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  • Haïku

    Un haïku est un poème japonais qui consiste à noter, dans une forme à la fois brève et codifiée, une sensation, une impression, une image, dans sa fugacité, son évanescence. En fait il est particulièrement dans l'air du temps et le tropisme actuel de l'écrit court, c'est en quelque sorte la poésie-tweet. Classiquement il est composé de 17 syllabes réparties en trois vers : 5/7/5. Pas de rimes, pas de structure syntaxique complexe, le maître-mot qui préside à sa création est « karumi » qui signifie légèreté. (Oui je me la pète en citant un mot japonais, mais c'est dans tous les bouquins sur le haïku). Il y a encore des caractères formels à propos de la ponctuation, de la nature grammaticale des mots employés, mais je vous passe les détails techniques. Faire un cours, pourquoi pas, mais le faire court.

    Sur le plan thématique, classiquement encore, le haïku est un poème de saison. En hiver on écrit des haïkus d'hiver, ou sur l'hiver, au printemps des haïkus de printemps etc. Cela veut dire qu'on transcrit des impressions ou images de la saison correspondante, et en plus normalement le poème doit contenir un « mot-saison », genre pour l'hiver « hiver », « neige », « froid » etc. Les puristes pensent que le haïku est un art si japonais qu'il est impossible de le transposer, en clair qu'il est aberrant d'essayer de faire des haïkus en une autre langue, surtout les langues comme la nôtre, si différentes à tous points de vue du linguisme japonais. Eh bien au cas où ça vous aurait échappé je ne suis pas puriste. Voici donc des exemples pour le cas où vous auriez envie de tenter l'exercice. Ce sont des haïkus écrits par moi-même personnellement, haïkus de printemps car le printemps cette année est en avance, et puis comme ça c'est raccord avec la floraison de l'autre fois. (Pour ceux qui suivent).

     

    Aube de printemps,

    Oiseaux réveille-matin :

    Avec eux chanter !

     

    Fleurs de l'amandier ...

    Je plonge dans leur écume

    Ah ! Odeur de miel ...

     

    Semer des mots-graines,

    Eclosion de haïkus,

    ça c'est du printemps !

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • Grand-chose

    Va savoir pourquoi, j'ai eu le plus grand mal à trouver un mot en G qui me convienne. Enfin si, peut être parce que mon nom, mon vrai nom j'entends (Ariane Beth étant un pseudo comme vous le savez ou pas) commence par un G : et du coup je soupçonne que stagnent plus ou moins dans les replis de mon inconscient (retors comme sont les inconscients qui se respectent) de vagues histoires lacaniennes autant que complexes de Nom du Père et tout ce qui s'ensuit. La faute sans doute à ma relecture actuelle de Freud. D'ailleurs j'ai hésité à choisir Freud pour F, mais je m'étais donné comme règle en commençant cet abécédaire de ne proposer que des noms dits communs, et mon pointillisme obsessionnel m'interdit de déroger à une règle, d'autant plus quand je l'ai posée moi-même.

    Bref pour trouver un mot en G, j'ai fait appel à Robert Petit mon fidèle compagnon de délires scribouillards. Et une fois de plus il s'est montré à la hauteur de toutes mes espérances, me proposant des mots particulièrement tentants, comme garde-mite, gendelettre, giraumont, godelureau, godiche, grossoyer. Giraumont et grossoyer : excellents pour le jeu du dictionnaire. L'association godelureau/godiche ne peut qu'inspirer une nouvelle qui commencerait par « Godelureau et Godiche sont dans un bateau », et on les verrait galérer parce que Godiche aurait évidemment laissé glisser la godille de l'embarcation qui par ailleurs était dépourvue de gouvernail. Avec gendelettre on se dit qu'il faut être au moins Proust pour employer un mot pareil et ça rate pas, Robert illustre précisément sa définition (dont personne n'a besoin, le mot parlant de lui-même) par une phrase de Proust, à propos de qui on ne peut s'empêcher, malgré toute l'admiration que ne manquent jamais de susciter la finesse et la profondeur qui s'entremêlent en chacune de ses phrases, telles les arabesques des motifs art nouveau répondant aux volutes sonores de la musique de Debussy, on ne peut s'empêcher de penser donc, et même de dire, avec une brutalité que n'aurait pas reniée Basin de Guermantes, qu'il avait parfois un peu de temps à perdre.

     

    Si j'ai finalement retenu grand-chose parmi d'aussi alléchantes propositions, c'est que sa définition présente un caractère assez rare, peut être même unique. Jugez plutôt, je recopie :

    Grand-chose. n.inv. Fin XV° (ça nous rajeunit pas) de grand et chose (où va-t-il chercher tout ça?).

    1 Pas grand-chose : peu de chose. Ex : Cela ne vaut pas grand chose.

    2 Fam. Un, une pas grand-chose : personne qui ne mérite pas d'estime.

    Étonnant, non ? Robert pose un mot pour définir son contraire, et son contraire seulement. Grand-chose ne s'écrit que pour être nié du même mouvement. Voilà une curiosité qu'on peut nommer une « définition-rature ». Et en plus entre nous, définir pas grand-chose par peu de chose …

     

    Robert a donc écrit une définition à la fois inutile et incohérente. Vous savez quoi ? Heureusement qu'il ne s'est pas lancé dans la politique.

  • Floraison

    Au début de ce qui est à mon sens le chef d'oeuvre de Giono, Un Roi sans divertissement, il y a des pages absolument extraordinaires. L'arrivée de l'automne est décrite comme la préparation d'un rite sacrificiel sanglant, où les feuillages jaunes, rouges, ocres, sont comparés aux parures de prêtres aztèques. Giono y fait preuve d'une efficacité virtuose, d'une énergie verbale propre à catalyser l'imagination du lecteur. En tous cas la mienne, ces pages me fascinent toujours autant à chaque relecture. Il y a plein d'endroits de son œuvre où Giono en fait trop, pensée limite simpliste, affectation épique inutile, effets d'écriture appuyés. Pour ma part je l'accepte à peu près à cause de cette intensité jamais démentie qui est pour moi sa marque. Mais quand a lieu tout à coup un moment parfait d'écriture, comme dans le début d'Un Roi, je savoure vraiment. Allez (re)lire ça, et découvrir comment vont se jouer les meurtres annoncés, comment le sang et la neige vont construire leur partition angoissante, comment vont se rencontrer un loup et un homme dans le premier polar métaphysique de la littérature française.

     

    Quel rapport avec floraison ? Bonne question. Dans la campagne ces jours-ci c'est la floraison des amandiers. On les voit ici et là exploser à côté des autres arbres, des buissons encore nus et bruns. Ils se mettent à lancer un signal, une fusée de feu d'artifice qui éclate en bouquets blanc, rose pastel couleur aile d'ange, rose plus saturé flirtant avec le rouge. Sentinelles du printemps, guetteurs de la vie qui revient, ils s'épanouissent en un sourire si contagieux qu'en un instant il efface les pensées moroses des jours d'hiver, le recroquevillement des corps et des esprits : allez, debout, paresseux, finie l'hibernation, c'est pas tout ça, il y a un printemps à vivre !

     

    Les arbres automnaux de Giono, guerriers aztèques guettant leurs victimes, annoncent la violence et la douleur, les amandiers dans leur rire de pétales ouvrent sur la lumière, la chaleur, la suavité, la joie, toutes ces promesses de la belle saison.

    Et qu'est-ce que c'est bon à prendre !