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  • Un pote âgé

    « Pourquoi j'écris de si bons livres » explique Nietzsche dans Ecce homo.

    Pourquoi je trouve les livres de Nietzsche si bons ? À cause de son génie de l'aphorisme.

    L'aphorisme, une des formes les plus achevées de la littérature. En tous cas une de celles le plus à mon goût.

     

    Un auteur chinois nommé Hong Zicheng, qui vivait au XVII° siècle, a écrit un recueil d'aphorismes intitulé Propos sur la racine des légumes.

    Hong était un lettré, un sage s'adonnant à l'étude et à l'écriture. Je ne sais s'il était vraiment une grosse légume, mais en tous cas avait suffisamment de radis pour mener sans souci matériel une vie consacrée à livrer les fruits de sa réflexion.

    Son texte n'a rien d'un navet, le style en est goûteux. Je propose que nous en savourions de conserve quelques extraits. 

     

    Du temps où je fus prof, j'inscrivais au tableau en début de cours, pour chacune de mes classes, une phrase du jour. J'allais la chercher dans la littérature française ou étrangère, dans le cinéma.

    Elle était l'occasion de petits échanges avant de se mettre au « vrai » travail. Comme on croque des tomates cerises en guise de hors d'œuvre.

    Un peu de la même façon, je vous propose de croquer dans la racine des légumes accommodée à la mode de Monsieur Hong.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • Magis

     

    Mais n'est pas sans parenté avec quoique. C'en est un cousin.

    Mais un cousin plutôt discret. Il n'investit pas la phrase bille en tête en faisant claquer un son heurté, il s'y glisse dans un minimum articulatoire flirtant avec le murmure.

    Discret mais d'autant plus efficace. S'insinuant dans l'esprit de l'auditeur sans le mettre sur ses gardes.

    Si l'on s'en tient à l'étymologie (mais vient de magis = plus), son apparition dans le discours ne devrait pas conduire à polémiquer mais à construire.

    Mais intervient pour apporter une pierre de plus, un élément supplémentaire au débat, un regard augmenté sur la situation.

    Élément supplémentaire, mais à tendance clairement complémentaire.

    Il s'agit de chercher un équilibrage. Mais est un modérateur.

    Ce verre est à moitié vide. Mais n'est-il pas à moitié plein ?

     

    Nonobstant ce caractère modérateur, il n'est cependant pas rare qu'on l'utilise à des fins d'opposition tranchée.

    Voire à des fins de défense (depuis la tranchée).

    Non mais ! Vous me prenez pour qui ?

    Ah mais non ! Non et non ! Pas du tout ! Ça me ferait mal !

     

    Quant à la minimalité sceptique de Oui Mais non ou de Non Mais oui elle a toute ma faveur, ayant de fortes chances de nous embarquer dans une cascade de quoique.

    Que dis-je une cascade : un buffet d'eau, une cataracte.

    Un Niagara de quoique.

    Buffet d'eau je l'ai trouvé dans mon dico des synonymes. Ça en jette, hein ?

    Une métaphore pour un style grandes orgues hugoliennes plutôt que petite musique durassienne.

    Mais bon y a des moments faut oser, faut y aller.

    Des moments où se sent obligé de se mettre au diapason de la traversée de la cour du Louvre sur l'Hymne à la joie.

     

     

     

  • En même temps

     

    Pourquoi est un mot double face.

    Il y a le pourquoi face ténèbres.

    Un pourquoi désespéré, désenchanté, révolté.

    Un pourquoi qui sait en réalité ne pas obtenir de réponse, qui est seulement une plainte devant l'injustice du sort, la souffrance, le non-sens.

    Plainte tantôt violente et ulcérée, tantôt infiniment lasse. Le pourquoi qui crie et le pourquoi qui exhale un soupir, parfois le dernier.

    Le pourquoi de ténèbres est une parole sans auditeur, lancée dans le vide.

    Le pourquoi de ténèbres est une parole dont le locuteur lui-même tend peut être vers le vide.

    Le pourquoi de ténèbres trouve une de ses plus radicales formulations dans le livre de Job : « Pourquoi donne-t-il la vie aux êtres amers ? »

     

    Et puis il y a l'autre face du pourquoi, la face de lumière.

    La face de Lumières faudrait-il plutôt dire.

    Le pourquoi des sens ouverts, de l'intelligence aux aguets.

    Le pourquoi des enfants qui découvrent le monde.

    Le pourquoi des scientifiques et des philosophes, qui se déplie en hypothèses, se complexifiant au fur et à mesure des vérifications ou invalidations.

    Le pourquoi qui creuse les fondations pour l'édifice du savoir. Et le savoir posera ensuite patiemment une à une toutes les pierres des "comment". 

     

    Le pourquoi aussi des utopistes, des traceurs de route qui osent l'écrire en deux mots.

     

    Quant aux sages qui savent comme dit Montaigne vivre à propos, ils n'en manqueront pas, d'à propos, pour compléter tout pourquoi d'un pourquoi pas.