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  • La passion de la raison (16/22) La liberté absolue de l'être moral

    « Je ne peindrai point la religion dans les excès du fanatisme (…) ce que j'ai dit sur l'esprit de parti est applicable à cette frénésie comme à toutes celles causées par l'emprise d'une opinion. » (G de Staël. De la religion)

    Quant à lui « Le théisme des hommes éclairés, des âmes sensibles, est de la véritable philosophie ». Germaine va donc considérer la religion dans l'acception générale.

    « Examinons avec impartialité ce qu'elle peut pour le bonheur. »

    Elle anticipe d'abord, une fois de plus, l'analyse freudienne (dans L'Avenir d'une illusion) :

    « La religion ouvre une longue carrière à l'espérance, et trace une route précise à la volonté : sous ces deux rapports elle soulage la pensée.»

    Plus inattendu, l'effet préventif de la clôture monastique sur les violents :

    « Peut être même des hommes dont la nature véhémente les eût appelés dans le monde à commettre de grands crimes, livrés, dès leur enfance, au fanatisme religieux, ont enseveli dans les cloîtres l'imagination qui bouleverse les empires. »

    On l'entend presque penser : ah si Robespierre était passé à la Trappe … (Et quelques autres depuis, ajouterons-nous).

     

    Pour les gens normaux, elle constate que l'ivresse révolutionnaire a remplacé un temps la religion dont on voulait émanciper le peuple. Mais c'était au fond le même effet d'opium « ne (laissant) plus sentir le vide ni l'inquiétude de l'existence ».

    Soulagement ou opium, poursuit Germaine, le bonheur que propose la religion est illusoire. Bref le plus clair c'est qu'elle ne vaut pas les Lumières.

    Au plan éthique « Les qualités naturelles, développées par les principes, par les sentiments de la moralité, sont de beaucoup supérieures aux vertus de la dévotion. » Au plan intellectuel « ces dogmes dominateurs » sont une « espèce de suicide de la raison. »

     

    Elle conclut donc ce chapitre, et la deuxième section sur les sentiments, par sa profession de foi à elle :

    « J'ai donc dû (...) ne pas admettre la religion parmi les ressources que l'on trouve en soi, (…)

    puisqu'elle nous soumet, et à notre imagination, et à celle de tous ceux dont la sainte autorité est reconnue.

    En étant conséquente au système sur lequel cet ouvrage est fondé, au système qui considère la liberté absolue de l'être moral comme son premier bien,

    j'ai dû préférer et indiquer, comme le meilleur et le plus sûr des préservatifs contre le malheur, les divers moyens dont on va voir le développement. »

     

    La liberté absolue de l'être moral : insistons sur moral.

    Ce n'est pas l'abandon irraisonné à des pulsions immédiates et personnelles comme dit Germaine. Quant à absolue, ça dépend comment on l'entend.

    La liberté, pour être non seulement juste, mais surtout effective, doit s'enraciner dans les valeurs d'autonomie et de responsabilité, celles précisément qui fondent les ressources que Germaine présente dans sa troisième partie.

     

  • La passion de la raison (15/22) Rien qui exige plus de délicatesse

    « J'ai dit (...) qu'en considérant toujours (même si je considère) la vertu comme la base de l'existence de l'homme, je n'examinerais les devoirs et les affections que dans leur rapport avec le bonheur. »

    (G de Staël. De la tendresse filiale, paternelle et conjugale).

     

    Affection entre parents et enfants, d'abord.

    « Il y a dans ces liens une inégalité naturelle qui ne permet jamais une affection du même genre, ni au même degré (…)

    soit que les enfants chérissent leurs parents plus qu'ils n'en sont aimés, soit que les parents éprouvent pour leurs enfants plus de sentiments qu'ils ne leur en inspirent. »

    Dans cette relation par nature asymétrique, poursuit Germaine, les parents

    « ont beaucoup des avantages et des inconvénients des rois. »

    Plus de pouvoir (surtout au début), donc plus de responsabilité.

