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  • Ouessant

     

     

    « Ouais je suis pas sûr que c'était une bonne idée, la Bretagne en septembre.

    - Si tu arrêtais un peu d'être négatif une fois, pour changer ?

    - C'est pas une question de négativité, Françoise. Mais avoue que là c'est ce qu'on peut appeler une absence de perspective, non ?

    - Tu veux dire pour nous ? Notre couple ?

    - Notre couple ? Qu'est-ce que ça vient faire ? Je dis juste que d'ici on était censé voir l'île d'Ouessant, mais avec ce brouillard qu'on dirait de la ouate … Quoi notre couple ? Tu lui reproches quoi à notre couple ?

    - Eh bien en fait puisque tu en parles, il faudrait qu'on ait une discussion, qu'on aille un peu au fond …

    - Au fond de quoi ?

    Au fond de l'inconnu pour trouver du nouveau …

    - Quoi ? Attends tu es en train de me dire que tu … Quel nouveau d'abord ? Le frimeur de l'autre soir, à la fête chez Édouard ?

    - Lequel de frimeur ? Parce que ça manquait pas …

    - Mais si, tu sais, le con qui rentrait de Ouagadougou … ou de Ouarzazate …

    - Non, il rentrait de Ouaterloo.

    - Ah tu vois tu l'as remarqué !

    - Mais non, l'inconnu, le nouveau tout ça, c'était une citation. Un poème. Mais laisse tomber.

    - Voilà ! Je l'attendais celle-là ! Parce que j'ai pas traîné à la fac de lettres comme Madame, je suis un inculte moi, vas-y dis-le, puisque c'est ce que tu penses ! Ah tu veux qu'on aille au fond, eh bien on va y aller. Tu crois que c'est marrant pour moi de toujours naviguer à vue avec toi ? De me dire que d'un moment à l'autre la météo peut changer, que ta bonne humeur peut se transformer en grand frais ? Et après va tenir le cap, dans le brouillard, avec un vent force 4 …

    - C'est quoi cette métaphore pourrie ? Tu vois que tu fais dans la littérature quand tu veux … Hein mon Chouchou, allez, on est en vacances, on est bien. Et puis regarde, ça se dégage sur la baie. On va finir par la voir, notre île d'Ouessant …

    - Ouais ouais. Mais tu sais ce que dit le proverbe ici : qui voit Ouessant voit son sang.

    - Mais c'est pas vrai ! Tu le fais exprès ou quoi ? Et après tu diras que t'es pas négatif ? À moins que ce ne soit une manière élégante de m'informer que tu as des envies de meurtre à mon égard ? Eh bien rassure-toi Chouchou c'est réciproque. »

     

     

     

     

  • Sous la plage un pavé

     

    Pour ses congés, Ursule cette année est allée à la mer. Une rupture avec ses habitudes. Car elle passe systématiquement son mois de repos annuel à la montagne.

    Parce que la montagne, précisément, c'est reposant. L'été, bien sûr. À la saison du ski, au contraire, la montagne, elle la fuit. Car Ursule n'a pas la fibre panurgique.

    « Être obligé de s'entasser, de faire la queue, de subir la proximité de gens bruyants, pas toujours polis, bref s'exposer à manquer des égards minimaux qu'on est censé attendre des autres dans une société digne de ce nom : pas pour moi. » se dit-elle.

    « D'ailleurs », s'ajoute-t-elle, « à considérer les choses sous cet angle, on peut énoncer un axiome sociologique. Il y a permutation des désagréments et agréments de la montagne ou de la mer entre saison chaude et saison froide.

    À la montagne l'été, à condition de contourner les itinéraires les plus courus, on peut toujours dénicher le coin où profiter en toute quiétude des bienfaits de l'altitude, de la solitude au calme de l'alpage. Là il y a des moutons mais sans Panurge.

    À la mer c'est le contraire. Des moutons à Noël, et Panurge au quinze août. »

    Alors pourquoi diable Ursule a-t-elle choisi la mer cet été, au détriment de sa sérénité ? À cause de la sienne. De mère.

