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  • La passion de la raison (13/22) Une sorte de philosophie dans l'esprit

    La section II de De l'influence des passions sur le bonheur des individus et des nations, G. de Staël l'intitule

    Des sentiments qui sont l'intermédiaire entre les passions et les ressources qu'on trouve en soi.

    En voici le plan.

     

    Chap 1 Explication du titre de la seconde section.

    Chap 2 De l'amitié.

    Chap 3 De la tendresse filiale, paternelle et conjugale.

    Chap 4 De la religion.

     

    Arrêtons-nous sur le mot intermédiaire : qu'est-ce à dire ?

    Ce qu'elle nomme sentiments présentent une bivalence (comme on dirait en chimie) d'un côté beaucoup des inconvénients des passions, de l'autre la plupart des avantages des ressources qu'on trouve en soi.

     

    Je rappelle la logique en quatre étapes selon laquelle Germaine articule passions, sentiments, ressources.

    Les passions sont globalement nuisibles au bonheur.

    En guise de réparation du bonheur, d'antidote au mal des passions, nous disposons de la consolation des sentiments dont il va être question ici.

    Mais ces sentiments ne sont pas l'arme absolue anti-douleur, dans la mesure où ils laissent dans une forme de dépendance à autrui, possiblement blessante.

    Reste alors le plan B des ressources qu'on trouve en soi. Ce sera la section III du livre.

     

    Germaine commence en précisant, pour les lecteurs critiques et plus encore pour elle-même, qu'elle perçoit le paradoxe de son projet moraliste au regard de son caractère et de ses choix de vie. Mais ce paradoxe n'est qu'apparent, assure-t-elle :

    « Je laisse encore ma destinée dépendre tout entière des affections de mon cœur ; mais celui qui n'a pu vaincre sa sensibilité n'est pas celui qu'il faut le moins croire sur les raisons d'y résister ;

    une sorte de philosophie dans l'esprit, indépendante de la nature-même du caractère, permet de se juger comme un étranger (…)

    et la justesse des méditations n'est point altérée par la faiblesse du cœur. » (De l'amitié)

     

    « Je ne m'aime pas si indiscrètement et ne suis si attaché et mêlé à moi que je ne me puisse distinguer et considérer à quartier, comme un voisin, comme un arbre. »

    dit Montaigne dans le même esprit (Essais III,8 De l'art de conférer).

     

    Qui est un tant soit peu lucide, et ne s'aveugle pas sur ses limites, ne saurait s'autoriser à philosopher sans souscrire à cet essai d'impartialité.

    Germaine est une passionnée, mais de fait la passion qui domine chez elle est clairement celle de la raison (d'où le titre que j'ai donné à ce parcours), cette sorte de philosophie dans l'esprit.

     

  • La passion de la raison (12/22) Un don de plus

    « C'est hors de soi que sont les seules jouissances indéfinies. »

    (G de Staël. De l'amour)

     

    L'amour, en tant que passion où entre le moins d'égoïsme (cf 6) devrait donc être le gage de cette jouissance indéfinie, d'une joie qui demeure. En outre l'amour ainsi considéré est une passion noble, hautement morale.

    «Tout est oubli de soi dans le dévouement exalté de l'amour, et la personnalité (= l'égocentrisme) seule avilit. »

    L'amour est la passion qui peut donc le plus sûrement unir le bonheur et le bien. Telle est la profession de foi de Germaine.

    Elle a été une croyante, une dévote même, de cette religion d'amour, dispensant sans compter admiration, tendresse, temps, argent, conseils, aux hommes aimés.

    Elle en a été aussi parfois la martyre, souffrant de rester amoureuse de qui la délaissait. Tout donner dans son amour absolu, et ne pas tout recevoir en retour : cruelle dissymétrie qui fait que

    « Malgré le tableau que j'ai tracé, il est certain que l'amour est de toutes les passions la plus fatale au bonheur de l'homme. »

     

    De la femme surtout. Car la dissymétrie correspond en grande partie à celle des sexes.

    «Femmes, vous les victimes du temple où l'on vous a adorées, écoutez-moi. »

    Suit un regard sans concession sur la société de son époque où le deuxième sexe n'a pas d'autre choix d'accomplissement que de réussir comme épouse (ou maîtresse) et mère.

    Analyse qui a d'autant plus de poids qu'elle émane d'une femme réellement émancipée, active, reconnue dans la société, et créatrice d'une œuvre importante*.

