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  • Affirmatif

    « Mais Zarathoustra n'est pas venu pour dire à tous ces menteurs et ces bouffons : que savez-vous de la vertu, que pourriez-vous en savoir ? »

    (Ainsi parlait Zarathoustra. Des vertueux)

     

    N'empêche ça valait le coup de le dire, surtout si bien. Mais OK avançons.

    « … Il est venu pour que vous, mes amis, vous vous fatiguiez des vieux mots que vous avez appris des bouffons et des menteurs ... »

    Là, reçu cinq sur cinq. D'ailleurs entre nous, pour la fatigue devant certains vieux mots, même relookés, ça fait un moment que ça nous travaille.

    Mais bon c'est pas tout ça, maintenant on fait quoi ? Extirper le négatif de la morale, démasquer les bouffons de la vertu, démonétiser les faussaires de la valeur, oui je dis banco. Le vieux moteur est kaputt, on jette. Mais il y a bien un moteur auxiliaire, un plan B ?

    « ...Pour que vous vous fatiguiez des mots 'récompense' 'rétribution' 'punition' 'justice-vengeance' … » Oui oui on a compris. Mais après ?

     

    « … pour que vous vous fatiguiez de dire : 'ce qui fait qu'une action est bonne, c'est qu'elle est désintéressée'.»

    Ah bon ??? Mais euh, la gratuité, tout ça, la capacité à faire passer l'intérêt général avant le sien ? Ce serait déjà pas si mal, non ?

    Certes, seulement dans cette phrase le mot désintéressé (selbstlos = mot à mot sans soi) ne fait pas référence à la gratuité ou l'altruisme, mais au fait de ne pas s'investir à fond dans l'acte qu'on fait.

     

    « Ah mes amis ! Que votre moi (Selbst) soit dans l'action, comme la mère est dans l'enfant : que ce soit votre mot de la vertu ! »

    La mère est dans l'enfant, drôle de formule. C'est d'abord l'enfant qui est dans la mère, non ? En fait c'est l'idée que l'action soit « la chair de ma chair ». Acte vertueux en tant que consubstantiel à la personne. Chacun agira bien s'il agit selon sa vertu propre. Vertu entendue au sens où on parle de la vertu d'un médicament, d'une plante.

     

    Zarathoustra surenchérit ici sur l'idée d'authenticité. Il ne s'agit pas seulement de vivre une vertu qui ne soit pas mensongère, donc d'éviter la négation, mais de passer à un mode clairement, totalement, affirmatif.

    « Que votre vertu soit votre vous-mêmes, et pas une chose étrangère, un épiderme, un revêtement : qu'elle soit la vérité du profond de votre âme ».

     

    L'acte vertueux procédera donc d'un affect aussi essentiel que positif dans la série de ceux que répertorie Spinoza : l'adhésion à soi (acquiescentia in se ipso). Pour éviter toute confusion précisons qu'elle est au narcissisme égocentrique ce que Montaigne Nietzsche ou Spinoza sont à … (à remplir vous mêmes : à chacun sa vertu, donc à chacun son repoussoir).

  • Galerie de portraits

    « Vrai, je vous ai pris bien cent mots et les jouets favoris de votre vertu ; et voilà vous me boudez, comme boudent les enfants. »

    (Ainsi parlait Zarathoustra. Des vertueux)

     

    Ainsi parlait Zarathoustra. Le titre, sa lancinante reprise en refrain, désignent bien le lieu des combats décisifs : la parole, le langage, le discours. C'est le côté lacanien de Zara. Il prend les mots au mot, il décode et démonte les signifiants. Il passe au crible, pèse, scrute chaque discours, pour y déceler mensonge, hypocrisie, faux semblant.

    Il y a dans ces pages sur les vertueux l'ironie d'un grand enfant, d'un enfant qui pense grand : il n'est pas dupe des histoires que (se) racontent ces adultes infantiles qui, eux, ne peuvent penser que petit.

    Regardons-le crayonner avec jubilation sa galerie de caricatures, dans la veine vachardo-spirituelle des grands moralistes. Regardons-le tirader à vue avec panache façon Cyrano sur les vertueux pour de semblant et leurs « on dirait qu'on serait ».

    Besogneux : qui "avancent lourdement avec grands craquements de charrettes chargées de pierres : ils parlent beaucoup de dignité et vertu – le sabot qui leur sert de frein, c'est ça leur vertu."

