Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

- Page 2

  • La passion de la raison (19/22) Le simple plaisir de penser

    « Lorsque l'espoir de faire une découverte qui peut illustrer, ou de publier un ouvrage qui doit mériter l'approbation générale, est l'objet de nos efforts, c'est dans le traité des passions qu'il faut placer l'histoire de l'influence d'un tel penchant (à l'étude) sur le bonheur ;

    mais il y a dans le simple plaisir de penser, d'enrichir ses méditations par la connaissance des idées des autres, une sorte de satisfaction intime qui tient à la fois au besoin d'agir et de se perfectionner ; sentiments naturels à l'homme qui ne l'astreignent à aucune dépendance. »

    (G de Staël. De l'étude)

     

    Agir, se perfectionner, s'ouvrir aux autres : tout est dit de la joie de l'étude, surtout vécue sur le mode de la gratuité, pour le simple plaisir de penser.

    C'est aussi un bon moyen d'éviter de ressasser son malheur (réel ou supposé mais provoquant le même effet de souffrance).

    « L'homme, dont il faut occuper les facultés de l'esprit, obtient (ainsi) le moyen d'échapper aux tourments du cœur.

    Les occupations mécaniques calment la pensée en l'étouffant.

    L'étude, en dirigeant l'esprit vers des objets intellectuels, distrait de même des idées qui dévorent. »

     

    Mais penser n'est pas seulement pansement, apaisement, c'est surtout incitation à une dynamique.

    « L'amour de l'étude, loin de priver la vie de l'intérêt dont elle a besoin, a tous les caractères de la passion, excepté celui qui cause tous ses malheurs, la dépendance du sort et des hommes.

    L'étude offre un but (…) dont la route présente de la variété sans crainte de vicissitudes (…) Elle vous fait parcourir une suite d'objets nouveaux. »

     

    Le chapitre se termine par la touche plus intime d'un « autoportrait en paria ».

    « Je ne sais rien de plus profond en moralité sensible que le tableau de la situation du Paria* (…) Nul être vivant ne le secourt, nul ne s'intéresse à son existence (…)

    C'est ainsi qu'existe l'homme sensible sur cette terre ; il est aussi d'une caste proscrite ;

    sa langue n'est point entendue, ses sentiments l'isolent, ses désirs ne sont jamais accomplis, et ce qui l'environne, ou s'éloigne de lui, ou ne s'en rapproche que pour le blesser. »

    Le paria cherche consolation dans la nature, dit-elle, moi c'est dans l'étude.

     

    Et en point d'orgue du chapitre, cette prière romantique en diable :

    « Oh Dieu ! (…) Lorsque le hasard a pu combiner ensemble la réunion la plus fatale au bonheur, l'esprit et la sensibilité, n'abandonnez pas ces malheureux êtres destinés à tout apercevoir pour souffrir de tout ;

    soutenez leur raison à hauteur de leurs affections et de leurs idées, éclairez-les du même feu qui servait à les consumer ! »

    Allez, Germaine, no stress ! Dieu j'en sais rien, mais moi je suis avec toi. Et c'est toi qui nous éclaires de ton feu.

     

    *Allusion à un livre de son ami Bernardin de Saint-Pierre « La Chaumière indienne » (un sacré nanar j'imagine)

     

  • La passion de la raison (18/22) La vie au gré du vent

    « Lorsqu'on s'est dit qu'il est impossible d'obtenir le bonheur, on est plus près d'atteindre à quelque chose qui lui ressemble ; comme les hommes dérangés dans leur fortune qui ne se retrouvent à l'aise que lorsqu'ils se sont avoué qu'ils étaient ruinés. »

    (G de Staël. De la philosophie)

     

    Un truc qu'on finit toujours plus ou moins par se dire sous l'effet de l'âge.

    « à l'instant où la vieillesse commande une nouvelle manière d'exister, le philosophe seul sait supporter cette transition sans douleur. »

    Genre que philosopher c'est apprendre à mourir ? Exactement.

     

    Et rejoignant Montaigne une fois de plus, Germaine a su qu'apprendre à mourir c'est aussi, c'est surtout, s'attacher à vivre heureux chaque jour du reste de sa vie.

    « Le philosophe, par un grand acte de courage, ayant délivré ses pensées du joug de la passion (...) jouit des douces impressions que chacune de ses idées peut lui valoir tour à tour et séparément. »

    « La philosophie n'est pas de l'insensibilité, quoiqu'elle diminue l'atteinte des vives douleurs. »

     

    Pour diminuer cette atteinte, philosopher c'est viser la liberté. Une liberté faite de légèreté et d'accueil du présent.

