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  • Alors tu verras clair (10)

    « Ne vous posez pas en juges, afin de n'être pas jugés : car c'est de la façon dont vous jugez qu'on vous jugera, et c'est la mesure dont vous vous servez qui servira de mesure pour vous. Qu'as-tu à regarder la paille qui est dans l'œil de ton frère ? Et la poutre qui est dans ton œil, tu ne la remarques pas ? » (Matthieu. 7, 1-3)

    Passage amusant à visualiser. Après la poésie des lis et des petits oiseaux (cf 8), on a ici une image bien surréaliste, dont la criante absurdité vaut tous les discours.

    La première phrase, reprise là encore d'une béatitude (cf précédent parcours 3/9) est un conseil de prudence. La seconde va au delà, en questionnant l'aptitude à juger elle-même.

    Juger sera peut être possible, mais il y a une condition.

    « Comment vas-tu dire à ton frère : ''Attends ! Que j'ôte la paille de ton œil'' ? Seulement voilà : la poutre est dans ton œil ! Hypocrite, ôte d'abord la poutre de ton œil, et alors tu verras clair pour ôter la paille de l'œil de ton frère. » (7, 4-5)

    Voilà qui peut prendre un certain temps, et demande un gros travail « sur soi » comme on dit. Du coup c'est vrai que le plus simple est de ne pas porter de jugements.

    Ce qui ne veut pas dire bien sûr qu'on renonce à essayer d'être juste pour son compte, et de rechercher la justice (cf 9).

    Sans doute est-ce même le contraire : moins on juge au sens de cataloguer, accuser, plus on se donne les moyens d'une justice constructive, une justice, non de reproche, de châtiment et de mort, mais de réparation et de vie « afin d'être vraiment les fils de votre père qui est aux cieux, car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et les injustes. » (Mtt. 5, 45)

    Bon avec ou sans poutre dans l'œil, la chose la plus claire c'est qu'il y a du boulot.

     

  • Donné par surcroît (9)

    « Ne vous inquiétez donc pas en disant : ''Qu'allons-nous manger, qu'allons-nous boire, de quoi allons-nous nous vêtir ?'' – tout cela, les païens le recherchent sans répit – il sait bien, votre père céleste, que vous avez besoin de toutes ces choses. Cherchez d'abord le Royaume et la justice de Dieu, et tout cela vous sera donné par surcroît. » (Matthieu 6, 31-33)

    Il sait bien, votre père céleste, que vous avez besoin de toutes ces choses : ah quand même (ne peut-on s'empêcher de penser). Le texte ne méprise ni ne dénie les besoins essentiels. Ce qui mérite d'être souligné : il n'y a pas d'appel à une quelconque ascèse, ou à un détachement d'ordre bouddhiste.

    Ou, si ascèse il y a, elle évoque davantage le conseil épicurien du carpe diem. Se défaire de l'inquiétude du lendemain, voire de son obsession (comme le dit sans répit), et se contenter de cueillir, de glaner le bon de chaque jour.

    Et comme le fait l'épicurisme avec la distinction entre le nécessaire et le superflu, l'idée essentielle ici est de hiérarchiser les priorités : d'abord le Royaume et la justice de Dieu.

    Voilà qui nous renvoie aussi à la béatitude « Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice : ils seront rassasiés. » (Mtt 5, 6) (cf précédent parcours 6/9)

    Cela vous sera donné par surcroît (vous sera ajouté traduit Chouraqui) amène la même notion d'en plus, de plénitude que rassasiés.

    Le rapprochement des deux semble dire : les deux faims, la faim de nourriture concrète, et la faim de justice, peuvent (doivent ?) trouver une réponse commune. Et en effet, la vie en mode « Royaume », c'est un mode où les humains œuvrent à rendre la terre céleste.

