« Donne-nous aujourd'hui le pain dont nous avons besoin,
pardonne-nous nos torts envers toi,
comme nous-mêmes avons pardonné à ceux qui avaient des torts envers nous,
et ne nous conduis pas dans la tentation,
mais délivre-nous du Tentateur. » (Matthieu 6, 11-13)
Le pain dont nous avons besoin. Chouraqui dit notre part de pain. Il replace ainsi le besoin dans la vie de la collectivité. Chacun a besoin de pain, mais ne peut oublier que l'autre à côté de lui en a besoin de même. Ce pain sera donc à partager.
Aujourd'hui peut se comprendre de deux manières (non exclusives l'une de l'autre).
Le pain est vital, on en a besoin tout de suite. Donne-nous aujourd'hui, pas demain.
Deuxième façon de comprendre : le don de ce pain, c'est au jour le jour, on ne peut pas (on ne doit pas?) en faire provision. Et là on pense à un autre texte. Le livre de l'Exode évoque le moment où le peuple sorti d'Égypte erre dans le désert où il n'y a rien a manger. Les gens se plaignent : en Égypte on était esclaves mais au moins on ne mourait pas de faim. Moïse comme d'habitude répercute la revendication.
Et c'est l'épisode de la manne.
« Sur la surface du désert, il y avait quelque chose (…) tel du givre sur la terre. Les fils d'Israël regardèrent et se dirent l'un à l'autre 'man hou ?' qu'est-ce que c'est ? (…) Moïse leur dit 'c'est le pain que le Seigneur vous donne à manger' »
Moïse leur interdit d'en faire provision. C'est chacun sa part chaque jour, selon ses besoins, « ni plus ni moins » insiste-t-il. Mais évidemment ça ne rate pas, certains passent outre. Résultat « cela fut infesté de vers et devint puant ». (Exode 16, 14-20)
À méditer pour le capitaliste qui sommeille en chacun (beaucoup d'insomniaques).
Pardonne comme nous avons pardonné renvoie à la béatitude heureux les miséricordieux il leur sera fait miséricorde. Et répète l'idée que si l'homme ne fait pas sa part, Dieu ne pourra faire la sienne.
Ne nous conduis pas dans la tentation mais délivre-nous du Tentateur. La phrase évoque le livre de Job, où l'autorisation est donnée à l'Adversaire de tenter Job le juste, comme une sorte de concours genre on va voir qui est le plus fort : dieu ou son antagonique ? (Job 1, 6-12)
Ici la question n'est pas celle d'une lutte métaphysique du Bien et du Mal.
Au contraire est clairement récusée l'idée perverse de faire de l'humain le jouet de deux super puissances rivales. À cet égard le mot tentation est bien ambigu.
C'est pourquoi sans doute Chouraqui préfère traduire : ne nous fais pas entrer dans l'épreuve mais délivre-nous du criminel.
Une traduction qui rappelle que la seule question qui vaille est le bien ou le mal que les hommes se font les uns aux autres, le bien ou le mal vécus dans l'immanence de leur être.
L'occasion de citer une fois de plus la phrase de Montaigne, qui dit tout ce qu'il y a à dire sur ce point :
« Quoi qu'on nous prêche, il faudrait toujours se souvenir que c'est l'homme qui donne et l'homme qui reçoit. » (Essais II, 12 Apologie de Raimond Sebon)