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Le blog d'Ariane Beth - Page 82

  • Telles des fontaines ouvertes

    « n° 378 : ''Et redevenons limpides''.

    Nous, les prodigues et les riches de l'esprit, qui nous tenons au bord des routes telles des fontaines ouvertes et qui ne voulons défendre à personne de puiser en nous :

    nous ne savons pas hélas nous défendre lorsque nous le voudrions, nous ne pouvons en rien empêcher qu'on nous rende troubles, sombres, – que l'époque dans laquelle nous vivons ne jette en nous ce qu'elle a de ''plus actuel'', ses oiseaux malpropres leur fiente, les enfants leurs babioles et les voyageurs épuisés qui se reposent près de nous, leur petite et leur grande misère.

    Mais nous ferons ce que nous avons toujours fait : nous mettrons ce que l'on jette en nous tout au fond de notre profondeur – car nous sommes profonds, nous n'oublions pas – et redevenons limpides. »

    (Friedrich Nietzsche Le Gai Savoir Cinquième livre)

     

    Suite logique à la question de l'incompréhensibilité, dans le genre « la parole est à la défense ». En l'occurrence la défense consiste à renvoyer l'accusation sur l'accusateur.

    Si « nous » sommes considérés comme incompréhensibles, c'est qu'« on» a troublé notre limpidité.

    La métaphore est belle, et à bien y regarder, plutôt juste concernant la réception de l'œuvre de Nietzsche.

     

  • Comme toute vie

    « n°371 : Nous, incompréhensibles.

    Nous sommes-nous jamais plaints d'être mécompris, méconnus, pris pour d'autres, calomniés, mal entendus et pas entendus du tout. Tel est précisément notre sort (…)

    On nous prend pour d'autres – c'est un fait que nous-mêmes croissons, changeons continuellement, rejetons nos vieilles écorces, muons à chaque printemps, ne cessons de devenir plus jeunes, plus à venir, plus hauts, plus forts enfonçons toujours plus vigoureusement nos racines dans les profondeurs – dans le mal – tout en embrassant simultanément le ciel toujours plus amoureusement, plus largement, et en aspirant toujours plus avidement en nous sa lumière, de toutes nos branches et de toutes nos feuilles.

    Nous croissons comme des arbres (…) comme toute vie (…) nous ne sommes absolument plus libres de faire quoi que ce soit de séparé, d'être encore quoi que ce soit de séparé. » (Friedrich Nietzsche Le Gai Savoir Cinquième livre)

     

    Lectrice-teur, tu auras remarqué le gap entre le n°355 de ma dernière fois et ce n°371. J'avoue : j'ai sauté pas mal de pages.

    Pourquoi ? Friedrich y accumule des synthèses philosophiques d'une vertigineuse complexité. Pour en rendre compte honnêtement il faudrait des tonnes de commentaires serrés.

    Et je n'ai aucune envie de m'y lancer. En fait mon envie, là, maintenant, c'est arrêter de me prendre la tête, c'est finir vite fait cette lecture (qui a dit ouf ?), voilà c'est dit.

    Je vais donc à présent me contenter de relever, dans les derniers paragraphes de ce Gai Savoir ce qui me parle vraiment. Et si j'en dis un mot, ce sera sans ordre et sans propos (pour citer Montaigne une fois de plus).

     

    Ici qui est ce nous ? Pluriel souvent employé par Nietzsche dans l'exposition de sa philosophie, désigne-t-il des penseurs qui adhèrent à sa démarche, voire les disciples d'une nouvelle école philosophique ? En fait je crois que ce nous est plutôt un pluriel de majesté.

    Sauf que c'est la majesté d'un roi sans royaume. Friedrich sait bien qu'il n'est certes pas le « roi des cons » mais il admet être le roi des incompréhensibles.

    Mais qui accepte de se reconnaître dans ce qualificatif, avec ce qu'il implique en termes d'échec social ? Si bien que de disciples il n'aura à vrai dire que ceux qu'il donnera à son double Zarathoustra.

    Bref je crois qu'il ne dit nous que pour se sentir moins seul, ou, comme il le dit, moins séparé.

     

  • Qui ne nous inquiète plus

    « n°355 : L'origine de notre concept de ''connaissance''.

    (…) Le connu, cela veut dire : ce à quoi nous sommes suffisamment habitués pour ne plus nous en étonner, notre quotidien, une règle quelconque dans laquelle nous sommes plongés, absolument tout ce en quoi nous nous sentons chez nous : – comment ? notre besoin de connaître n'est-il justement pas ce besoin de bien connu, la volonté de découvrir dans tout ce qui est étranger, inhabituel, problématique, quelque chose qui ne nous inquiète plus ?

    Ne serait-ce pas l'instinct de peur qui nous ordonne de connaître ? La jubilation de l'homme de connaissance ne serait-elle pas justement la jubilation du sentiment de sécurité retrouvée ? ... »

    (Friedrich Nietzsche Le Gai Savoir Cinquième livre)

     

    Sans être capable de dire si cette analyse de Friedrich est pertinente, démontrable, je peux dire une chose : moi aussi je ressens cela.

    Chercher à connaître, apprendre à connaître (de quelque ordre que ce soit, y compris – surtout ? – des procédures concrètes pour gérer le quotidien), et poser quelque part dans ma conscience ces connaissances, sachant que je pourrai les y retrouver, et puis aussi les classer, les approfondir, les reprendre, les modifier, j'ai toujours trouvé cela rassurant.

    Est-ce la signature d'un certain profil psychologique, dans lequel le besoin d'analyse, de vérification, de logique, correspond à la gestion d'un rapport phobique (c'est à dire effrayé) au monde ? J'aurais tendance à dire sans doute, mais je vais en rester au moins affirmatif peut être ...

     

    En tous cas le bon côté, c'est qu'à partir de cet effroi, le besoin de connaissance construit. Non seulement il construit un sentiment de sécurité chez qui s'y adonne, mais aussi, bêtement, il construit, et ainsi fit Nietzsche, de la connaissance.

    Une connaissance dont tout le monde ensuite peut se saisir, les peureux comme les pas peureux.