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  • Démontrable

     

    Cette histoire de façon géométrique (more geometrico) est l'élément qui contribue généralement à dissuader le lecteur lambda de lire l'Éthique (y a aussi le fait que c'est un gros livre avec beaucoup de pages en petits caractères).

    Il va alors chercher des leçons de vie dans le dernier bouquin de filozofs buzzeurs z'et médiatiques z'et nettement plus lizibles sans z'effort que Spinoza mais z'un peu moins zéniaux ze dirais.

    Certes tous les conatus sont dans la nature. Mais :

    1) Je ne suis pas sûre que ce soit un bon calcul côté rapport qualité/prix. Mon édition bilingue (latin + traduction) assortie d'annexes aussi croustillantes que la vie de Spin par Colerus ne m'a coûté que 10 euros.

    Comparez.

    2) Pourquoi le géométrique spinoziste est-il si dissuasif pour l'éventuel lecteur ? (That is the very question comme ne disait pas Spinoza). Réponse parce qu'on croit généralement la logique mathématique difficile à suivre.

    3) Cette croyance est un préjugé, ou alors le post-trauma d'une scolarité sous le signe du zéro en math. Chiffre ô combien complexe et dans ce cas devenu complexant.

    Spinoza a perçu le risque de perdre des lecteurs en «(procédant) à ces démonstrations selon notre prolixe ordre Géométrique »

    (Éthique partie 2 scolie prop 18).

    Raisonner ainsi étant tisser une toile fil à fil, et sans perdre le, il y faut c'est vrai de la patience, qualité peu pratiquée de nos jours.

    Et avant pas tellement non plus, car ambitionnant d'autres lecteurs que les patientes araignées de son plafond, Spinoza se résout à quelques entorses à l'ordre géométrique.

    Préface à chaque partie (sauf la P1 commençant dans une abruptalité qui est un bon test de motivation), démonstrations assorties de scolies* propres à faire eurêker le lecteur insuffisamment aigu.

    Ainsi à quelque niveau d'acuité ou d'arachnéisme qu'on en soit, on peut faire deux lectures parallèles du livre (dit Deleuze).

    L'une pas à pas dans l'ordre des propositions sans lâcher le fil de sa logique abstraite. L'autre plus buissonnière voire papillonnante, à travers les passages plus concrets ou imagés.

    Naturellement le but est d'avoir tout lu à l'arrivée, du moins si l'on veut vraiment comprendre. Mais le mieux est de s'y prendre à sa façon.

    Spinoza a adopté la forme d'écriture géométrique pour une raison simple et déterminante. L'avantage du raisonnement mathématique c'est qu'au premier décrochage ou inattention on est paumé.

    Par conséquent c'est un parfait garde-fou anti-flou. Et ainsi on ne perd pas de temps en débats oiseux. Et donc l'apparent long détour de toutes ces démonstrations est en fait économie de temps et d'énergie.

    Économie indispensable parce que l'éthique, de son temps comme du nôtre, c'est urgent.

     

    * Robert dit : scolie ou scholie n.fém et masc (un mot accommodant, non ?)

    1)au féminin : annotation philologique et historique due à un commentateur ancien, et servant à l'interprétation d'un texte

    2)au masculin : remarque à propos d'un théorème ou d'une proposition (c'est donc çui-là dans l'Éthique. Quoique. Du 1, « y en a aussi » comme il est dit dans une immortelle séquence des Tontons flingueurs.)

     

  • Comprendre

     

    Plaçons-nous dans la préface de la partie 3 de l'Éthique pour comprendre quelle opération intellectuelle Spinoza désigne par le terme de comprendre.

    Autant prendre les choses par le bon bout, car il est très à cheval sur la précision des termes, c'est le genre de mec qui a horreur du flou. Les chiens font pas des chats.

    Euh c'est pas ça. Je voulais dire qu'araignée et mouche du coche c'est pas du tout le même cursus, faut choisir. Et Spinoza a choisi.

    « Pour la plupart, ceux qui ont écrit des Affects et de la façon de vivre des hommes semblent traiter, non de choses naturelles qui suivent les lois communes de la nature, mais de choses qui sont hors de la nature.

    On dirait même qu'ils conçoivent l'homme dans la nature comme un empire dans un empire. »

    La radicalité matérialiste du propos se passe de commentaires, je n'en ferai donc pas.

    Et pourtant comme il serait tentant, pour l'araignée qui sommeille en moi, de tirer patiemment le fil de cette dernière phrase pour en dérouler des propos entre-tissant écologie, psychologie, philosophie pourquoi pas.

    Puis, planquée dans ma toile, attendre les animaux buzzant qu'attire toute toile qui se respecte, et … Bref.

    « Ils attribuent la cause de l'impuissance et de l'inconstance de l'homme non pas à la puissance de la nature mais à je ne sais quel vice de la nature humaine. »

    Donc il donnent des conseils pour bien vivre, mais non fondés sur une étude véritable des affects. Du coup forcément ça marche moyen.

