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  • Complètement marteau

    « J'ai appris à bénir et à affirmer, il m'a fallu pour cela lutter longtemps et devenir un lutteur, afin d'avoir un jour les mains libres pour bénir. »

    (Ainsi parlait Zarathoustra. Avant l'aurore)

     

    Nietzsche béni oui oui ? A sa façon, alors. En tous cas cette phrase nous rappelle que lorsque Zara parle lutte, violence ou démolition, ce n'est pas par amour de la destruction. On sait la répulsion de Nietzsche pour le nihilisme dans lequel il sait discerner aveu d'incapacité et défaut de désir.

    On a pourtant souvent vu Zarathoustra se lancer dans une offensive de type nihiliste : plutôt rien que « ça » (idoles, mensonges, faux semblants etc.) On l'a vu renverser les tables de bien des lois, et killbiller tous azimuts. (Et encore je me suis contentée de quelques échantillons représentatifs).

    Mais, malgré un titre du style Le Crépuscule des idoles, le fait est que Nietzsche, son truc c'est pas le grand soir (mais bien le grand midi de la citation précédente). S'il casse, ce n'est que pour construire autrement, parce qu'il pense pouvoir le faire, et le faire mieux que bien. Telle est son « affirmation ».

    Il est possédé d'un intense désir d'édification (employons à dessein ce mot, en le décapant de ses couches d'onction à la crème de tartufe). On ne manquera pas d'ajouter : avec une confiance dans son génie de concepteur-architecte-des-vraies-valeurs qui frise la mégalomanie. D'accord. Mais n'empêche : ne faut-il pas être vraiment quelqu'un, pour avoir compris qu'il ne peut être de véridique bénédiction que de mains libres ?

    Et surtout pour avoir vraiment voulu le faire en acceptant d'en payer le prix.

    On dira aussi : bénir, mettons, mais Nietzsche a proclamé qu'il philosophait à coups de marteau, non ? Il s'agit sans doute de savoir comment on voit le marteau (fût-il celui de Tor). Une masse, un machin qui sert pour casser une dalle de béton par exemple ? Pour moi Nietzsche est trop ironique et subtil pour être un pilonneur, il fait plutôt dans la pointe, la banderille. Pas moins méchant, mais plus malin. En lui je vois surtout, finalement, le danseur, l'artiste.

    Et pour moi son marteau est celui qui va avec un burin, celui dont se sert le sculpteur pour révéler dans un bloc de marbre l'oeuvre dont il porte le projet et le désir.

    Ne pas croire que ce soit plus facile que de casser du béton. Il y faut moins de force peut être, mais une force nette et précise. Il faut savoir la doser, la moduler sous peine d'un geste à faux, qui casse ou amoindrisse.

    Au total cela demande plus d'audace.

    Bon, ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit. Il est vrai que dans un texte de Nietzsche, la modulation, la nuance, ce n'est pas ce qui frappe au premier abord. Il a la bénédiction affirmative, voire injonctive. Peut être. Mais.

    Mais il se peut aussi que nous ne soyons pas toujours d'un marbre assez fin ou simple, d'un marbre assez libre pour nous laisser sculpter en douceur par ce marteau-là. 

  • A présent

    « Ils sont morts tous les dieux ; à présent nous voulons que le surhumain vive, - telle soit un jour au grand midi notre dernière volonté. »

    (Ainsi parlait Zarathoustra. De la vertu qui offre)

     

    Après ce long détour (le mot détour a-t-il un sens quand le chemin consiste à marcher ?) retrouvons la citation initiale (cf note du 13 mars) Nous pouvons à présent en cueillir le fruit.

     

    1 Concevoir le surhumain nietzschéen sur le modèle d'un révolutionnaire, un héros qui chercherait à détrôner et éliminer un dieu-despote, c'est avouer implicitement qu'on a pour valeur essentielle le pouvoir. Et que si le dieu nous gêne c'est juste qu'on voudrait, soi, être dieu. Calife à la place du calife.

    Le surhumain version bagarre de cour de récré, le surhumain « c'est moi qui ai la plus grosse » qui fait de toute éternité les bons phallocrates des familles. ('phallo' injure des années 70 … On dirait qu'il y a des siècles).

