Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

- Page 2

  • Exceptionnellement

    Voilà un mot qui se la pète bien. Déjà être un adverbe c'est (parfois, pas toujours, plus ou moins, tôt ou tard, discrètement ou pesamment) venir mettre son grain de sel dans une phrase où on ne l'attend pas forcément, mais où il va s'efforcer de capter toute l'attention. C'est le mot qui fait genre moi je viens juste pour mettre une touche finale, mais vous verrez ça peut tout changer. Le pire c'est que c'est pas tout à fait faux. Cependant il ne faudrait pas oublier que sans ossature verbale, musculature substantive, tissu mou adjectival, le vêtement adverbial resterait suspendu sans avoir où se poser.

    Dans le cas d'exceptionnellement, notons de surcroît que les adverbes en -ment ne sont pas les plus modestes du lot, on a l'impression qu'ils prennent plaisir à exhiber ce signe extérieur de leur adverbialitude. Et pourtant il faut reconnaître que le -ment en question ne sonne pas très bien à l'oreille, non ? Ici on se refuse carrément rien, déjà les deux doubles consonnes, et puis le X qui fait toujours son petit effet. En ce qui me concerne, les mots contenant un X m'impressionnent. Pourquoi ? Peut être parce qu'enfant sur mes cahiers de classe je n'écrivais jamais exercice sans quelque tremblement, contrairement à leçon qui me laissait l'âme en paix. C'est que l'exercice me sommait faire mes preuves, de passer à l'acte, de me mettre à entretenir avec le savoir une relation réelle, et pas seulement esthétique, à distance respectueuse. Heureusement il y avait un autre mot en X qui faisait office de médiateur, « exemple ». L'exemple permettait d'apprivoiser l'angoisse instillée par la question « saurai-je faire l'exercice ? »

    Quant au sens du mot exceptionnellement, la mégalomanie n'est pas loin. Ou alors le manque d'imagination. D'ailleurs les deux sont assez connexes. Car quelle chose se fait exceptionnellement en ce bas monde ? Même des actes relativement rares comme penser, il faudrait être de mauvaise foi pour les taxer d'exceptionnels.

     

     

    A ce stade, le lecteur ne pourra s'empêcher de se demander pourquoi j'ai choisi ce mot pour E si j'ai tant à lui reprocher ? En grincheuse qui avait envie de déverser sa bile ? Par pudeur, évitant de mettre à nu mes sentiments exaltés pour tel ou tel autre mot en E, comme esperluette ou écobuage ? C'est possible. Mais je me demande si je ne dois pas avouer que j'ai choisi ce mot pour en éviter d'autres, par exemple élections et européennes. Désastre démocratique annoncé, par l'abstention ou pire. Et pourtant paradoxalement il y a à la clé de ce scrutin un progrès démocratique dans le fonctionnement des institutions européennes. Enfin le président de la commission sera élu en fonction de la couleur du parlement. Trente ans que ce devrait être ainsi, que l'on aurait dû construire des institutions vraiment représentatives des citoyens européens, à travers lesquelles faire vivre une véritable fédération européenne, l'Europe politique qui nous fait cruellement défaut. Il n'y pas trop d'Europe, mais pas assez. Mais bon, il n'est jamais trop tard pour bien faire. E comme espoir ?

  • Dormir

    Premier verbe de notre série. Robert dans sa grammaritude précise qu'un verbe exprime une action un état ou un devenir. Lequel des trois pour dormir ? Dire que dormir est une action paraît paradoxal à première vue. Dormir c'est plutôt ne rien faire, ne pas agir, se mettre en position off, se débrancher, se retrancher, tout ce genre de choses. « Off » c'est bien dit en fait. Car qui dit sommeil dit, entre autres choses, rêve. Or le rêve se joue sur ce que Freud appelle « l'autre scène ». L'autre scène, c'est aussi le lieu répondant de la scène, à savoir la coulisse, d'où parle le cas échéant la voix « off ». Et c'est bien ça, quand on dort on se débranche du côté « on » de la vie visible dans le réel, mais on se branche sur le côté « off » où contacter l'inconscient. Donc dormir c'est à la fois faire et ne pas faire, être et ne pas être. Du moins dans ce sommeil qu'on nomme paradoxal. Donc, même si c'est sur un mode complexe, dormir, dans le genre verbe, est plutôt du style verbe d'action.