    « Le mois prochain je t'emmène en congé, Maman, si ça te dit.

    - Quoi ? Me changer ? Tu n'aimes pas ma robe ?

    - Non : con-gé Maman. Aller en congé toutes les deux.

    - Congelée ? Oui il fait froid ici. Emmène-moi quelques jours au soleil, sur la Côte d'Azur, là où nous allions, tu te rappelles ? »

    C'est ainsi qu'Ursule a atterri ici, allongée sur le sable, ayant conquis de haute lutte la surface minimale où poser les draps de bain, entre papiers gras et mégots.

    Faisant abstraction de l'ambiance sonore (haute teneur en décibels garantie grâce aux enfants du drap limitrophe), s'abritant tant bien que mal, de son bras replié, du chien accouru s'ébrouer près d'elle (elle y peut rien les animaux l'adorent), Ursule tente de se détendre.

    Sa mère, elle, est toute contente. Elle se hâte pour aller à l'eau, dans une joie d'enfant. Ursule sourit. Allons, elle n'aura pas sacrifié la paix de la montagne pour rien. Et elle la suit du regard, tendrement.

    Mais tout à coup, boum, elle est tombée ! Ursule se précipite. Sa mère a buté sur un galet. Non, pas un galet. Ursule n'y croit pas : sous le sable de la plage, un … Pas possible !

    « Emportons-le, ma chérie, je le mettrai sur ma table de nuit, ça me rappellera mes nuits de mai à la Sorbonne, mes jeunes étudiants ... »

     

     

  • La sangsue et la mordue

    « Aime-t-elle Beethoven ? » En sept lettres.

    Margot adore les mots croisés. Elle ne sait dire la motivation ni l'origine exacte de cette passion (frôlant l'addiction elle l'admet volontiers).

    Mais chose certaine, cette activité (est-ce le mot ?) a le don de désamorcer sa machine à gamberges, de la détendre, d'éviter la cigarette (enfin disons de retarder la prochaine, si l'on désire être vraiment précis).

    Les mots croisés installent dans le rapport avec les mots un climat comment dire : bon enfant. Voilà, bon enfant.

    Les mots croisés, c'est plein de petites vannes faciles à éventer, de feintes à trois balles. Même, et davantage en fait, dans le cas de grilles soi-disant complexes, nécessitant paraît-il des connaissances, de la finesse.

    Elle fait le rapprochement avec le poker. Dans la partie de poker, la force objective des cartes n'a rien de déterminant (sans être totalement négligeable d'accord). Compte essentiellement l'art de laisser l'adversaire imaginer, s'interroger.

    L'art de laisser croire, de faire croire. L'art de faire semblant. 

    De même, les grilles dites difficiles le sont en fait, si on les analyse, par la mise en condition préalable. Point barre. Des renommées assises, mais mensongères.

    C'est comme avec la philo finalement, les math, ces savoirs dits abstraits. Certains les abordent avec sentiment d'incompétence, dans l'inhibition. Trop dommage.

    Les grands hommes (et femmes) et les grandes choses sont simples. Elle le sait, ça n'a pas nécessité longtemps de le savoir. Mais la simplicité effraie, là est le hic.

    Et ça, Margot a mis longtemps à l'admettre …

    Allons allons, éviter la gamberge on a dit.

    « Aime-telle Beethoven ?» Décidément : bon enfant. Clin d'œil, second degré en toc dont on sait ne tromper personne. Mais on l'ose par simple plaisir de la connivence.

    Comme ces charades idiotes dont Margot se délecte pareil. Exemple « Mon premier est dans la mer, mon second dans le verger, et l'ensemble le nom d'un grand roi de France ».

    Le genre de choses à la faire rire encore et encore. Dans sa tête elle a cinq ans. Maxi. Et elle rigole avec sa grille de mots croisés comme on rigole avec sa bonne copine à la récré ...

    Alors, voyons après y a ... En 4 lettres : « Il paresse mais il s'accroche ».