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  • Quand le peuple est assemblé

    Après avoir noté que tous les corps politiques sont mortels et portent en eux leur destruction programmée (III,11), Rousseau s'interroge cependant sur les moyens de les rendre aussi viables que possible. C'est à dire de conserver l'alliance nécessaire au bon Souverain : force et légitimité.

    À cet égard il énonce un axiome :

    Le Souverain ne saurait agir que quand le peuple est assemblé (III,12 Comment se maintient l'autorité Souveraine)

    (N.B. Rappelons-nous que le Souverain est l'autorité correspondant à la volonté générale. L'agir en question est donc législatif, l'exécutif étant du ressort du Gouvernement et des Magistrats.)

    La fréquente objection pas si facile quand le pays est grand et le peuple nombreux l'agace visiblement. Agacement pardonnable, vu qu'on lui a seriné souvent T'es qu'un petit Suisse tu peux pas comprendre les problèmes des Grands.

    Quand on veut on peut rétorque-t-il, témoin les assemblées des ensembles aussi vastes que l'empire macédonien. (Mauvaise foi on est d'accord, mais c'est de bonne guerre).

    Et puis comme en fin de compte il est surtout très sérieux, il consacre deux chapitres (III,13-14) à préciser des modalités aussi réalistes que possible pour organiser les assemblées en question.

    La principale est la nécessité d'aggiornamento périodique.

    Il ne suffit pas que le peuple assemblé ait une fois fixé la constitution de l'État (…) établi un Gouvernement perpétuel (…) pourvu une fois pour toutes à l'élection des magistrats.

    Outre les assemblées extraordinaires que des cas imprévus peuvent exiger, il faut qu'il y en ait de fixes et périodiques que rien ne puisse abolir ni proroger.

    Avec la précision essentielle : l'ordre même de s'assembler doit émaner de la loi.

    Périodiques donc, mais à quel rythme ? On ne saurait donner là-dessus de règles précises. L'important est de maintenir un bon contrôle démocratique, dont la règle d'or est plus le Gouvernement a de force, plus le Souverain doit se montrer fréquemment.

    Oui mais que faire quand l'État comprend plusieurs villes ?

    Devant cette nouvelle objection le petit Suisse persiste et signe dans sa théorie du small is beautiful.

    Je réponds encore que c'est toujours un mal d'unir plusieurs villes en une seule cité, et que, voulant faire cette union, l'on ne doit pas se flatter (caresser l'illusion) d'en éviter les inconvénients. Il ne faut point objecter l'abus des grands États à celui qui n'en veut que de petits.

    (Faut pas trop le chercher le JJ, vu ?)

    Mais il reste bonne pâte, et ce qui domine en lui est le souci de faire œuvre vraiment utile. Il a donc une solution pour les grands pas suisses.

    Elle est géniale, vous verrez.

  • Le nom commun d'anarchie

    Quand l'État se dissout, l'abus du Gouvernement quel qu'il soit prend le nom commun d'anarchie.

    En distinguant, la Démocratie dégénère en Ochlocratie, (gouvernement de la multitude) l'Aristocratie en Oligarchie.

    (III,10 De l'abus du Gouvernement et de sa pente à dégénérer)

     

    La dégénérescence (filons la métaphore biologique) provient de l'expression d'un gène qui perturbe le programme ADN du corps social (cf note Son moi commun).

    Or notre démocratie représentative est, si l'on utilise les termes de Rousseau, un mixte de démocratie et d'aristocratie élective. Elle présente donc une susceptibilité aux deux dégénérescences.

    Première dégénérescence, l'oligarchique : À l'instant que le Gouvernement usurpe la souveraineté, le pacte social est rompu, et tous les simples Citoyens, rentrés de droit dans leur liberté naturelle, sont forcés mais non pas obligés d'obéir.

    Rappelons que le Gouvernement est le mode de gestion du pays, on dirait aujourd'hui la gouvernance. La souveraineté est la prérogative du Souverain (qui est lui-même l'entité collective née du Contrat).

