L'aliénation provoquée par l'esprit de parti est présentée, par une G de Staël déjà freudienne, comme le passage sous l'emprise d'une illusion.
« (Le) but tel que cette passion le fait concevoir (est) un but qui n'a jamais rien de réel, de jugé, ni de connu, et l'imagination (le) revêt de toutes les illusions dont la pensée est susceptible ;
la démocratie ou la royauté sont le paradis de leurs vrais enthousiastes ; ce qu'elles ont été, ce qu'elles peuvent devenir, n'a aucun rapport avec les sensations que leurs partisans éprouvent à leur nom ;
à lui seul il remue toutes les affections ardentes et crédules dont l'homme est susceptible. »
Germaine de Staël (De l'esprit de parti)
Le but poursuivi par chacun des partis, établir la démocratie ou rétablir la monarchie, s'il est envisagé en mode esprit de parti, déborde le cadre de la pensée rationnelle, ainsi que les limites des contingences réelles.
L'esprit de parti prend littéralement possession du partifié (ainsi vais-je désormais le nommer). Alors, selon une pensée de type magique, les mots se font incantation, produisent une sorte d'état de transe. Tel est l'enthousiasme qu'elle pointe ici.
Un diagnostic qui n'est pas sans évoquer celui-ci :
« La foule est soumise à la puissance véritablement magique de mots qui peuvent provoquer dans l'âme des foules les plus formidables tempêtes et les calmer. »
(Freud. Psychologie des foules et analyse du moi chap.2)
Dans cet article Freud analyse une similitude : entre une foule qu'il nomme primaire, réunie pour un temps limité d'action (par ex une manifestation), ou agrégée spontanément mais fortement labile (par ex une émeute), et une « foule » secondaire, s'étant dotée d'une organisation, il donne en exemple l'église et l'armée.
Il n'est pas absurde d'y ajouter le parti.
G. de Staël en effet s'interrogera sur la proximité entre l'enthousiasme qui remue la foule révolutionnaire, et les ressorts pulsionnels, affectifs à l'œuvre dans les assemblées pourtant structurées, et les clubs, comités, tribunaux.
Fanatisés par « leur » orateur, les participants y furent parfois partifiés jusqu'à l'emportement radical de la pulsion de mort.*
« Il y a une époque de la Révolution de France (la tyrannie de Robespierre) dont il me paraît impossible d'expliquer tous les effets par des idées générales, ni sur l'esprit de parti, ni sur toutes les autres passions humaines.
Ce temps est hors de la nature, au-delà du crime ; et, pour le repos du monde, il faut se persuader que nulle combinaison ne pouvant conduire à prévoir, à expliquer de semblables atrocités, ce concours fortuit de toutes les monstruosités morales est un hasard inouï dont des milliers de siècles ne peuvent ramener la chance. »
Optimisme de femme des Lumières ... Qu'aurait-elle dit des atrocités du XX°s et de notre XXI° qui se débrouille déjà pas mal ma foi en ce domaine.
*cf à ce propos La chute : les derniers jours de Robespierre (Jacques Ravenne. Perrin/Plon 2020)