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  • En grandeur réelle

     

    « Un homme haut et robuste, qui a une poitrine large et de larges épaules, porte légèrement et de bonne grâce un lourd fardeau ; il lui reste encore un bras de libre : un nain serait écrasé de la moitié de sa charge. Ainsi les postes éminents rendent les grands hommes encore plus grands, et les petits beaucoup plus petits. »

    La Bruyère Les Caractères (De l'homme 95)

     

    L'autre jour, j'ai entendu des gens très sérieux et qui semblaient bien informés, dire que, durant les 8 ans de sa présidence, Barack Obama a un peu grandi. Au sens propre. Grignoté des millimètres.

    Étonnant, non ?

    Ah Barack, comme on va le regretter. Si beau, si intelligent, si bien élevé, portant en effet de bonne grâce, et avec tant de grâce, son lourd fardeau.

    Mais j'y songe, maintenant qu'il ne peut plus être président aux States, si on lui suggérait de postuler chez nous ? Bon d'accord il faudrait pour cela qu'il demande la nationalité. Pas simple, c'est Obama OK mais il reste noir, hein ?

    Enfin, espérons qu'il pourra au moins obtenir l'asile politique si Trump est élu.

    Mais (praised Lord) il semble que le spectre de ce scénario catastrophe s'éloigne.

    - Quoique ? Non, rigolez pas avec ça.

    Vous imaginez le flux de réfugiés amerloques que ça ferait en Europe ? Il faudrait espérer qu'Angela reste encore là un moment.

    Et qu'il y en ait beaucoup au bras assez libre pour leur tendre la main. (Perso je veux bien accueillir Woody Allen, c'est de l'immigration choisie mais c'est mieux que rien, non ?)

    Elle est pas très haute sur pattes, Angela, elle doit faire à peu près ma taille (sauf que je suis nettement plus mince je tiens à le préciser – mais disons à sa décharge que je dois disposer de plus de temps qu'elle pour faire de la gym tout ça).

    Une petite bonne femme, donc. Et pourtant, vu que sous la charge de son poste éminent à elle, elle a grandi, c'est qu'elle est quoi ? Un grand homme. CQFD.

    C'est ce qui s'appelle réussir un test en grandeur réelle.

    Je ne l'idéalise pas, elle a certes ses limites (dont déjà celle d'être de droite), elle a fait des erreurs. Et pareil pour le gracieux Barack.

    Mais, à côté d'eux, disons que nos aspirants grands hommes d'ici semblent plus faciles à toiser.

    Toutes choses égales par ailleurs.

     

  • Le temps ne fait rien à l'affaire

     

    « Un vieillard est fier, dédaigneux, et d'un commerce difficile, s'il n'a beaucoup d'esprit. »

    La Bruyère  Les Caractères (De l'homme 117)

     

    Incontestable. Éprouvante expérience que de se confronter à l'aigreur et à l'amertume du vieuxschnockisme. Alors quelle angoisse, quand au détour d'une pensée ou d'une attitude on se surprend un sale jour à vieuxschnocker aussi.

    Quand bien même ce n'est qu'en tant que vieux débutant (parce que bon à mon âge Dieu me rafistole je ne suis pas encore dans la décrépitude totale, hein ?)

    Seulement voilà. Quand c'est l'autre qui est dans le rôle du vieux ronchon, on peut toujours l'éviter, prendre courageusement la fuite. Mais quand il s'agit du commerce avec moi-vieux-schnock on fait quoi ?

    Impossible dans ce cas de s'en tenir juste à « bonjour bonsoir comment ça va on fait aller tant qu'on a la santé hein ».

    Reste une solution : regarder les choses en face, analyser le comment du pourquoi, paramétrer les composantes de sa vieuxschnockattitude.

    Au moins ça occupe. Toujours ça de pris vu que l'aigreur vient assez souvent de l'inaction, la logique spinoziste ne laisse aucun doute là-dessus.

    Vous vous rappelez j'espère : action = joie, passion (non activité) = tristesse.

    Réfléchir, analyser, si ça ne fait pas de bien, ça ne fera pas de mal. C'est d'ailleurs cela, le remue-méninges, qui est l'action déterminante pour Spinoza, celle qui induit tout dynamisme.

    Et c'est vrai qu'il n'y a pas de pire ankylose que la paresse à penser.

    En plus qui sait ça peut nous apprendre deux trois trucs.

    « On ne vit point assez pour profiter de ses fautes. On en commet pendant tout le cours de sa vie ; et tout ce que l'on peut faire à force de faillir, c'est de mourir corrigé. Il n'y a rien qui rafraîchisse le sang comme d'avoir su éviter de faire une sottise. » (De l'homme 60)

     

    Mourir corrigé, ça me fait penser à la phrase de Lacan : « Le but de l'analyse c'est d'en sortir un peu moins con. »

    Bref tout ça pour dire que le vieillard qui a un minimum d'esprit, de lucidité et de capacité d'auto analyse finira par comprendre l'essentiel :

    « L'on espère de vieillir et l'on craint la vieillesse ; c'est à dire que l'on aime la vie et que l'on fuit la mort. » (De l'homme 40)

    Aimer la vie, fuir la mort : oui, voilà. On va dire ça.

     

  • Un monde de brutes

     

    « La cour est un édifice bâti de marbre ; je veux dire qu'elle est composée d'hommes fort durs, mais fort polis. » 

    La Bruyère Les Caractères (De la cour 10)

     

    Voilà qui est vraiment joli. C'est dans ce type de sentences lapidaires (c'est le cas de le dire, s'agissant de marbre) que La Bruyère est le meilleur, je trouve.

    Lisant ceci, je ne sais pas vous, mais je ne peux m'empêcher de faire le rapprochement avec nos cours actuelles. Dans les cours siégeant à l'Élysée, au Palais Bourbon ou à celui du Luxembourg, ou encore dans les conseils d'administration, dans l'empire des firmes ou des banques, on fait aussi dans la dureté.

    Et pour la politesse on repassera.

    Tout comme, soit dit entre nous, à la Cour de Loulou le Versaillais : le marbre n'est poli qu'en surface. Car ce qui est en jeu est une politesse qui ne se prouve ni ne s'infirme par des signes extérieurs. Une politesse qui est le contraire d'épaisseur, bourrinitude, bassesse morale.

    La vraie politesse, celle du cœur comme on dit, du coeur attentif.

    Tous ces gens-là, dans un palais ou l'autre, en sont ignorants bien au-delà de leur langage de charretier et de leurs façons vulgaires. Qui ne seraient pas si graves, d'ailleurs, s'il s'agissait d'une stratégie éthique semblable à celle des philosophes cyniques, ou encore mieux, d'un jeu gratuit.

    Mais qui parmi eux connaît le mot de philosophie ou de gratuité ?

    Leur impolitesse est le symptôme criant de leur faiblesse d'ego, de leur déficit de mérite personnel.

    On me dira on ne voit pas comment ils ne seraient pas à l'image du quidam lambda, lui aussi plus souvent qu'à son tour dur et ignorant de la politesse du cœur.

    Pratiquant le même orgueil rampant, aplati devant plus fort que lui, dominant à bon compte le faible (enfant, femme, handicapé, immigré, bref toute personne passible d'une quelconque dépendance).

     

    Conclusion ?

    Notre société est un édifice de béton ; on peut dire qu'elle est composée d'hommes fort durs et vraiment bruts.

     

    - Scrogneugneu ?

    Euh, c'est vrai, tu as raison, lecteur : je crains que cette lecture de La Bruyère ne soit en train de m'aigrir grave. Ou peut être est-ce l'air du temps ?