     

    Et ça vaut mieux, car quand on le considère comme un état, il se charge tout à coup de fâcheuses connotations. Dormir comme « dernier sommeil », repos éternel et tout ce qui s'ensuit. Ou plutôt ne s'ensuit plus. Ce qui permet d'affirmer clairement que si dormir peut être action ou état, il n'est jamais devenir. D'où le dicton « l'avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt ». Pour cela deux solutions, ou bien se coucher tôt, ou bien ne pas se coucher du tout. La première option fut longtemps celle de Proust, mais on doit à la vérité de signaler qu'il ne parvint à son objectif de retrouver le temps qu'à partir du moment où il adopta la deuxième option et passa ses nuits à écrire.

     

    En fait je n'aime pas le mot dormir. Curieusement, il a quelque chose de dur, de heurté. Mais que dire ? Faire dodo, j'ai passé l'âge et ça fait concon même pour les bébés, nonon ? Somnoler évoque le vieillard dodelinant et là j'ai pas encore l'âge. Roupiller ça fait corps de garde, s'abandonner aux bras de Morphée c'est too much et d'abord nous n'avons pas été présentés.

    Laissons donc reposer, j'y réfléchirai dans ma prochaine insomnie. Après tout D comme Demain.

     

     

     

     

     

  • Calendrier

    Un calendrier n'est pas sans rapport avec un dictionnaire, ils ont en commun le côté déclinaison de paradigme. Celui de l'alphabet pour le dico, celui de l'organisation de l'année, du mois, de la semaine, pour le calendrier. La différence, c'est que la « définition » est beaucoup plus succincte dans le calendrier : lundi ou mardi, le 12 ou le 13, février ou mars. Juste une base sur laquelle va se construire le jour en question. Le calendrier pose le cadre, et la vie crée le tableau. Voilà pourquoi les calendriers sont si poétiques et offrent un tel champ à l'imagination, au désir comme à la crainte.

     

    Ce qui nous amène à remarquer, du point de vue psychologique, que le calendrier est un objet d'élection pour les névrosés obsessionnels dont je me flatte d'être. Vous savez, ces gens qui savent dire « on s'est rencontré un lundi, il y avait du vent, vous portiez une robe blanche et moi une chemise bleue (ou l'inverse) », ces gens en qui se gravent les dates et pour cette raison ont le sens des commémorations et des rites. Dans les types les plus marqués dont je me flatte d'être, on ira jusqu'à 1°collecter autant de calendriers que possible, à l'occasion des étrennes aux éboueurs, pompiers, facteurs etc. 2° accepter avec reconnaissance le calendrier publicitaire offert gracieusement par le commerçant dont vous êtes le client avéré, 3° barrer rituellement sur chacun de ces objets fétiches le jour qui vient de s'écouler.

    Façon de l'inscrire au compte des jours de sa vie, et plus largement au compte des jours du monde en général ? Peut être que le calendrier, lors de ce rite, sert de silo symbolique où engranger la cueillette que l'on a fait du jour ? Le C de carpe diem rejoint celui de calendrier.

    C'est aussi, admettons-le, une façon de charmer une certaine angoisse, barrer le jour équivalant en quelque sorte à se dire « jusqu'ici tout va bien »...

    C comme Ciel me voici arrivée (ce n'était pas mon intention mais ...) à C comme Casser l'ambiance. Bon, C comme Ça suffit les Conneries.

     

    Allons sur du plus cool, le calendrier révolutionnaire avec ses noms de mois poétiques et simples à la fois. Là par exemple on serait en pluviôse … Bon, OK, c'est pas le meilleur, mais on avouera d'une part que c'est pas faux, d'autre part que ça fait bien image. Tandis que février, faut tout le secours étymologique de Robert pour s'y intéresser. En outre si vous êtes lacaniens, vous me concéderez que février est un mot qui ne met pas de bonne humeur.

     

    Mentionnons pour finir un usage sans conteste plaisant du calendrier, aller y chercher un prénom pour un personnage de roman ou de nouvelle. Plaisir semblable à celui des futurs parents à la recherche d'un prénom pour leur bébé. Cela dit de nos jours je doute que les jeunes parents cherchent dans le calendrier, ils vont plutôt sur internet j'imagine. Ou bien ils trouvent le prénom comme de tout temps on fait les meilleurs choix : par un coup de cœur.