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  • La passion de la raison (5/22) Poisons et pharmakon

    Au titre De l'influence des passions sur le bonheur des individus et des nations il faut donc retrancher et des nations (cf 3).

    Le plan global du livre, je l'ai dit la dernière fois, correspond à une logique thérapeutique : analyser le poison des passions, et donner la formule des ressources-antidotes.

    Commençons par le commencement

    Section première. Des passions

    Chap 1 De l'amour de la gloire.

    Chap 2 De l'ambition.

    Chap 3 De la vanité.

    Chap 4 De l'amour (précédé de Note qu'il faut lire avant le chap De l'amour).

    Chap 5 Du jeu, de l'avarice, de l'ivresse, etc.

    Chap 6 De l'envie et de la vengeance.

    Chap 7 De l'esprit de parti.

    Chap 8 Du crime.

     

    Une question vient immédiatement à l'esprit : comment Germaine a-t-elle décidé de cette liste ? Elle ne s'en explique pas, sinon pour souligner le caractère imposant de certaines des passions sélectionnées. Des passions qui ont tendance à s'imposer, à imprégner la personnalité.

    Deux regroupements s'imposent.

    Amour de la gloire, ambition, vanité jouent sur des ressorts communs dont on peut discerner les articulations.

    De même envie, vengeance, esprit de parti procèdent d'une même logique qui culmine dans le crime.

    Restent à part l'amour et le chap 5 dont Germaine souligne elle-même le côté flottant par son « etc. »

     

    Les deux autres sections exploreront les ressources contre le malheur passionnel. Deuxième section (dont on verra le plan au n°13) : affectivité, aide mutuelle, consolation venue des proches (ou de Dieu), ce qu'elle nomme sentiments. Disons les bénéfices de l'amour sans ses emmerdes.

    Faux espoir : ces ressources ramènent souvent à la dépendance d'autrui, la passion évacuée par la porte peut revenir par la fenêtre.

    D'où la troisième section (plan au n°17) : les ressources, les consolations, on peut les chercher en soi : c'est peut être même le plus sûr.

     

    Revenons à la partie I : j'y repère un intrus. L'amour est le seul de la liste non connoté négativement d'emblée. Que vient-il donc faire dans cette galère ?

    C'est que le propos de Germaine n'est pas une morale idéaliste mais une éthique du bonheur. Il ne s'agit pas de décréter ce qui est « bien » ou « mal », mais de regarder comment les passions font du bien ou du mal.

    Or l'amour peut les deux. Non pas poison comme les autres passions (du moins celles considérées ici), mais pharmakon, tantôt poison tantôt remède selon l'usage qu'on en a.

    N'empêche, Germaine a senti qu'il fallait justifier sa place dans sa liste, d'où la Note qu'il faut lire avant le chap De l'amour. Note que nous regarderons la prochaine fois.

     

  • La passion de la raison (4/22) Me faire juger par mes écrits

    Faute de 2° partie sur la politique (qui eût été du plus grand intérêt, mais bon) nous allons parcourir la 1ère partie sur la recherche du bonheur par l'individu.

     

    La logique en est simple. La passion est, au moins en partie, ennemie du bonheur, pose Germaine. Pour vivre heureux il faut tenter de se prémunir de ses dégâts potentiels, chercher des pare-feu, qu'elle nomme des ressources.

    Position éthique classique, que modifiera l'époque romantique, valorisant l'intensité au détriment de la maîtrise, dissociant le bonheur du calme. Genre levez-vous vite orages désirés* ...

     

    Germaine vit au tournant de ce virage culturel. Femme passionnée, engagée, dans sa vie privée comme publique, elle en a payé le prix, a éprouvé ce qu'il en coûtait de s'investir sans retenue.

    Bref pour le dire élégamment elle en a pris plein la gueule plus souvent qu'à son tour.

    On peut le lire parfois entre les lignes, ainsi dans ces mots de l'avant-propos du livre :

    « Condamnée à la célébrité, sans pouvoir être connue, j'éprouve le besoin de me faire juger par mes écrits. »

     

    Me faire juger par mes écrits, quiconque écrit avec sincérité peut le dire, en ajoutant même peut être

    « tout ce qu'une longue connaissance et familiarité pourrait avoir acquis en plusieurs années, (le lecteur) le voit en trois jours de ce registre, et plus sûrement et exactement. »

    (Montaigne Essais III,9 De la vanité)

     

    Et en effet, à bien des égards, ce livre donne la clé du caractère et des actes de Germaine de Staël. S'y découvre une femme qui n'a pas renié la passion, mais qui a travaillé à en limiter les dommages, en elle et autour d'elle, par goût de la liberté et du bonheur. Une femme qui a sublimé la passion par la raison, et la raison par la passion.

     

     

    *S'exclame le René de Chateaubriand

     

  • La passion de la raison (3/22) La durée et le bonheur

    Comme le dit le titre à rallonge, Germaine prévoit au départ deux parties pour De l'influence des passions sur le bonheur des individus et des nations : l'une sur le bonheur individuel, l'autre sur le bonheur politique.

     

    On verra la prochaine fois le plan de la première partie. Dans la seconde

    « je compte examiner les gouvernements anciens et modernes sous le rapport de l'influence qu'ils ont laissée aux passions naturelles des hommes réunis en société

    (…) je traiterai des raisons qui se sont opposées à la durée et surtout au bonheur des gouvernements, où toutes les passions ont été comprimées. (...)

    je traiterai des raisons qui se sont opposées au bonheur et surtout à la durée des gouvernements, où toutes les passions ont été excitées. » (De l'influence etc. Introduction)

     

    Parallèle qui est déjà une argumentation.

    Le régime politique qui comprime les passions est un tue-bonheur des citoyens, ce qui à terme le condamne : elle pense encore à la Terreur bien sûr. (Depuis d'autres exemples n'ont pas manqué).

    À l'inverse le régime qui compte durer en excitant toutes les passions fait un mauvais calcul. Passions des uns égale malheur des autres, et vice-versa. Résultat à terme : insatisfaction de tous.

    Et forcément c'est au gouvernement que tous s'en prennent, dans une belle symétrie de raisons inverses.

     

    Dans ces conditions, comment concilier durée et bonheur du gouvernement ? Germaine ne fait pas mystère de sa solution :

    « Je terminerai par des réflexions sur la nature des constitutions représentatives, qui peuvent concilier une partie des avantages regrettés dans les divers gouvernements. »

    Une démocratie représentative, république ou monarchie constitutionnelle, selon le mieux adapté au contexte du pays.

     

    Pour des raisons pas vraiment élucidées, elle n'écrira que la 1ère partie du livre, sur le bonheur individuel.

    D'une certaine manière elle le pressent : « Si les accidents de la vie ou les peines du cœur bornaient le cours de ma destinée, je voudrais qu'un autre accomplît le plan que je me suis proposé. »

     

    Quant à la deuxième partie :

    « Il faudrait mettre absolument de côté tout ce qui tient à l'esprit de parti* ou aux circonstances actuelles ; la superstition de la royauté, la juste horreur qu'inspirent les crimes dont nous avons été témoins, l'enthousiasme-même de la république, ce sentiment qui, dans sa pureté, est le plus élevé que l'homme puisse concevoir. Il faudrait examiner les institutions dans leur essence même. »

     

    Autrement dit son projet était de reprendre, après le tumulte révolutionnaire, celui de Montesquieu dans l'Esprit des lois.

    Mais voilà : les accidents de la vie en auront décidé autrement.

     

    *dont on a vu les caractères et les dégâts dans la lecture précédente (Staël l'impartiale).