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  • Bornés & bourrins

     

    Spinoza lit la Bible comme une œuvre purement humaine, inscrite (je le dis avec nos concepts et mots actuels) dans la psychologie de ses auteurs, le contexte littéraire, historique et sociologique de ses lieux de production.

    « Car il soutient entr'autres choses, que comme on s'est conformé aux sentiments établis, & à la portée du Peuple lorsqu'on a premièrement produit l'Écriture, de même il est à la liberté d'un chacun de l'expliquer selon ses lumières, & de l'ajuster à ses propres sentiments. »

    Il s'emploie à l'observer comme un objet dont l'histoire de production est inscrite en lui autant que son contenu explicite.

    Le medium fait partie du message. Et par conséquent lire est une activité d'interprétation et non la réception passive du message absolutisé (c'est à dire hors la relativité du contexte, interne et externe).

    Les termes de l'interprétation peuvent ainsi se renouveler à chaque époque, tout comme varient les valeurs prises par une fonction mathématique à partir d'une unique formule.

    Devant cette conception radicale, inouïe, révolutionnaire, Colerus a ce cri du cœur « Si ceci était véritable, bon Dieu, où en serions-nous ? »

    Et pourtant que ce soit véritable n'est plus à démontrer que pour quelques fondamentalistes bornés. Lesquels ne se trouvent pas que chez les croyants.

    Il y a Dieu me nargue des athées bornés qui ont besoin de croyants aussi bourrins que possible pour ne pas croire. Absurde, non ?

    Et si le point de vue de Spinoza avait été admis par tous les religieux ou pas, m'est avis que le monde ne s'en porterait pas plus mal, mon pauvre Colerus.

    Spinoza avec le Tractatus inaugure donc l'exégèse biblique moderne. S'il l'a fait, ce n'est peut être pas qu'il a jeté les leçons des rabbins, mais qu'il les a au contraire parfaitement comprises.

    (« Tous les Juifs sont athées sauf ceux qui ne le sont pas », comme dit Paul Auster).

    Ce type de lecture permet de repérer dans la Bible les éléments utiles à la déconstruction du phénomène religieux en ce qu'il a d'essentiellement pernicieux :

    la justification d'un pouvoir fondant son arbitraire sur le fantasme mensonger de la transcendance.

    Et à tous les Colerus (ou pire) Spinoza le pointu balance une de ces flèches affûtées qui sont sa marque de fabrique :

    « Ils sont stupéfaits de ce qu'ils ignorent. Et de là vient que qui s'emploie à comprendre au lieu d'admirer* comme un sot est tenu un peu partout pour hérétique et impie, et proclamé tel par ceux que le vulgaire adore comme les interprètes de la nature et des Dieux.

    C'est qu'ils savent bien qu'une fois supprimée l'ignorance, l'admiration stupide, c'est à dire le seul moyen qu'ils ont d'argumenter et de maintenir leur autorité, est supprimée. Mais je passe. » (Éthique appendice 1ère partie)

    Avec lui nous passerons aussi. Mais avec lui nous n'en pensons pas moins.

     

     * NB "admirer" n'a pas nécessairement un sens positif. Il s'agit d'une fascination, d'une passivité qui inhibe l'intellect, "l'admiration stupide" comme il le précise.

  • Bible

     

    Tel Obélix dans la potion magique, Spinoza est tombé dans la Bible quand il était petit. Non seulement par une éventuelle pratique religieuse, mais très vite par l'étude.

    Il s'y forma à Amsterdam avec un rabbin fort instruit, déchiffrant le texte hébreu du livre, s'initiant à la pensée talmudique.

    Un travail à même de développer l'esprit de logique, d'étonnement, de questionnement.

    Si bien que d'Obélix il différa assez vite sur le plan intellectuel.

    « Spinosa fit voir dès son enfance, & encore mieux ensuite dans sa jeunesse, que la Nature ne lui avait pas été ingrate. On reconnut aisément qu'il avait l'imagination vive, & l'esprit extrêmement prompt & pénétrant. »

    (Vie de Spinoza par Colerus)

    Colerus s'étend d'abord sur son apprentissage du latin chez François Vanden Ende, médecin à Amsterdam. Or figurez-vous que ce Vanden Ende était un sacré loustic.

    Il montrait à ses Disciples autre chose que le Latin. On n'ose comprendre ... On découvrit qu'il répandait dans l'esprit de ces jeunes gens les premières semences de l'Athéisme (ah ouf).

    Mais donc voilà le potum aux rosas.

    Le latin fut cause fatale de la dérive de Baruch vers l'athéisme de Benedictus. Alors qu'il aurait pu, benoîtement, adhérer à l'église luthérienne comme les gens bien genre le pasteur Colerus.