    « Ce qui conduirait surtout à penser que la vie est un voyage, c'est que rien n'y semble ordonné comme un séjour.

    Voulez-vous attacher votre existence à l'empire absolu d'une idée et d'un sentiment : tout est obstacle, tout est malheur à chaque pas.

    Voulez-vous laisser aller la vie au gré du vent, qui lui fait doucement parcourir des situations diverses ;

    voulez-vous du plaisir pour chaque jour, sans le faire concourir à l'ensemble du bonheur dans toute la destinée, vous le pouvez facilement. »

     

    Une liberté qui, permettant un rapport apaisé à soi, ouvre à un juste rapport à autrui.

    « La satisfaction que donne la possession de soi, acquise par la méditation, ne ressemble point aux plaisirs de l'homme personnel (auto-centré) ;

    il a besoin des autres ; il exige d'eux, il souffre impatiemment tout ce qui le blesse ; il est dominé par son égoïsme (…)

    mais le bonheur que trouve un philosophe dans la possession de soi est de tous les sentiments, au contraire, celui qui rend le plus indépendant. »

     

    Germaine (qui écrit à Coppet chez papa Necker) termine le chapitre avec une phrase que n'aurait pas reniée son compatriote Jean-Jacques dans ses Rêveries du promeneur solitaire.

    « Dans la retraite, le philosophe n'a de rapports qu'avec le séjour champêtre qui l'environne, et son âme est parfaitement d'accord avec les douces sensations que ce séjour inspire ; elle s'en aide pour penser et vivre. »

     

  • La passion de la raison (17/22) Un travail dans l'action de vivre

    Voici le plan de la troisième et dernière section de l'essai De l'influence des passions sur le bonheur des individus et des nations, traitant Des ressources qu'on trouve en soi.

    Chap 1 Que personne à l'avance ne redoute assez le malheur.

    Chap 2 De la philosophie.

    Chap 3 De l'étude.

    Chap 4 De la bienfaisance.

     

    Drôle d'idée, non, de l'ouvrir avec ce titre pas vraiment accrocheur Que personne à l'avance ne redoute assez le malheur ?

    Germaine s'en explique en reformulant l'objet de son livre : comment trouver le bonheur, non pas en général, mais quand on est un passionné.

    « Les caractères passionnés ne sont jamais susceptibles de ce qu'on appelle l'égoïsme »

    Le bonheur ils le cherchent au dehors d'eux ; ils s'exposent pour l'obtenir ; 

    Et par conséquent ils n'ont jamais cette personnalité prudente et sensuelle qui tranquillise l'âme. 

     

    Il va donc s'agir dans cette partie « des ressources qu'on doit trouver après les orages des grandes passions ». Après ces orages, le climat psychique présente les traits cliniques de l'inquiétude mélancolique.

    « On se sent saisi par une seule idée, comme sous la griffe d'un monstre tout puissant ; on contraint sa pensée, sans pouvoir la distraire ;

    il y a un travail dans l'action de vivre qui ne laisse pas un moment de repos ;

    le soir est la seule attente du jour* ;

    le réveil est un coup douloureux qui vous représente chaque matin votre malheur avec l'effet de la surprise. »

     

    Certes les gens qui vous aiment essaient de vous consoler, mais « comment se résoudre à entretenir un autre de sa peine autant qu'on y pense » car cet état « a quelque chose d'aride, de décourageant, qui lasse de soi-même autant qu'il importune les autres. »

     

    Y a aussi des gens figurez-vous qui « parlent du charme de la douleur, des plaisirs qu'on peut trouver dans la peine. » Mais ce sont juste « des hommes froids, qui veulent se donner l'apparence de la passion ».

    En fait leur solide égoïsme les protège de toute douleur d'autre, aux deux sens. L'autre ne peut les atteindre et sa douleur à lui, ils s'en fichent.

     

    Alors que, sachant pour leur part de quoi il retourne,

    « les âmes ardentes accueilleront tous les moyens de se préserver de la douleur, c'est à ceux qui savent la craindre que ces dernières réflexions sont dédiées ; c'est surtout à ceux qui souffrent qu'elles peuvent apporter quelque consolation. »

     

    *Baudelairien, non ?