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  • Libéralité et sociabilité

    « Uses-en avec les êtres dénués de raison et, en général, avec les choses et les objets comme doit le faire un être doué de raison envers ceux qui en sont privés : avec grandeur d'âme et libéralité ; mais avec les hommes qui sont doués de raison, uses-en avec sociabilité. En toute occasion, invoque les dieux et ne te demande pas combien de temps tu agiras ainsi : même trois heures utilisées ainsi peuvent suffire. »

    (Marc-Aurèle. Pensées pour moi-même VI,21)

     

    Perso ma libéralité envers les objets que je fréquente au quotidien doit beaucoup au syndrome de Stockholm.

    La plupart m'apparaissent comme à la fois secourables et sadiques. Lorsqu'ils buguent (leur compétence majeure) c'est de libéralité envers le réparateur que je suis contrainte d'user, tandis que lui abuse sur le montant de la note (surtout rapporté à l'efficacité).

    Tu dis quoi, lecteur ? Je règle mes comptes ? En fait oui, j'ai pas honte de le dire … Quoi ? «C'est un homme, pas un objet, donc c'est le cas d'en user avec sociabilité, d'après Marco».

    Tu sais quoi lecteur, tu aurais eu affaire à certain chauffagiste (ce n'est qu'un exemple parmi d'autres, choisi pour le niveau du trauma qu'il m'occasionna) que nous eûmes le malheur de sonner à propos d'une banale panne, tu te prendrais à douter comme moi de son humanité. Pourquoi ? La faiblesse de son coefficient raison sur bourrinitude, qui n'eut d'égale que sa nullité côté sociabilité, ce sale con honni soit-il ...

    Euh … Oui, alors la pensée de Marc-Aurèle j'en étais où ?

     

    En toute occasion invoque les dieux. Perso j'ai un rapport magique avec les objets, j'ai pas honte de le dire (enfin si un peu).

    Pour moi un poêle, un ordinateur, un lave-linge, un volet, prennent, j'ai beau me raisonner, valeur de totems. Des puissances marquant leur territoire dans le réel, revendiquant d'y être honorées de tout un rituel compliqué, incertain. Faute de quoi on se retrouve en butte à leur mauvais œil. Oui de dangereux totems.

    Et qui dit totem dit tabou forcément. Beaucoup d'objets me sont ainsi tabous. Je m'abstiens autant que possible de les toucher, ou ne les touche que dans la crainte et le tremblement, respectant au mieux les Procédures des Modes d'Emploi. Bref me conformant aux décrets divins sur l'hybris.

    Mais l'anankhê étant ce qu'elle est, ce comportement irréprochable ne suffit pas toujours à se prémunir du bug, de la panne, et subséquemment du commerce inéquitable avec le chauffagiste ou autre être prétendu humain présumé doué de raison.

     

    Même trois heures ainsi utilisées peuvent suffire. Peut être, mais lui, en trois visites et je ne sais combien d'heures, il n'est arrivé à rien, ce sale con honni soit-il.

    Moralité : à chauffagiste fumiste, Ariane fumasse.

    Quoi pas stoïcien ?

     

  • Tu peux le faire

    « Si quelque chose t'est difficile, n'en déduis pas que c'est impossible à l'homme mais, en revanche, si quelque chose est possible et familier à l'homme, considère que tu peux le faire toi aussi. »

    (Marc-Aurèle. Pensées pour moi-même VI,19)

     

    La deuxième partie de la phrase se veut positive. Cependant remarquons que si elle s'entend pour le meilleur, elle s'entend aussi pour le pire. Que de choses familières à l'homme sont des horreurs, des cruautés, des infamies, ou simplement des petitesses, des vulgarités que nous minimisons d'autant plus qu'autrui ne les verra pas.

    Les premières, les horreurs, mettons qu'un être humain né dans un contexte à peu près normal et civilisé arrive à les éviter (du moins en leur forme paroxystique).

    Mais les secondes, les petitesses, il faut avouer qu'elles nous tentent tous un jour ou l'autre. « Bah, tant d'autres le font, je peux bien le faire aussi. »

     

    N'en déduis pas que c'est impossible à l'homme, voilà qui évoque le mot magnifique de Mark Twain « Ils ne savaient pas que c'était impossible, alors ils l'ont fait ».

    Là on peut affirmer avec une quasi-certitude que ce que nous trouvons difficile sera plutôt du côté du bien.

    « Notre zèle fait merveilles, quand il va secondant notre pente vers la haine, la cruauté, l'ambition, l'avarice, la trahison, la rébellion. À contrepoil, vers la bonté, la bénignité, la modération, il ne va ni de pied ni d'aile. »

    (Montaigne Essais II,12 Apologie de R.Sebon)*

    Ni de pied ni d'aile, soit. Mais bon, à la nage, à la rame, on peut toujours essayer ...

     

    *cf 17-04 Ukase et Karénine. (Phrase tellement vraie et si bien écrite que je ne m'en lasse pas).

     

  • Y en a aussi

    « La meilleure façon de se défendre est de ne pas imiter l'offenseur. »

    (Marc-Aurèle. Pensées pour moi-même VI,6)

     

    Imiter : mot-clé des relations humaines, pour le meilleur et le pire. En un premier temps l'enfant progresse et se forme par imitation d'adultes qu'il aime et admire. Passage nécessaire avant de pouvoir frayer son propre chemin et son propre mode d'être au monde.

    Inversement, l'imitation a partie liée à l'envie et à la violence, au désir d'éliminer l'autre qui, parce qu'il est trop semblable à vous, vous fait de l'ombre.

    La pensée de Marc-Aurèle m'évoque deux choses.

     

    Le conseil évangélique : si l'on te frappe sur une joue, tends l'autre. L'autre, donc pas la même. Conseil quelque peu surhumain, ouvrant la voie à un par-delà le bien et le mal entendus selon la logique humaine et comptable du talion (je ne sais ce que dirait Friedrich de mes extrapolations - enfin si, un peu, mais il viendra pas me chercher).

     

    La notation spinoziste du mécanisme d'imitation des affects, qui fonctionne en contagion négative ou positive.

    La contagion joue dans une situation réelle, c'est facile à comprendre : fou-rire qui se propage à voir les autres se bidonner, euphorie qui vous gagne dans l'énergie d'un groupe en liesse ; à l'inverse escalade de paroles et d'actes violents dans une foule en colère.

    Mais ce que dit Spinoza de décisif pour l'éthique, c'est que le mécanisme d'imitation est inscrit en nous, est un trait endogène de la psyché, si bien qu'il peut se mettre en branle sans besoin de cause prochaine.

    « De ce que nous imaginons une chose semblable à nous, et que nous n'avons poursuivie d'aucun affect (donc a priori indifférente), affectée d'un certain affect, nous sommes par là-même affectés d'un affect semblable. »

    (Éthique. Partie 3 prop 27) (c'est moi qui souligne).

     

    D'où le conseil de Baruch futé : t'égare pas dans l'imagination, programme plutôt ton GPS sur « raison ».

    « En tant qu'ils sont en proie aux affects qui sont des passions, les hommes peuvent être contraires les uns aux autres. »

    « C'est en tant seulement qu'ils vivent sous la conduite de la raison que les hommes nécessairement conviennent toujours par nature. » (P4 prop 33-34)

     

    Quoi on n'est pas rendu ? Pessimistes !

    Qu'entendre dans ce par nature sinon que la raison dans l'humanité, c'est comme la pomme (ou la poire ?) dans la gnôle des tontons flingueurs : y en a aussi.