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  • "Thrift thrift Horatio"

    Hamlet a ces mots cyniques alors qu'il est en train de parler de la pluie et du beau temps avec son pote Horatio (Acte1,sc2). Il est scandalisé par le sens de « l'économie » (thrift) de sa maman remariée sitôt veuve. Une économie qu'il image dans une métaphore : c'est comme si les restes de la viande froide servie à l'enterrement de Papa avaient été réutilisés pour le banquet de remariage avec Tonton.

    Freud aime beaucoup Shakespeare en général et en particulier Hamlet, en qui il voit une magistrale illustration de sa théorie du complexe d'Oedipe.

    « Ce n'est guère un hasard si trois des chefs d'oeuvre de la littérature de tous les temps, l'Oedipe-Roi de Sophocle, le Hamlet de Shakespeare et les Frères Karamazov de Dostoïevski, traitent tous du même thème, le meurtre du père. » (Dostoïevski et le parricide.1928)

     

    Il fait cette citation thrift thrift à l'appui d'une des idées centrales de son livre sur le Witz. Si les mots d'esprit, plaisanteries et autres histoires drôles nous plaisent, c'est qu'ils nous évitent de la dépense psychique.

     

    D'abord en nous permettant de relâcher un peu la répression, fort coûteuse en tension, que nous sommes obligés d'assumer envers certaines de nos tendances, inacceptables pour le fonctionnement social. Elles peuvent au contraire se donner libre cours impunément sous la forme humoristique.

    « Là où le mot d'esprit ne constitue pas une fin en soi (donc dans les cas différents du pur jeu des mots entre eux, dont on causait la dernière fois et auquel on va revenir après ce détour indispensable) il se met au service de deux tendances, qui peuvent elles-mêmes être envisagées d'un point de vue unique : il s'agit soit du mot d'esprit « hostile » (celui qui sert à commettre une agression, à faire une satire, à opposer une défense), soit du mot d'esprit « obscène » (qui sert à dénuder). »

     

    Les mots du prince Hamlet obéissent à ce principe d'économie psychique, laissant libre cours sous forme « plaisante » à l'hostilité/obscénité de ses relations embrouillées à Papa Maman Tonton. On peut d'ailleurs remarquer qu'Hamlet passe son temps à balancer tous azimuts un max de sarcasmes, à Polonius, au Tonton honni, à Maman chérie/détestée, et même à cette pauvre Ophélie qu'il est censé aimer. Hamlet joue avec les mots pour se jouer des gens, et aussi de lui-même, car il est doué pour l'autodérision. Une manière, dira Lacan qui en connaissait un rayon sur l'usage du sarcasme et de l'autodérision, de repousser autant que possible le moment de passer à l'acte. En l'occurrence tuer Tonton qui a tué Papa pour baiser Maman, dixit le fantôme de Papa qui a décidé de pourrir la vie de son fiston en lui faisant régler ses propres comptes. Un must dans le théâtre, comme on voit aussi avec le Cid. Et si ce n'était que dans le théâtre. Mais ne nous égarons pas.

     

     

  • Relâche

    « La technique (des jeux de mots) consiste à diriger notre attitude psychique vers la sonorité des mots au lieu qu'elle le soit vers le sens, à faire en sorte que la représentation (acoustique) du mot prenne la place de la signification, laquelle est donnée par les relations de celle-ci aux représentations de choses. »

    S. Freud Le Witz et sa relation à l'inconscient

     

    Freud parle ici de la catégorie des Witze qui suscitent le rire de façon automatique, en réaction aux carambolages de sons. Comme si le plaisantin, ses mots, et son public rieur étaient pris dans une mécanique commune, constituaient les éléments articulés d'une machine à rire.

     

    Notons d'abord que cette phrase récapitule implicitement le fonctionnement de base du langage. Le mot a pour usage habituel de re-présenter les choses. La mise en relation du mot « tel qu'en lui même » (= le signifiant) avec ce qu'il représente (= le signifié) constitue l'opération de signification. Nous la pratiquons constamment pour communiquer par le langage.

     

    La « fonction signification » du langage met en relation l'ensemble « mots » et l'ensemble « monde ». Par elle, les opérations réelles, ce qui se passe entre les vraies choses du vrai monde, trouvent leur projection dans des discours sur le monde et le réel. Lesquels discours, remarquons-le au passage, construisent une sorte de double du monde, au sein duquel peuvent alors se créer des relations autres que les seules projections du réel.

