Le dernier mot de ce parcours, je le laisse à Montaigne. Parce que de temps en temps il faut vraiment se faire plaisir.
« Combien de fois, étant marri de quelque action que la civilité et la raison me prohibaient de reprendre à découvert, m'en suis-je ici dégorgé, non sans dessein de publique instruction ! Et si, ces verges poétiques :
''Zon dessus l'œil, zon sur le groin,
Zon sur le dos du Sagoin !''
s'impriment encore mieux en papier qu'en la chair vive. »
(Essais II, 18 Du démentir)
Les vers qu'il cite ont été commis par le grand Marot soi-même contre un dénommé Sagon.
Ils étaient en rivalité de poètes, et pas seulement pour la gloire, mais pour l'obtention de la reconnaissance sonnante et trébuchante de quelque mécène. Sagon trouva un bon moyen de griller son rival : attirer l'attention de François 1er sur la sympathie de Marot pour la Réforme naissante.
François, dont la sœur Marguerite de Navarre* était elle-même proche des réformés, fit ce que suggérait la prudence politique, il prit ses distances avec Marot qu'il appréciait beaucoup pourtant.
On comprend donc le côté un peu vénère des vers cités par Montaigne.
Ceci dit, dégorger sur le papier (même sans dessein de publique instruction, juste pour son instruction à soi déjà pas mal) sa mauvaise humeur en des mots bien sentis, vaut mieux assurément qu'en nourrir une violence réelle aussi inutile que nocive (qu'elle soit retournée contre soi ou infligée à autrui).
D'autant que, comme le fait remarquer Montaigne, les mots finalement ça imprime nettement plus.
*Grande dame fort cultivée, elle réunissait autour d'elle le gratin littéraire et intellectuel de l'époque. Elle est l'auteur d'un recueil de nouvelles sur le modèle du Décaméron de Boccace (cf le film de Pasolini), en moins olé-olé.
Son Heptaméron est constitué d'histoires que des voyageurs se racontent pour passer le temps, vu qu'ils sont confinés en attendant la décrue d'une rivière qui leur bloque la route ...