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  • L'amour vache

    « La femme n'est pas encore capable d'amitié ; des chattes, voilà ce que sont les femmes, ou des oiseaux. Ou, au mieux, des vaches. »

    (Ainsi parlait Zarathoustra. De l'ami)

     

    Amis de la parité & du féminisme échevelé, bonjour !

    Vous savez quoi, Monsieur Nietzsche : y a des jours on se dit que votre Zarathoustra, à force de parler, a perdu quelques bonnes occasions de se taire. Je vous le dis en toute amitié.

    Bien plus, je m'en vais mettre ma cervelle d'oiselle sur le coup pour vous communiquer ma façon de penser. Car un homme est un Mensch comme les autres après tout, et il faut essayer de le comprendre, continuer à parler avec lui. C'est vrai, on n'est pas des bœufs.

     

    Bref on nous la fait pas, à nous les meufs. A force de ruminer les tenants et aboutissants des complexes relations entre sexes, nous savons deux ou trois choses de vous les hommes. Celle-ci par exemple : lorsqu'il dispose d'une quantité suffisante de neurones, tel Monsieur N. avant qu'hélas la syphilis ne grignote sa précieuse matière grise, il ne tient pas un discours aussi absurde sans une bonne raison. Et pour trouver la raison d'un homme, comme dit le vieil adage : cherchez la femme.

     

    Question donc : pour ce joli moment de finesse machiste, on dit merci qui ?

    Merci Lou Salomé. Sans aller jusqu'à dire que cette femme fut un loup pour cet homme, nous sommes obligés de reconnaître que dans le genre félin Lou était davantage tigresse que chatte. Belle, intelligente, cultivée, et surtout hyper narcissique (elle le dit elle-même), elle avait pour séduire les hommes tous les atouts dans son jeu. Et ce fut un grand chelem : elle suscita l'amour passionné de tous ceux qui croisèrent sa route. Elle leur en fit pas mal baver, surtout les plus sensibles & passionnés du lot. Exemple le poète Rilke dont elle entretint fort habilement le syndrome bipolaire. Freud, en vieux renard de la psyché, sentit le lézard, et évita de se fourrer dans des histoires trop compliquées. Il se contenta de lui faire une place dans les groupes de la psychanalyse naissante.

    Quant à Nietzsche, elle l'engagea avec Paul Ree pour tourner dans une version perso et (au moins fantasmatiquement) sado-maso de Jules et Jim. Voir la célèbre photo où Lou fait mine de fouetter les deux hommes attelés à une carriole. Une blague d'intellos anti-conformistes qu'ils étaient tous les trois, je veux bien. Mais, distance ironique ou pas, ce genre de film finit mal en général.

    Bref, s'il est difficile d'estimer la part que prit Lou dans le pétage de plombs de Friedrich en ces années de crise de milieu de vie où il écrivit Zarathoustra, la phrase ci-dessus permet d'affirmer qu'à tout le moins elle l'a vachement déçu.

     

     

  • Par le chemin de crête

    Rien n'est simple pour la bonne raison que dans ce discours de l'arbre Zarathoustra est particulièrement branché sur le mouvement d'alternance caractéristique de tout tempérament bipolaire qui se respecte. De fait on aura remarqué depuis un moment que la bipolarité est au cœur de la structure du livre. Souvenons-nous qu'il commence sur le récit d'une montée suivie d'une descente. Zarathoustra sinusoïde le plus clair de son temps, et c'est fatigant dans les montées c'est effrayant dans les descentes (cf note du 9-9 le poème éponyme de Guillevic). Il n'a donc eu aucun mal à capter 5 sur 5 la phrase révélatrice du petit jeune « Je n'ai plus confiance en moi depuis que je veux m'élever ».

    Il a commencé par donner une interprétation de cette étrange alliance d'élan et d'aquabonisme, comme si l'un impliquait l'autre selon la même nécessité qui lie l'endroit et l'envers d'un tissu. C'était la métaphore canine de la dernière fois. Un chien ça mord et ça remords. Une parfaite image de la face féroce du Surmoi (au revers de sa face plus constructive). Contre cette force de sape, Zarathoustra s'emploie à remotiver le petit jeune.« Ne jette ni ton amour ni ton espoir. »

     

    Mais il sait que la sinusoïde se répétera, avec ses variantes. « Le danger que court celui qui est noble (c'est de devenir) un railleur, un destructeur. » Le cynisme, l'autre façon de laisser les chiens prendre le pouvoir.

