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  • "La pensée le troublait"

    Freud commence son article sous la forme d'une anecdote, comme on en raconte autour d'un repas entre amis, dans le cours sinueux de la conversation (qui selon l'arrosage du repas sinue plus ou moins).

    « Il y a quelque temps, je faisais en compagnie d'un ami taciturne et d'un jeune poète, d'une notoriété déjà reconnue, une promenade à travers un paysage d'été en fleurs. »

     

    1) L'expression paysage d'été en fleurs m'accroche, je ne sais pourquoi. On dirait un titre de tableau plus qu'une description directe.

    2) Ami taciturne. Pourquoi signaler ce taciturnisme ? Pour le contraste avec le jeune poète, par profession peu inhibé à se répandre, surtout s'il fait dans la goethitude et le lyrisme néo-romantique ? Ou bien par taciturne Freud laisse-t-il plutôt entendre déprimé voire mélancolique pour ne pas dire saturnien (on ne devient pas ami de Freud par hasard).

    3) Pourquoi poète déjà reconnu ? Il est clairement en pleine crise aquaboniste (décidément c'était pas l'ambiance cette balade, heureusement que Sigmund, lui, est un sacré boute-en-train), donc Freud tient à préciser qu'il ne s'agit pas là d'une amertume de loser comme il s'en rencontre chez les plumitifs de tout poil.

     

    En effet le poète admire la beauté de la campagne, l'herbe, les fleurs, mais n'arrive pas à en profiter car la pensée le troublait que tout ça ne dure pas. Genre ça m'intéresse pas d'aller voir le film vu qu'on m'a déjà raconté la fin 

    « Tout ce qu'il aurait sans cela aimé et admiré, lui semblait dévalorisé par la destinée à laquelle cela était promis, l'éphémère destinée. » (Nous y voilà).

    Je parie qu'à ce moment Freud a dû regretter de n'avoir pas plutôt cherché un quatrième (le plus cool et le moins poop possible) pour faire un bridge. Quoique. Si le saturnien taciturne se retrouvait à être le mort ?

     

    Bref en rentrant chez lui, il a un vieux besoin de se changer les idées, de se détendre avec un bon bouquin pas prise de tête. C'est pourquoi tout naturellement il se met à feuilleter Faust. « Anna, Liebchen, dis-moi un chiffre s'il te plaît – Ja, Vati : 1204 ! - 1204 ? Étonnant ... mmmhh alors : 12, ça te fait penser à quoi ? Et 12 divisé par 4 ? Euh … non laisse tomber. Alors 1202, 1203, 1204 voilà : 'Tout éphémère n'est qu'une parabole.' Ach ...Mais ça ne veut rien dire, c'est bien simple on dirait du Lacan ! »

     

    Et puis comme finalement rien n'amusait autant Freud que l'analyse de ce qui trouble les pensées (sauf peut être l'analyse des pensées troubles), il s'est mis à l'article que nous résumerons la prochaine fois. (A suivre)

     

  • Ephémère

    Éphémère destinée est le titre d'un article que Freud écrit en 1915. Joli titre, lyrique et romantique à souhait. En fait le titre original est un peu moins joli : Vergänglichkeit, c'est à dire éphémérité. Mot qui n'existe pas en bon français, c'est à dire chez mon ami Petit Robert. Comme souvent le problème pratique a donné lieu à une solution esthétique. (En fait le metteur en scène Peter Brook dit plus radicalement il n'y a pas de problèmes pratiques il n'y a que des solutions esthétiques. Une phrase dont la validité dépasse le cercle théâtral, et atteint des domaines fort divers. Mais on n'est pas là pour se raconter nos vies, revenons donc à notre divan).

    N'empêche Freud aurait pu trouver un titre lyrico-romantique lui aussi sans forcer. Même Michel Onfray ne pourra qu'en tomber d'accord : ce vilain petit bonhomme de Sigmund a d'innombrables défauts mais, Dieu nous déplume, il manie le plus souvent fort élégamment la sienne.

    Talent d'écriture rencontré par exemple dans ma note « Avant tout le mot » du 15 juin 2014. Que cette précision quasi maniaque ne vous étonne pas. Un blog est à l'image de son auteur, en l'occurrence soumis à une compulsion à l'organisation bien caractéristique d'un profil psychologique POOP, profil obsessionnel option phobique (cherchez pas dans le DSM je viens de l'inventer).