    Cyniques : "installés dans leur marécage, leur discours émerge des roseaux : 'La vertu – c'est une place tranquille dans le marécage'."

    Frimeurs : "qui aiment les attitudes et qui pensent : 'la vertu est une sorte d'attitude'."

    Plus d'un rabat-joie : "impuissant à voir du grand dans l'homme, nommant vertu le fait d'examiner à la loupe sa petitesse : ainsi appelle-t-il vertu son regard malveillant."

    Répressifs :" qui parlent en vertueux disant 'La vertu est nécessaire' ; mais au fond ils ne croient qu'à la nécessité de la police."

    Pervers jaloux : "quand ils disent 'je suis juste' on croit toujours entendre 'je suis vengé'." (Jeu de mots gerecht/gerächt)

    Tiédasses mollassons : "qui nomment vertu la paresse de leurs vices."

    Maso : "pour qui la vertu est le sursaut sous les coups de fouet : et pour moi vous avez bien trop écouté leurs cris."

    Pavloviens conformistes : "pareils à des réveille-matin qu'on remonte : ils font tic-tac et veulent qu'on appelle vertu ce tic-tac." (Trop joli celui-là ...)

     

    En voilà qui sont bien habillés pour l'hiver, il me semble.

    Voilà, « ça c'est fait » : ainsi parlait Zarathoustra.

     

     

     

  • L'éternité c'est long ...

    « Chez les uns le cœur vieillit d'abord ; chez d'autres l'esprit. Et quelques uns sont vieillards dans leur jeunesse ; mais être jeune tard maintient jeune longtemps. » (Ainsi parlait Zarathoustra. De la mort volontaire).

     

    « Spät jung erhält lang jung » dit le texte en forme de proverbe. Blague ou profond paradoxe ? La jeunesse qui vient sur le tard, comment serait-elle durable ?

    1) Tentons la métaphore viticole. Après le temps de la préparation, de l'amendement des sols et la taille des ceps, après celui de la croissance du grain, après celui de la vendange en pleine maturité, le temps de la vieillesse pourrait être celui de la dégustation. Et alors il se peut qu'une vendange tardive, si elle est ensoleillée, puisse donner un vin plus long en bouche ?

    2) La jeunesse tardive et durable est une impossibilité logique au regard de la linéarité du « temps réel ». Une telle conjonction ne peut donc s'envisager que dans une autre logique, une autre approche du temps. Certes naître c'est se trouver devant une quantité limitée de temps à vivre avant de retourner au néant. Mais si chaque instant est vécu sans tenir compte du point de vue quantitatif, la vie se vit dans la seule qualité d'un présent absolu, gratuit. Pour le Zarathoustra de Nietzsche, de même que la liberté n'a pas de prix, le temps ne (se) compte pas. Ne se compte plus.

    3) La jeunesse en effet est bien dans cette gratuité du temps, l'enfance plus exactement. Être là sans anticipation de l'après ni retour sur l'avant : les petits enfants savent très bien le faire, c'est ce qui leur donne une qualité de présence si intense. Et par là même catalyse autour d'eux une forte énergie vitale. Mais quant à la jeunesse après l'enfance, il faut bien admettre qu'elle est davantage contrainte à l'anticipation : temps d'études et de formation, projets, responsabilités. Le tout est de le vivre sans angoisse, en y appréciant la puissance d'être actif : comme nous le savons en spinozistes persévérants que nous sommes, c'est une joie.

    4) La notion gratuite du temps s'appelle parfois éternité chez les Arthur Rimbaud ou autres artistes. Zarathoustra aussi conclut sa 3° partie sur le refrain « Car je t'aime, éternité ». Tout ceci amène plus ou moins la notion fameuse de « l'éternel retour du même » Wiederkunft des Gleichen. Je me demande si Wiederkunft n'est pas une création de Nietzsche à partir du mot Zukunft (à-venir), car je ne l'ai pas trouvé dans mon dico. Mais peut être que mon dico ne sait pas tout (il est assez basique je l'avoue, acheté pour mes lectures sommaires d'allemand, au vieux temps de ma jeunesse). Bref quoiqu'il en soit, il faudra bien que nous nous prenions la tête un jour ou l'autre sur cette histoire d'éternel retour, difficile de faire l'impasse.

     

    Mais inutile d'anticiper. On a le temps.