    Colerus nous apprend aussi que Baruch, amoureux de la fille Vanden Ende, se fit doubler par un plus malin et plus riche surtout (et aussi moins Juif ?), qui offrit à la donzelle un colier de perles de la valeur de deux ou trois cents pistoles.

    (Ah les femmes, toutes stupides et vénales).

    N'empêche à quoi ça tient. Si Spinoza avait marié Melle V E, tout occupé à lui faire des enfants qu'il aurait ensuite fallu nourrir, il n'aurait pas eu le temps pour ces pensées oiseuses qui nous occupent à présent.

    (Au détriment hélas de choses utiles à l'humanité comme le commerce ou la banque).

    Bref faute d'amoureuse, Spinoza se proposa l'étude de la théologie, puis trouva que tout ça était trop fait d'imaginaire, pas assez dans la vraie vie.

    Alors il abandonna la Théologie pour s'attacher entièrement à la Physique. Et se mit à une lecture aussi assidue que critique de Descartes.

    « Il fut dès lors fort réservé avec les Docteurs Juifs. » note Colerus avec un plaisir non dissimulé.

    Mais voilà : Spinoza avait assez appris (avec eux, et aussi en les observant) pour que la substantifique moelle de sa fréquentation biblique donne le Tractatus theologico-politicus (1670).

    Le bouquin figurez-vous n'a pas plu du tout à Colerus, qui balance : « C'était un ouvrage pernicieux. » Carrément. Pourquoi tant de haine ?

    Nous le verrons la prochaine fois.

     

     

  • Baruch

     

    Pourquoi Papa et Maman Spinoza ont-ils prénommé leur fiston ainsi ? On me dira que cette question n'est pas importante.

    Pourtant chercher le prénom de l'enfant à venir est dire quelque chose d'un désir (ou d'un fantasme, ou d'une injonction, ou tout cela ensemble) quant à sa place dans le monde.

    Anachronisme me rétorquera-t-on : à l'époque les prénoms se transmettaient de génération en génération selon des canons de piété familiale (comme cela se fait encore couramment ailleurs et parfois ici).

    Baruch il fut nommé probablement parce que c'était le nom genre d'un grand père, d'un tonton, d'un frère mort en bas âge.

    OK mais remarquons que chacun de ces exemples implique un climat de venue au monde bien différent. On ne peut donc éluder la question des motivations du choix même à l'intérieur d'un cadre contraint.

    Exemple Vincent ou Théo ça changera des choses qui sait.

     

    La biographie de Colerus commence bien sur cette question du prénom, mais non pour expliquer le choix des parents (qu'il ignorait comme vous et moi, et peut être eux-mêmes).

    « Spinosa ce Philosophe, dont le nom fait tant de bruit dans le monde, était Juif d'origine. Ses parents, peu de temps après sa naissance, le nommèrent Baruch. Mais ayant dans la suite abandonné le Judaïsme, il changea lui-même son nom, & se donna celui de Benoît dans ses écrits & lettres qu'il signa. »

    Il changea lui-même son nom. Son prénom plutôt, sa marque individuelle, sans s'extraire du cadre de sa lignée. D'ailleurs son patronyme avait tout pour lui convenir (en latin spinosus = épineux d'où pointu d'où au figuré subtil).

    À l'inverse de changements plus étudiés (Labrunie devint de Nerval en misant sur la particule, de Crayencour étant plutôt femme de tête se fit Yourcenar, Smet Hallyday yeah yeah, & autres illustres auteurs), de Baruch à Benoît ce n'est qu'une traduction. (En fait Benedictus, Colerus traduit à son tour pour des lecteurs français).

    Est-ce pour souligner l'abandon du judaïsme (en réalité c'est sa communauté locale qui l'a rejeté) ? Ou plutôt pour signifier relativité, contingence de toute appartenance autre que la seule adhésion qui valait pour lui : à la République des idées.

    Elle était ce lieu symbolique où savants et penseurs de toute l'Europe dialoguaient. Et dialoguaient en latin, langue internationale. Donc langue choisie par Spinoza pour écrire ses livres et les signer Benedictus.

     

    En outre cela me fait penser à un certain Szygmunt se renommant Sigmund (qu'on peut entendre sieg-mund = bouche de/pour victoire). Traduction du prénom, interprétation de soi.

    En tous cas Baruch n'était certes pas béni oui oui, c'était un vrai rebelle. Mais à sa façon.

    Une façon de rébellion dont le plus déterminant est peut être, paradoxalement, d'assumer de porter quelque chose comme une bénédiction universelle.

    « Par réalité et perfection j'entends la même chose ». Signé Baruch.