

    La liberté inconditionnelle et gratuite de qui n'a rien à prouver. Ni à se prouver.

     

    « Si l'action n'a quelque splendeur de liberté, elle n'a point de grâce ni d'honneur. »  

    (Essais III, 10 De ménager sa volonté)

     

     

     

     

  • Zézette, Zicheng et Michel

     

    « Il faut être indulgent avec les bons, sévère avec les méchants, indulgent et sévère à la fois avec la foule des gens ordinaires. » Hong Zicheng (Propos sur la racine des légumes I,50)

    « La fiance de la bonté d'autrui est un non léger témoignage de la bonté propre. » Montaigne Essais I,14 (La fiance de la bonté d'autrui = parier sur la bonté d'autrui)

     

    Je verrais bien un sondage : à laquelle de ces phrases souscririez-vous ? Pour ma part je répondrais : ça dépend (une de mes phrases fétiches).

    L'ennui c'est que la réponse ça dépend n'est jamais proposée dans aucun sondage. Tiens ça me rappelle Zézette remplissant sa feuille de sécu ou je ne sais quoi dans Le Père Noël est une ordure.

    Ça vous revient la réplique ça dépend ça dépasse ? C'est bête mais ça me fait toujours rire. (Donc ça me fait toujours rire).

    Vous allez me dire dans ce cas-là tu peux toujours cocher la case ne se prononce pas. Eh ben non je peux pas justement. Car dire ça dépend c'est bel et bien affirmer une opinion.

    Pas une opinion tranchée je vous l'accorde, mais une opinion précise. Donc une opinion précise. Et même la plus précise qu'on puisse formuler. Car épousant exactement la vérité à chaque instant T.

    Voilà c'est ça : la réponse ça dépend est clairement la signature d'un esprit scientifique CQFD. On comprend pourquoi les sondages font l'impasse.

    Donc à quelle phrase je souscris ça dépend, mais de quoi ?

    La phrase d'Hong n'est pas dingue. Que du bon sens. Sauf qu'elle pose au moins deux problèmes :

    1) en pratique être indulgent et sévère à la fois : comment ? Comment ne pas faire de cet à la fois un double bind limite manipulation perverse ?

    2) y a des fois c'est pas évident de savoir qui est bon qui est méchant. Car l'habit ne fait pas le moine, comme on dit du côté du bon sens.

    Bref pas facile à appliquer à moins d'une intuition psychologique sûre (pour 2) et d'une assimilation suffisante de Machiavel (pour 1).

    Cependant l'essentiel est qu'Hong nous incite à l'analyse, à garder la tête froide. Ce qui évitera les plus grosses patates et c'est déjà pas mal.

    Mais avec la phrase de Montaigne on prend de la hauteur.

    Parier sur la bonté d'autrui au plan éthique voilà qui est carrément chic.

    Et aussi plus agréable, plus simple, que la méfiance et son cortège de prises de tête. On prend de la hauteur ou plutôt de l'élan.

    Pour sauter un pas, s'engager, parier. Dans un mouvement généreux vers l'autre.

     

    La phrase d'Hong est pour les têtes froides. La phrase de Montaigne elle est pour les cœurs chauds.