    Situation regrettable, tout le monde y perd, dit-elle en substance.

    Mais bon, ajoute-t-elle, on peut se consoler, les filles : cette assignation au dévouement amoureux nous oblige au plan éthique, et fait ainsi de nous des humains vraiment dignes de ce nom.

    Alors que ces messieurs …

    « Ils peuvent passer pour bons, et leur avoir causé (à leurs amoureuses) la plus affreuse douleur (…) passer pour vrais, et les avoir trompées ;

    enfin, ils peuvent avoir reçu d'une femme les services, les marques de dévouement qui lieraient ensemble deux amis (…) qui déshonoreraient (celui qui) se montrerait capable de les oublier ;

    ils peuvent les avoir reçus d'une femme, et se dégager de tout, en attribuant tout à l'amour, comme si un sentiment, un don de plus, diminuait le prix des autres. »

    On sent le vécu ... Passionnée, romantique, Germaine, mais naïve non. C'est sans naïveté qu'elle a aimé, se refusant avant tout à déchoir de sa noblesse d'amoureuse de l'amour.

     

    *Beaucoup de points communs à cet égard entre Germaine et Simone (de Beauvoir bien sûr).

     

  • La passion de la raison (11/22) Quelque chose du plaisir des rêves

    « Je vais parler d'une sorte de passions qui soumet l'homme au joug de sensations égoïstes.

    Ces passions ne doivent point être rangées dans la classe des ressources qu'on trouve en soi ;

    car rien n'est plus opposé aux plaisirs qui naissent de l'empire sur soi-même que l'asservissement à ses désirs personnels. »

    (G de Staël. Du jeu, de l'avarice, de l'ivresse, etc.)

     

    Le parallèle entre empire sur soi-même et asservissement à ses désirs personnels résume l'enjeu moral fondamental pour Germaine : la liberté. Convergence toujours avec Spinoza (et Montaigne).

    Et analyse freudienne, à nouveau. Ce chapitre rejoint en effet le chap 2 de Malaise dans la culture sur les parades cherchées par l'être humain aux malheurs de sa condition.

    L'expression sensations égoïstes désigne d'emblée les deux principes de ces passions, le besoin d'émotion et l'égoïsme. Deux principes qui d'une certaine manière sont en interaction.

    « Les libertins, ceux qui s'enivrent, les joueurs, les avares » ont ceci de commun qu'ils « ne trouvent de bon dans la vie que ce qui la fait oublier»

     

    Elle envisage le côté sensation/émotion avec la passion du jeu, qui résume pour elle ce que nous appelons aujourd'hui addiction.

    « Il n'y a plus de jugement, il n'y a que de l'espérance et de la crainte.

    On éprouve quelque chose du plaisir des rêves, les limites s'effacent (…) 

    Ce qu'il y a de plus difficile à supporter pour un joueur, ce n'est pas d'avoir perdu, mais de cesser de jouer. »

    En termes freudiens : on se soustrait à la réalité frustrante et à son principe frustrant itou, pour s'accrocher au seul principe de plaisir, qui fait fi des limites temporelles et logiques.

    «On peut se soustraire à chaque instant à la pression de la réalité et trouver refuge dans un monde à soi offrant des conditions de sensations meilleures »

    (Malaise dans la culture chap 2)

     

    Le ressort de l'égoïsme, envisagé ensuite, n'est pas tant l'amour de soi que, là aussi, la fuite des frustrations occasionnées par l'autre.

    « Mécontents de leur relation avec les autres, ils croient avoir trouvé un secret sûr pour être heureux, en se consacrant à eux-mêmes. »

    L'avarice est alors l'accomplissement total de ce qu'elle appelle la personnalité, le fait de considérer sa propre personne avant tout.

    Autrement dit le toutpourmagueulisme.

    « L'avarice est de tous les penchants celui qui fait le mieux ressortir la personnalité (...) Les plaisirs, quels qu'ils soient, vous associent aux autres, tandis que (…) l'on dissipe quelque chose de son égoïsme en le satisfaisant au dehors. »

    Les avares vivent sous le régime de la prévision, de la provision. Mauvais calcul : à économiser sa vie on la perd. Et ainsi, ironie de leur sort,

    «Après avoir sacrifié leurs jours présents à leurs jours à venir, ils éprouvent une sorte de rage en voyant s'approcher le terme de l'existence. »