    Ainsi donc le langage ne sera pas toujours cantonné à sa fonction référentielle de dire le réel. Il peut en particulier s'adonner à un fonctionnement dit poétique dans lequel le mot reprend sa liberté, quitte pour un moment sa place dans la chaîne de signification. Le mot n'est plus employé, ouvrier, il devient son propre patron.

     

    Ce que Freud formule ici : la représentation (acoustique) du mot (c'est à dire donc le signifiant version son – il y a aussi sa version image dans l'écriture) prend la place de la signification.

    On accorde aux mots un moment de relâche dans leur job de représentation, leur rôle de relais entre le monde objectif et la subjectivité du locuteur. Et on les laisse pour un moment s'amuser un peu entre eux.

     

    Or il est facile de constater que lorsque les mots font ainsi relâche, notre tension psychique fait de même. Parmi les formes de comique ou de plaisanterie, celle-ci, ce moment de congé sabbatique de la signification, a le don de provoquer l'affect que Spinoza nomme hilaritas, la joie qui détend, qui dilate, la joie de se lâcher. Oui mais pourquoi ?

    Freud a quelques idées sur la question.

     

     

  • "Pas indispensable"

    "Je doute que nous soyons à même d'entreprendre quoi que ce soit sans qu'une intention entre en ligne de compte. Quand nous utilisons notre appareil psychique dans un but qui n'est pas la satisfaction indispensable de l'un de nos besoins, alors nous le laissons travailler tout seul pour son plaisir, alors nous cherchons à retirer du plaisir de l'activité qui lui est propre. Je suppose que c'est là, d'une façon générale, la condition à laquelle est soumise toute représentation esthétique, mais je m'y connais trop peu en esthétique pour vouloir développer cette proposition jusqu'à son terme."

    S.Freud, Le Witz et sa relation à l'inconscient (1905)

     

    Pour la définition du Witz (ou ce qui s'en approche), je vous renvoie, lecteurs, à ma note éponyme du 1er mai dernier. Car ou bien c'est moi qui reformule ou recopie ladite définition, ou bien vous qui allez chercher dans le blog. Je choisis ce qui m'arrange, en vertu de l'exorbitant pouvoir que me confère ma position blogueuse. Situation semblable, je m'en avise à l'instant, à celle de la fin du film Le bon la brute et le truand. C'est cool d'être du bon côté du flingue et/ou du texte. Bref, lecteur, « toi tu creuses », c'est comme ça.

    En fait, je suis persuadée que ça n'est pas pour toi un problème-bug-souci, que creuser ne te fait même pas peur. Sinon tu ne serais pas arrivé jusqu'à ces mots ici-même, tu aurais décroché dès la 2° ou au mieux la 3° ligne de la citation de Freud.

    Car, c'est là où je voulais en venir (mais parler c'est quoi sinon faire des détours, voir note Blabla du 6 février dernier, ça nous rajeunit pas) ce livre sur le mot d'esprit, la plaisanterie et ce genre de choses, est plutôt un drôle de livre qu'un livre drôle. Il y a bien quelques histoires juives délectablement absurdes. L'ennui c'est que Freud revient en boucle sur toujours les mêmes, analysées de différentes façons à différents moments du livre, dans une construction redondante et circulaire. Mais cela dit, comme redondantitude et circularitage sont souvent mes deux mamelles, je me garde bien de lui jeter la pierre, j'ai trop peur de l'effet boomerang.

    Bon c'est pas tout ça, attaquons la citation avec toute la concision qui s'impose. Qui va peut être finir par s'imposer non sans mal.

     

    1° Rien ne se fait sans intention. Qui n'estpas nécessairement un méga-plan très élaboré. L'intention est souvent une simple tendance à la satisfaction des besoins les plus basiques, et la tentative plus ou moins directe d'y parvenir.

    2° Lorsque le psychisme a l'air de travailler sans intention, c'est qu'au lieu de travailler pour le compte du besoin, il travaille pour son propre compte.

    3° Les activités inutiles, gratuites, absurdes, que se donne le psychisme juste pour le plaisir sont paradoxalement les seules qui lui soient absolument nécessaires pour être ce qu'il est.

     

    4° Parlons spinozien ce sera plus simple, et disons que le Witz (ou autre activité esthétique) est le conatus le plus adéquat de la psyché.