    « Je sais bien entendu que le très célèbre Descartes (…) s'est appliqué à expliquer les Affects humains par leurs premières causes, et à montrer en même temps par quelle voie l'Esprit peut avoir sur les Affects un empire absolu ;

    mais à mon avis du moins, il n'a rien montré d'autre que la pénétration de son grand esprit. »

    Piquant, non ? Mais c'est juste un coup de patte en passant (sur Descartes il a fait un bouquin entier).

    « Je veux revenir à ceux qui aiment mieux maudire les Affects ou actions des hommes, ou en rire, plutôt que les comprendre.

    Ceux-là, sans aucun doute, trouveront étonnant que j'entreprenne de traiter des vices et inepties des hommes à la façon Géométrique, et que je veuille démontrer par raison certaine ce qu'ils ne cessent de proclamer contraire à la raison, vain, absurde et horrible. »

    Car là où ils sont cons (je résume) c'est qu'ils ne voient pas que notre inclusion dans la nature inclut du même coup notre raison dans la sienne, disons dans son fonctionnement (pas d'anthropomorphisme déplacé).

    CQFD point barre c'est pas sorcier quoi. Donc foin de métaphysique vive la physique. Et la physique s'étudie grâce à la mathématique (ou géométrie il emploie les deux indifféremment).

    «Je traiterai donc de la nature des Affects et de leurs forces, et de la puissance de l'Esprit sur eux, suivant la même Méthode que j'ai utilisée dans ce qui précède à propos de Dieu et de l'Esprit (en effet : partie 1 et 2 du livre),

    et je considérerai les actions et appétits humains comme s'il était question de lignes, de plans ou de corps (de figures en 3D il veut dire). »

     

     

  • Conatus

     

    Imaginons une chose totalement improbable : je serais flemmarde. Et pour le mot conatus je vous renverrais sans vergogne à la date du 9 juillet 2013 dans ce blog.

    En fait je suis flemmarde, mais j'en compense les dommages par une obsessionnelle scrupulosité (- tude ?) dans l'archivage & classement. Habile, non ?

    Mais je veux bien vous éviter le désagrément d'aller traverser, à mains nues sur le clavier, les strates de ce blog. Un effort harassant et risqué que je ne peux comparer qu'à celui d'ouvrir son chemin à coups de machette dans une jungle hostile.

    Donc auto citation avec légers remaniements. Simplificateurs. Oui je rigole. Si vous êtes paumés, prenez votre machette et allez donc la voir, ma lecture suivie.

    J'ai travaillé pour l'écrire, maintenant je flemmarde et c'est à vous de vous bouger car :

     

    «" Unaquaeque res, quantum in se est, in suo esse perseverare conatur.

    Chaque chose, autant qu'il est en elle, s'efforce de persévérer dans son être."

    Cette phrase (Partie 3 prop 6) est la plus essentielle peut être de l'Éthique. Essentielle au sens propre, qui fait toute la particularité du génie de Spinoza, sa fine pointe.

    Comme il y a le bleu de Klein, le cogito de Descartes, l'illumination de Rimbaud, il y a le conatus de Spinoza. Conatus se traduit par effort, ce qui est inévitable mais peut prêter à contresens.

    Dans un système où chaque élément, du fait même qu'il existe, tend nécessairement vers son accomplissement, que dis-je est d'emblée par-fait, il suffit de ne pas endiguer l'énergie qui imprègne tout.

    Paradoxe donc d'une notion d'effort qui consiste à suivre sa pente, à se laisser vivre, mais au sens actif et non passif (attention tout est là). Il n'y a pas à y aller par quatre chemins l'éthique tient dans un mot : oui (dirait aussi Nietzsche je radote pardon c'est mon conatus).

    Le monde et la vie sont à prendre ou à prendre. Et c'est de le comprendre (vraiment) qui donne accès à la seule liberté qui vaille, la liberté en acte : telle est la force radicalement affirmative de l'Éthique.

    Car ce je prends est le contraire d'une attitude de résignation, de soumission fataliste. Seule la saisie résolue du monde réel, hors simulacres, abstractions, fantasmes, libère la puissance et l'action.

    Bref ce qui est posé ici, c'est l'incompatibilité logique (quoique paradoxale) entre négation du déterminisme et liberté d'être et d'agir.

    (Oui j'avoue cette phrase est presque aussi pensée qu'un tweet, dans la même recherche de densité et subtilité. Mais à la philo comme à la philo.)

    "Quantum est in se" : ces mots notent un rapport, le quantum d'être de chaque individu rapporté à la totalité de la substance dont il participe.

    Ce rapport définit chez Spinoza la manière d'être de chaque individu. Qui est ainsi conçu non pas en statique mais en dynamique.

    Évitons donc un double contresens. Le conatus ne construit pas une identité rigide, mais induit au contraire une adaptation continue aux autres éléments du système.

    Il ne correspond pas à une force qui va dans le style ça passe ou ça casse, mais il est au contraire la force de connexion à l'énergie d'ensemble, et par conséquent participe aussi de son maintien global. »

     

    Voilà reformulé mon écrit de ce temps-là. Et vous savez quoi ? Je souscris à ma reformulation.

    Le conatus vous dis-je.