    Le Gouvernement usurpe la souveraineté quand les chargés de gouvernance (= aristocratie élective) (pour nous gouvernement et parlement, élus locaux, auxquels on peut ajouter la haute administration) agissent ou décident selon la logique et les intérêts des sous-groupes qu'ils constituent, au détriment de la logique d'ensemble du corps social.

    C'est la rupture du contrat venue du haut.

     

    La rupture peut aussi venir du bas, si chaque individu se décrète Souverain.

    C'est souvent en opposant la légitimité du "peuple" à la rupture oligarchique du pacte. Sur le thème "c'est eux qui ont commencé".

    Les citoyens en multitude (et non plus en corps) vont s'autoproclamer "Souverains", (c'est l'ochlocratie). L'ennui c'est que dans le Contrat social le pluriel du terme est une contradictio in terminis. Le Souverain n'est tel que par la volonté générale.

    À multiplier les volontés qui se veulent souveraines (individus ou petits groupes d'intérêt), on atomise la volonté générale, on s'achemine nécessairement au retour à la case départ du hors contrat social : le droit du plus fort, et la lutte insensée de tous contre tous.

    On ouvre alors la voie à une anarchie pain bénit pour les aspirants despotes qui  posent aux défenseurs de la démocratie. En ces temps de vérités "alternatives" plus c'est gros plus ça passe.

     

     

     

     

     

     

  • Mais sur le chemin

    Après cette classification des types de gouvernements, Rousseau explique qu'en fait aucun n'existe sous une forme simple, c'est juste de la théorie.

    Dans la vraie vie il n'y a que des formes mixtes composant en proportions variables les ingrédients de la vie politique (le nôtre par exemple est un mixte de démocratie et d'aristocratie élective telles qu'il les définit).

    Puis il envisage le meilleur gouvernement possible pour chaque pays, selon son étendue, sa géographie, son climat, son économie (chap III,8 Que toute forme de Gouvernement n'est pas propre à tout pays).

    Une réflexion bien représentative du physiocratisme en vogue au 18°s.

    Il est amusant de voir comment le côté concret et pragmatique de cette théorie est détourné par la tendance synthétique de la pensée de Rousseau. Ce qui donne des affirmations aussi improbables que :

    Quand tout le midi serait couvert de Républiques et tout le nord d'États despotiques, il n'en serait pas moins vrai que par l'effet du climat le despotisme convient aux pays chauds, la barbarie aux pays froids, et la bonne politie aux régions intermédiaires.

    (Et avec le changement climatique?)

     

    Mais il faut inversement rendre justice à sa réflexion suggestive sur l'éternelle tension de l'impôt : le rapport entre le devoir de contribution des citoyens et le bénéfice qu'ils sont en droit d'en retirer.

    Plus les contributions publiques s'éloignent de leur source, et plus elles sont onéreuses (matériellement comme psychologiquement).

    Ce n'est pas sur la quantité des impositions qu'il faut mesurer cette charge, mais sur le chemin qu'elles ont à faire pour retourner dans les mains dont elles sont sorties ; quand cette circulation est prompte et bien établie, qu'on paye peu ou beaucoup, il n'importe ; le peuple est toujours riche et les finances vont toujours bien.

    Au contraire, quelque peu que le Peuple donne, quand ce peu ne lui revient point, en donnant toujours bientôt il s'épuise ; l'État n'est jamais riche, et le peuple est toujours gueux.

     

    Pourquoi le mot peuple est-il dans un cas doté de majuscule et pas dans les autres ? Lapsus, incohérence ? Vu le rapport pointilleux de Rousseau à la précision des termes, je penche pour une différenciation voulue.

    Le peuple avec minuscule désigne les sujets, soumis au fonctionnement et au cadre de l'État. Le Peuple majuscule désigne les mêmes gens, mais quand ils exercent leur mode Souverain de dépositaires de la volonté générale.

    Conclusion, pour faire son bien de peuple minuscule, le Peuple doit prendre au sérieux sa majuscule (garantie du bien commun contre les intérêts particuliers), pour trouver une bonne circulation de l'impôt.

    Genre de chacun selon ses moyens à chacun selon ses besoins.