    « Il n'est rien qui exige plus de délicatesse de la part des parents que la méthode qu'il faut suivre pour diriger la vie de leurs enfants sans aliéner leur cœur. »

    Tout repose, pour être un parent digne de ce nom, sur l'acceptation de la loi de la vie qui fait des enfants des successeurs, presque des rivaux.

    Écho (volontaire ?) à Montaigne

    « Si nous avions à craindre cela, puisque l'ordre des choses porte qu'ils ne peuvent, à dire vérité, être, ni vivre qu'aux dépens de notre être et de notre vie, nous ne devions pas nous mêler d'être pères. »

    (Essais II,8 De l'affection des pères aux enfants)

     

    Quant à la tendresse conjugale, elle est le fait « des circonstances qui, sans le secours-même du sentiment, confondent deux égoïsmes au lieu de les opposer. »

    Le problème, ajoute Montaigne (maintenant qu'il est là hein), c'est que « il y survient mille fusées (fuseaux, pelotes = embrouillaminis) étrangères à démêler parmi, suffisantes à rompre le fil et troubler le cours d'une vive affection »

    (Essais I,28 De l'amitié)

     

    Vous l'avez dit, cher ami, approuverait sans doute Germaine, voilà pourquoi

    « Il faut, pour maintenir la paix dans cette relation, une sorte d'empire sur soi-même, de force, de sacrifice, qui rapproche beaucoup plus cette existence des plaisirs de la vertu que des jouissances de la passion. »

     

    Bref « La conclusion, c'est que les âmes ardentes éprouvent par l'amitié, par les liens de la nature, plusieurs des peines attachées à la passion (…)

    Le sentiment (…) n'est jamais une ressource qu'on trouve en soi ; il met toujours le bonheur dans la dépendance de la destinée, du caractère, et de l'attachement des autres. »

    Dépendance des autres : le remède en serait-il la remise à un Autre, Dieu pour ne pas le nommer ? On verra ce que Germaine en dit la prochaine fois.

     

  • La passion de la raison (14/22) Ces attachements purs et vrais

    « Je considérerai d'abord dans l'amitié non ces liaisons fondées sur divers genres de convenances qu'il faut attribuer à l'ambition et à la vanité,

    mais ces attachements purs et vrais, nés du simple choix du cœur dont l'unique cause est de communiquer ses sentiments et ses pensées, l'espoir d'intéresser :

    la douce assurance que ses plaisirs et ses peines répondent à un autre cœur. »

    (G de Staël. De l'amitié)

     

    Voilà, ça c'est l'idéal. Le problème, c'est que la vanité peut n'être jamais très loin, provoquant une rivalité plus ou moins avouée.

    « Quel abandon d'amour-propre il faut supposer pour croire qu'en se confiant on ne se mesure jamais, qu'on exclut du tête-à-tête tout jugement comparatif sur le mérite de son ami et sur le sien, et qu'on s'est connus sans se classer ! »

    Germaine donne ici le remède en même temps que le mal : tenir à distance l'amour-propre, porté à la comparaison, au profit de son double positif, l'acquiescentia in se ipso (dit Spinoza), le tranquille consentement à soi.

    Ainsi devient possible la rencontre de l'autre, dans une simplicité joyeuse, juste parce que (c'est) lui, parce que (c'est) moi.

    Non-comparaison implique symétrie dans la considération. Et symétrie implique un caractère essentiel de l'amitié véritable aux yeux de Germaine, la réciprocité.

    « L'amour se passerait bien plutôt de réciprocité que l'amitié ».

    « Comme il est impossible de séparer l'amitié des actions qu'elle inspire, les services réciproques sont un des liens qui doivent nécessairement en résulter. »

    Réciprocité de services qui lui a manqué de la part de quelques amis ingrats, note-t-elle au passage (sans les nommer), pour lesquels pourtant elle n'avait pas ménagé sa peine lorsqu'ils avaient eu besoin d'elle.

    Néanmoins, en femme profondément libre, c'est sans amertume qu'elle conclut :

    « C'est parce que le cœur est fait ainsi, que je me suis réservé de peindre la bonté comme une ressource plus assurée que l'amitié, et meilleure pour le repos des âmes passionnément sensibles. »

    La bonté sera envisagée dans sa troisième partie sous le nom de bienfaisance.