    Version qui dans la foulée fait les totalitaires y compris de toutes les religions y compris athées. Et c'est corrélativement faire à Nietzsche l'injure de le voir comme un bourrin qui n'aurait pas compris ça : « Nul ne pourra percevoir correctement ce que je veux à moins de mettre un soin extrême à ne pas confondre la puissance de Dieu avec la puissance humaine des Rois ou leur droit. » (Spinoza, Ethique II, scol prop 3)

     

    2 Ils sont morts tous les dieux (ainsi conçus) est un constat simple et lucide (dans la lumière du grand midi). Il peut devenir le point de départ pour fonder une éthique. Les dieux ne sont pas morts parce qu'ils auraient été tués (même s'il est vrai que Nietzsche se vante un peu par ci par là de l'avoir fait – c'est humain) : ils sont toujours déjà morts, ces dieux-là, rien d'autre que des choses mortes, c'est à dire sans vie ni réalité. Des baudruches, des idéaux parfois positifs parfois négatifs, mais toujours imaginaires.

    Il n'est d'éthique que dans l'immanence, c'est à dire à partir des humains et d'eux seuls, parce qu'il sont réels et qu'en eux la vie a lieu (même si pour chacun c'est durant un temps bref ...) La vie a lieu d'être dans l'humain, mais il est des endroits et des moments où les humains la traitent en étrangère, en immigrée, en persona non grata. Insensé, non ?

     

    3 Dire vive le surhumain c'est dire : être vraiment humain, pas gagné mais jouable. L'humain on n'y est pas c'est pas un scoop, mais essayons encore de le laisser émerger. Appel à insurrection d'humanité en elle-même : ainsi je comprends ce vive l'Über-mensch.

    Encore faut-il que telle soit notre dernière volonté. Dernière, c'est à dire déterminante. Le choix résolu de devenir ce que nous sommes.

     

    4 Euh bon maintenant : yapluka.

    Comme dirait Zarathoustra.

  • Dégonflés

    « Vrai, nous rêvons toujours du royaume des nuées ; nous y installons des baudruches bigarrées que nous appelons Dieux et surhumains »

    (Ainsi parlait Zarathoustra. Des poètes)

     

    « Restez fidèles à la terre, mes frères, avec la puissance de votre vertu ! Que votre amour qui offre et votre connaissance servent le sens de la terre.

    Ne la laissez pas s'envoler du terrestre et cogner des ailes contre des murs éternels ! Hélas, il y a toujours eu tant de vertu envolée !

    Ramenez, comme moi, la vertu envolée à la terre – au corps et à la vie : pour qu'elle donne son sens à la terre, un sens humain ! »

    (De la vertu qui offre)

     

    Ces deux citations formulent le processus de l'aliénation religieuse et la façon de s'en libérer.

    Citation 1 : on se fabrique des dieux-baudruches, machins impressionnants mais pleins de vide, de l'irréalité de l'imaginé. Cependant ils squattent notre champ de vision tant ils sont bigarrés et « en jettent ».

    Remarquons que le geste humain suggéré de souffler pour gonfler une baudruche-dieu est la version grotesque et inversée de ceci : « YHWH forme l'adam de la poussière de la terre, il souffle en ses narines l'haleine de vie : et c'est l'homme, un être vivant. » (Gen 2,7)

    (Voir le mot célèbre de Voltaire « Tu nous as faits à ton image mais nous te l'avons bien rendu. »)

    Nietzsche note bien que la fonction du dieu ainsi conçu est d'être sur-humain au sens trivial de super-humain. Autrement dit il est projection du fantasme de toute-puissance, de toute-tout-ce-qu'on-voudra, bref une bulle narcissique placée au ciel en tant que support de l'auto-idolâtrie humaine. (Freud ne dira pas autre chose, ajoutant que cette exaltation narcissique est la compensation d'un sentiment d'impuissance et de fragilité face au monde).

     

    Citation 2 : Comme s'il commentait Gen 2,7, Nietzsche renvoie l'adam à la terre dont il est issu et solidaire (adama = terre en hébreu). Autrement dit renvoie l'humain à l'immanence. Non pas comme une renonciation à la transcendance, mais bien parce que le sens est dans l'immanence et pas ailleurs. (Spinoza n'a pas dit autre chose : Par réalité et perfection j'entends la même chose).

     

    En outre, comme il est superbe de légèreté, de fantaisie, ce plaidoyer pour l'immanence ! Elle est si drôle et si jolie la métaphore qui fait voir le petit ange vertu attiré par les faux semblants de la transcendance, telle une phalène par la lampe, et que vient sauver la main secourable, la main de chair de l'humanité.

     

    Nietzsche ou l'accord parfait entre éthique et esthétique.