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  • Du virus (8/8) Utile

    « En un temps où le méchamment faire est si commun, de ne faire qu'inutilement il est comme louable. »

    (Montaigne Essais III, 9 De la vanité)

     

    L'épidémie aura eu l'avantage de mettre en lumière la différence entre les activités vraiment utiles à la société, voire vitales, et les autres.

    Il faudra (par pur optimisme je le dis au futur plutôt qu'au conditionnel) vraiment en tirer les conséquences.

    Aménagements économiques stratégiques (relocalisations, autonomie énergétique et alimentaire etc.), choix répondant à l'urgence écologique ...

    Et surtout remise à plat de notre logiciel de société (que je dirais si j'avais fait l'ENA) : rendre aux vrais métiers la considération et la rémunération qu'ils méritent sans toujours l'obtenir. Revoir donc l'échelle des salaires en fonction de la véritable utilité sociale, du sens véritablement humain.

    Mais je vais laisser tout ça à ceux qu'ont fait l'ENA (ou pas), et m'en revenir plutôt à Montaigne. Je dirai moins de bêtises (comment ça quoique?).

     

    Sa phrase, chose rare chez lui, sonne de manière désabusée, amère même. Utile, oui il aurait voulu l'être, en son temps méchant (et fou) des guerres de religion. Il a essayé de l'être, quand on a fait appel à lui. Comme maire de Bordeaux, et dans quelques missions diplomatiques.

    Mais davantage, faire vraiment carrière dans les hautes sphères, être en prise avec la réalité du pouvoir, ne lui aurait pas déplu. Ça ne s'est pas fait (manque d'occasions, inaptitude et vergogne à courtiser les grands), mais parfois dans son texte en affleure le regret comme ici.

    De ce deuil il se console donc : je suis inutile certes mais au moins je ne nuis pas, et tout le monde ne peut pas en dire autant. Et surtout mes Essais me sont un bon divertissement.

     

    Le destin (la fortune dirait-il) a été bien joueur, bien ironique sur ce coup-là. Peu d'œuvres, peu d'actions, auront été au total aussi utiles que ses Essais, pour des générations. Utiles à quoi ? L'essentiel : se souvenir d'être et rester humain. Et avec en prime beaucoup d'humour et un style magnifique.

    - Oui le style, le panache, c'est bien plus beau lorsque c'est inutile.

    - Ça c'est pas sûr, cher Cyrano. Beaucoup joignent l'inutilité à la mocheté. Mais disons qu'inversement c'est toujours un peu utile lorsque c'est vraiment beau.

     

    On me dira OK mais tout le monde ne lit pas Montaigne.

    Qui sauve une seule vie sauve le monde entier, dit le Talmud. Qui crée une telle œuvre éclaire au moins un coin du monde.

     

    J'ai eu de la chance, je me suis trouvée dans ce coin-là.

     

  • Du virus (7/8) Historique

    Ce virus mondialisé nous fait vivre une période historique. L'irruption dans nos petites histoires de l'Histoire avec sa grande hache. Perso je m'en serais bien passée. Pourtant je suis des privilégiés qui ne sont pas affrontés au plus destructeur, au plus angoissant. Et j'ai la chance de vivre en un pays où la protection de l'État envers ses citoyens n'est pas un vain mot.

    Quoi qu'en disent certains. On voudrait les y voir (non justement je voudrais pas).

     

    Quand tout sera fini cela paraîtra incroyable, surréaliste. Quand quand, quoi tout ? Chose sûre une crise économique dantesque.

    J'ai peur, j'avoue, que ça reparte de plus moche, laissant des cohortes de misérables au bord de la route, survivre (un temps) dans des conditions infra humaines (comme c'est déjà le cas pour les migrants).

    Je crains le rebond du pire virus : celui de la concurrence suicidaire à tous niveaux.

    On dirait que certains se réveillent parmi les gouvernants et décideurs, mais que deviendront les résolutions quand le vent du boulet sera passé ? Et que chaque pays, chaque région, chaque activité voudra tirer la couverture à soi ?

     

    C'est la maladie de compétition tous azimuts qui constitue la véritable co-morbidité de ce virus (comme de toute crise) c'est elle qui aggrave les dégâts mortels.

     

    Il s'agit surtout (à tous niveaux de la société) de questionner les modes de vie, discriminer utile et inutile, constructif et destructeur. Et accepter d'éventuelles frustrations qui en découlent. Si nous ne le faisons pas, si nous ne modifions pas certains paradigmes, nous aurons raté notre rendez-vous avec l'Histoire. Au sortir de cette tourmente, l'humanité va jouer gros.

    Espérons que ce ne sera pas à la roulette (russe haha) (et pareil évidemment chinoise, américaine) (qu'est-ce qu'on s'amuse).

     

    Je pense à la phrase fameuse de Nietzsche : ce qui ne me détruit pas me rend plus fort. Inversement si l'on ne se saisit pas de cette épreuve pour devenir collectivement plus forts par l'unité et la justice, combien seront détruits ?

  • Du virus (6/8) Aux confins

    « Confiner 1464 de confins

    1) tr ind 1466 Toucher aux confins, aux limites d'un pays. La Belgique confine à, avec la France.

    Être tout proche, voisin de. Les prairies qui confinent à la rivière. Fig La rêverie confine au sommeil et s'en préoccupe comme de sa frontière. (Hugo)

    2) 1477 Forcer à rester dans un espace limité. Voir enfermer reléguer. Cette espèce de retraite forcée où des circonstances passagères me confinent. (Sainte-Beuve)

    3) Se confiner. Se confiner chez soi. Voir se cloîtrer, s'isoler, se retirer. Fig se confiner dans un rôle voir se cantonner. »

     

    Il y a toujours des confins à un territoire, et donc, de proche en proche, on n'est séparé de rien ni de personne. On me dira et si on met une frontière entre la Belgique et la France, entre la prairie et la rivière ? La frontière peut empêcher un franchissement (de l'ordre d'une loi), mais elle ne peut rien contre la contiguïté (de l'ordre du fait).

     

    C'est pourquoi empêcher la transmission d'un virus (puisque c'est à lui que ce discours s'adresse) n'est une question de frontière, de traçage des limites, qu'au plus proche de chacun. Dans la contiguïté de chaque « confin ».

    C'est toute la logique des fameux gestes-barrière qui rendent chacun gestionnaire de sa frontière personnelle.

    Au passage remarquons ce paradoxe du contexte épidémique : protéger l'ensemble du corps social nécessite davantage de distance physique entre ses membres.

     

    Avoir raison du virus requiert ainsi une intelligence collective (c'est à dire citoyenne, démocratique) qui passe par l'autonomie. Le fait pour chacun de ne pas considérer la loi (nomos) comme quelque chose qu'on vous impose de l'extérieur, mais de l'intégrer à son fonctionnement propre. Dans le cas de lois justes évidemment. À l'inverse l'autonomie conduit à la résistance, la dissidence, face à des lois injustes.

     

    Le confinement a été une nécessaire propédeutique pour nos sociétés qui n'avaient pas été confrontées depuis longtemps à une maladie d'une telle puissance de contagion. Maintenant, après le passif être confiné, nous passons au pronominal (mode autonome) se confiner par le moyen des gestes-barrière.

     

    À part ça la phrase de Hugo (qui en connaissait un brin sur le confinement choisi) est un peu sibylline mais fort belle. Et tiens, puisqu'on est dans ces eaux-là, en prime :

    je rêve que je dors je rêve que je rêve. (Paul Éluard)