« Il n'est sujet si vain qui ne mérite un rang en cette rhapsodie. »
(Montaigne Essais I,13 Cérémonie de l'entrevue des rois)
Telles des constellations tracées à son firmament personnel pour éclairer sa route, Montaigne avait fait noter diverses paroles sur les poutres du plafond de sa librairie. Des citations d'auteurs antiques ou de la Bible.
Le texte présentant le plus d'occurrences est le livre de Qohèlet l'ecclésiaste, et en bonne place le fameux Vanité des vanités, tout est vanité. (Qo 1,2)
Rarement cité explicitement dans les Essais, l'Ecclésiaste imprègne cependant beaucoup de passages, comme cette petite phrase.
La rhapsodie* que constituent les Essais se présente comme homothétique à la rhapsodie que constitue la vie, ce conte plein de bruit et de fureur raconté par un fou, dit Shakespeare.
Qohèlet dit moins dramatiquement : ce sont des choses sans consistance (le mot hébreu traduit par vanité c'est vapeur, fumée), mais dans leur succession chacune trouve un temps pour avoir lieu. (cf Qo chap 3)
Ainsi, en donnant place à ces vanités dans son écrit, l'écrivain démiurge reproduit le geste considéré comme divin de donner place à tout être dans le grand livre de vie.
Cette pensée que j'exprime ici avec quelque solennité (c'est que je la trouve très forte) Montaigne y revient souvent, mais plus joliment lui, avec tout son art de la légèreté et de l'ironie.
« Tout argument m'est également fertile. Je le prends sur une mouche ; et Dieu veuille que celui que j'ai ici en main n'ait pas été pris par le commandement d'une volonté autant volage ! »
(III,5 Sur des vers de Virgile)
«Je prends de la fortune le premier argument. Ils me sont également bons. (…) De cent membres et visages qu'a chaque chose, j'en prends un tantôt à lécher seulement, tantôt à effleurer, parfois à pincer jusqu'à l'os. »
(I,50 De Democritus et Heraclitus)
« Et ne traite à point nommé de rien que du rien, ni d'aucune science que de celle de l'inscience. »
(III,12 De la physionomie)
*Rhapsodie a pour étymologie un mot signifiant assembler, coudre. Le rhapsode, tel Homère (ou les jongleurs médiévaux), est celui qui coud ensemble des éléments de diverses sources pour en construire son poème personnel.