     

    Un profil dont je ne suis pas le seul spécimen. Car qu'apprends-je par une note en bas de page ? Ce titre est « une allusion aux vers 1204 et 1205 du Faust de Goethe ». De deux choses l'une. Ou bien c'est Freud lui-même qui l'a précisé, ce qui confirme sa propre poopitude. Ou bien ce sont les traducteurs qui, sachant que cet article fut écrit pour le Berliner Goethebund, sont allés compulser les milliers de pages de l'oeuvre de Goethe, en se disant « tel qu'on connaît notre Sigmund y a sûrement une allusion littéraire voire une citation littérale ». Entre nous j'espère qu'ils ont commencé par le Faust et ainsi n'ont eu à compulser que 1203 vers, ce qui reste humain.

     

    Bref les vers disent  : Tout éphémère n'est qu'une parabole.

    C'est ma traduction vu que les traducteurs ne traduisent pas - débrouille-toi ma fille. Normal me direz-vous ils étaient payés pour traduire Freud pas Goethe. Mais le problème pratique c'est que je n'arrive pas à comprendre ce que ça peut vouloir dire. De deux choses l'une. Ou c'est Goethe qui est un peu fumeux, ou c'est moi qui suis un peu fumiste. J'entends par là que je n'ai pas assez bossé l'allemand du temps de ma jeunesse folle pour être capable de correctement traduire. A la réflexion c'est peut être les deux. Car avec Goethe les Lumières commencent à bien se tamiser de nébulosités romantiques & stylistiques. Et moi faudrait que je me remette à jour en allemand, c'est clair.

     

    Il ne nous reste donc plus qu'à espérer que la lecture de l'article de Freud nous apportera quelques solutions esthétiques. A suivre, donc.

  • Pour l'amour de l'art

    Que dit le rapprochement des trois œuvres ? Et ce triptyque du seuil de la mort est-il un triste triptyque ? (Désolée c'était trop tentant)

    Si Le Chien est un autoportrait, il est logique de penser, dans l'hypothèse triptyqueste, que St Pierre et La Laitière en sont aussi, non ? Je suis logique, donc je le pense.

    Parmi les autoportraits, et portraits en général, il y a comme on sait portrait physique (apparence extérieure) et moral (comportement, psychologie). Les plus intéressants et révélateurs jouent parfaitement de l'interaction des deux registres. Et le nec plus ultra du portrait est ce qu'on peut nommer le portrait métaphorique, où l'artiste se révèle par un « si j'étais ».

    C'est ce que fait Goya avec les trois personnages. A travers eux il se ressaisit tel qu'en lui-même enfin l'éternité le change, récapitulant sa vie, sublimant, une dernière fois et de façon décisive, son être mortel grâce à son désir créateur.

    Si j'étais un animal ? Moi Goya, ex peintre de cour exilé à Bordeaux, peintre engagé, toujours en lutte contre l'obscurantisme, le despotisme, je ne me peins pourtant pas en vieux lion ou en aigle. Je suis un petit chien noir qui ne cherche qu'à jouer encore un peu sous le ciel menaçant, un ciel déjà linceul.

    Si j'étais une figure biblique ? Je serais Pierre, lâche renégat institué pourtant portier du paradis. Moi le paradis des religions j'y crois pas, j'ai vu trop d'enfer sur terre. J'appelle mon tableau Le repentir de St Pierre pour implorer de la postérité le seul pardon dont ait besoin un artiste : je n'ai pas changé le monde. Mais j'ai mis toute ma force à chercher et sauver la beauté jusque dans la laideur, l'angoisse, le mal et le malheur. Voici les clés de mon paradis, là au bord du cadre à portée de toi qui regardes, juste au-dessus de ma signature. Je suis Goya, peintre et serviteur de la beauté.

    Si j'étais … ce que je ne sais pas dire. Ce que toujours j'ai cherché, parfois trouvé et donné. Une chose à laquelle j'aspirerai jusqu'au dernier souffle. Qui sera mon viatique dans le passage vers la mort. Comment la nommer?Amour ? Joie du désir et désir de joie ? Peut être est-ce elle, la beauté elle-même, et l'art, ma raison de vivre, ma passion ? Si j'étais cette chose que je ne sais pas nommer et qui est ma vie, je serais cette femme. Parce qu'elle est là, maintenant, avec moi.

    On aura deviné mon intime conviction : Goya est bien l'auteur de La laitière. Mais il ne me déplairait pas qu'elle soit l'autoportrait, non plus symbolique mais bien réel, d'une femme, parente ou amoureuse, qui veille avec lui dans son dernier passage, peignant l'œuvre sur ses instructions (ou pas). Ou mieux encore La laitière serait les deux autoportraits ensemble. Car ce qui tenait le pinceau, de quelque nom qu'on le nomme, puissance de vie, désir, création, c'est la seule arme opposable la mort.

    Disons avec Papa Sigmund : la libido.