    « Autrefois ils pensaient devenir des héros : ils sont devenus des jouisseurs ». Zarathoustra rejoint ici la grande distinction spinoziste entre l'agir et la passivité. Quelles que soient les ambivalences douloureuses de son jeune disciple, il va l'engager à ne pas céder sur ce désir d'agir et de laisser opérer sa puissance, ne pas céder sur sa Wille zur Macht.

     

    A l'arrivée Zarathoustra ne conseille donc pas la voie moyenne de sagesse, l'ascension de la montagne par la face sinon facile du moins ne demandant pas d'autre compétence que l'endurance et l'aptitude à se repérer dans le balisage (oui bon c'est déjà pas mal).

    Il lance le petit jeune sur la route des crêtes, la plus dangereuse, la plus belle aussi, celle où l'on voit loin. Y dansera-t-il comme le danseur sur son fil, comme le seul dieu auquel Zarathoustra accepterait de croire ? (cf ma note du 5 sept)

     

    Disons que ce sera déjà beaucoup s'il ne se casse pas la figure et gère à peu près son vertige …

     

     

     

     

     

     

  • Les chiens aboient et la pente est raide

    « Souvent je saute des marches quand je monte, - pas une marche ne me le pardonne.

    Suis-je en haut, je m'y trouve toujours tout seul, personne ne parle avec moi, le frimas de la solitude me fait grelotter. Que viens-je chercher dans les hauteurs ? » (Ainsi Parlait Z De l'arbre sur la montagne)

     

    Visiblement Nietzsche a un truc avec les marches, les escaliers, y a de l'image récurrente dans l'air (peut être de l'empreinte archaïque comme on dit en Psyland ?)

    Les phrases ici ne sont pas mises dans la bouche de Zarathoustra, mais dans celles d'un jeune homme qu'il rencontre. Zarathoustra a en effet ceci de commun avec une œuvre de théâtre (et souvent aussi un roman) que l'auteur s'y diffracte dans l'ensemble des personnages. Le jeune homme en question interprète la notion de surhumain comme dépassement de soi, élévation, recherche de sublimité, et forcément finit par fatiguer un peu dans l'effort ascensionnel. « Suis-je à la hauteur des exigences athlético-éthiques de la surhumanitude ? », telle est la question du pauvre petit gars à bout de souffle. « Il trouva ce jeune homme assis appuyé à un arbre, jetant sur la vallée un regard fatigué. »

     

    Feeling ou condition physique ou les deux, j'ai renoncé à l'ascension pour me poser de temps en temps quelques questions, le postérieur bien calé sur ma chaise. Par exemple celle-ci cf notes précédentes : de quelles implications sont porteuses les notions homme-plus et homme-plusieurs, en quoi sont-elles contradictoires ou pas, comment les articuler ?

     

    Or dans ce discours le débat est posé de façon embrouillée pour ne pas dire sibylline, au point qu'à l'arrivée on se demande si Zarathoustra conseille au petit jeune de monter ou de descendre sur sa foutue échelle.

    Il lui reformule à sa façon le fameux Qui veut faire l'ange fait la bête : « Tu veux monter vers les hauteurs libres, ton âme a soif d'étoiles. Mais tes mauvais esprits eux aussi ont soif de liberté. Tes chiens sauvages veulent être libres ; ils en aboient d'envie dans leur cave quand ton esprit se propose d'ouvrir toutes les prisons. » Pour qui a la phobie des chiens, je vous assure que ça porte méchamment ...

    Logiquement (du moins s'il suivait Montaigne ou Spinoza) il devrait lui conseiller dans la foulée de laisser tomber son échelle et de gérer au mieux la cohabitation entre les anges du loft au dernier étage avec vue sur les étoiles, et les clébards de la cave.

     

    Mais non, la réponse de Zarathoustra est plus compliquée que ça. Ce qui ne nous étonnera pas, car on commence à savoir au moins une chose sur Nietzsche : avec lui rien n'est simple.