    Et comment ? En se comportant en humanité vraiment humaine : avec pour valeur cardinale la justice. Car la justice implique la prise en compte des besoins de chacun, et par là le partage concret, et aussi la considération égale de chacun des êtres humains, à tous points de vue.

    Le texte évangélique donne un peu plus loin une illustration de la liaison royaume/partage dans l'épisode de la multiplication des pains (Matt. 14, 15-21 et Matt. 15, 32-38). À partir d'un peu de nourriture, apportée par quelques uns et mise à sa disposition, Jésus nourrit toute la foule présente. C'est évidemment une allégorie*, mais elle vise à montrer que le mode « royaume » peut marcher, susciter des solutions.

     

    *Qui est liée au rite de « rompre le pain » très tôt adopté par les premières communautés chrétiennes comme ciment de leur unité.

     

  • L'herbe des champs qui est là aujourd'hui (8)

    « Nul ne peut servir deux maîtres : ou bien il haïra l'un et aimera l'autre, ou bien il s'attachera à l'un et méprisera l'autre. Vous ne pouvez servir Dieu et l'Argent. » (Matthieu 6, 24)

    Jésus de Nazareth ne semble pas un adepte du « en même temps ». Il faut entendre les termes dans leur force. Servir a le sens de se dévouer totalement à, tout faire pour. Quant à l'Argent, avec la majuscule, il s'agit de Mamon : l'argent déifié, l'argent qu'on idolâtre.

    Mais le texte ne s'appesantit pas sur ce qu'il donne pour une évidence, il prend une autre perspective.

    « Voilà pourquoi je vous dis : ne vous inquiétez pas pour votre vie de ce que vous mangerez, ni pour votre corps de quoi vous le vêtirez. La vie n'est-elle pas plus que la nourriture, et le corps plus que le vêtement ? » (Mtt 6, 25)

    Là on se dit : il est bien gentil, le rabbi Jésus, mais il plane un peu, non ? La vie est plus que la nourriture, d'accord, mais sans nourriture, la vie est vite terminée. Et comment concilier ceci avec « donne-nous aujourd'hui le pain dont nous avons besoin » ? (cf 7)

    L'apparente contradiction se dénoue par le mot « aujourd'hui » qui apparaît de plus en plus comme un mot-clé de tout ce discours sur la montagne.

    On a déjà relevé en effet (cf 1) l'opposition de temps il a été dit/ je vous dis : « Vous avez appris qu'il a été dit aux anciens (…) et moi je vous dis ».

    Après l'opposition passé/présent, re-dire/dire à nouveau, l'aujourd'hui va être mis en regard du futur, de l'avenir.

    « Regardez les oiseaux du ciel : ils ne sèment ni ne moissonnent, ils n'amassent pas dans des greniers, et votre Père céleste les nourrit ! Ne valez-vous pas beaucoup plus qu'eux ? (…) Observez les lis des champs, comme ils croissent : ils ne peinent ni ne filent, et je vous le dis Salomon lui-même, dans toute sa gloire, n'a jamais été vêtu comme l'un d'eux ! Si Dieu habille ainsi l'herbe des champs qui est là aujourd'hui, et qui demain sera jetée au feu, ne fera-t-il pas bien plus pour vous, gens de peu de foi ! » (6, 26-30)

    Un texte poétique avant tout, que le poète François d'Assise aimait citer, lui qui posait sur la simple beauté de la nature un regard émerveillé.

    Mais passé ce moment poétique on se dit : les oiseaux n'amassent pas dans les greniers, je veux bien, mais ils ne se gênent pas pour picorer dans les réserves que les hommes amassent.

    Et que les hommes ont raison d'amasser, d'ailleurs : le miracle de la manne, c'est pas ad vitam aeternam … Sans se faire esclave de l'argent et de l'accumulation, sans devenir un gros méchant capitaliste, il faut bien s'occuper du nécessaire pour vivre, non ?

    On verra la prochaine fois comment le texte entend cette objection, et résout la tension entre confiance et prévoyance.