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  • Les prophètes qui vous ont précédés (9/9)

    « Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice : le Royaume des cieux est à eux. » (Mtt 5, 10)

    « Heureux êtes-vous lorsque l'on vous insulte, que l'on vous persécute et que l'on dit faussement contre vous toute sorte de mal à cause de moi. Soyez dans la joie et l'allégresse, car votre récompense est grande dans les cieux : c'est ainsi en effet qu'on a persécuté les prophètes qui vous ont précédés. » (Mtt 5, 11)

    Ces versets conclusifs de la série, présentés eux aussi comme des bonheurs, sonnent surtout comme une mise en garde : tout ce qui précède c'est bien cool, mais bon n'oublions pas que les béatitudes ne sont pas synonymes de bisounours-attitudes, il y a un coût à assumer, une force à déployer pour les vivre.

    Chercher la paix, la miséricorde, la justice, le partage sont la voie sûre du bonheur pour tout le monde, d'accord. Sauf que voilà, il en est qui ne sont pas partageux pour deux sous, pas le moins du monde « matriciels » (cf 3/9). Sans aucun état d'âme, ils cherchent un bonheur personnel.

    Ils ont même tendance à voir partage et justice (et par conséquent les autres avec qui partager) comme des obstacles à leur bonheur. Comme si partager les empêchait d'avoir ce dont ils ont besoin, bref nuisait au rassasiement (cf 6/9) tel qu'ils le conçoivent (c'est à dire en gros bourrins égoïstes).

    Il s'attaquent donc à ceux qui, par leur œuvre de justice et de paix, les gênent, leur font obstacle. Et sans hésiter devant les moyens : diffamation, menaces, harcèlement. Et quand ça ne suffit pas, suppression physique.

    Par ces dernières béatitudes, les rédacteurs du texte entendent soutenir la motivation et le courage des justes, les aider à tenir dans l'adversité. À rester témoins (on sait qu'en grec cela se dit martyr) que l'humanité peut gagner contre la méchanceté et la violence.

    L'Histoire a connu beaucoup de martyrs à cause des religions (et idéologies sacralisées), avant et après les persécutions contre les Chrétiens du premier siècle. Avec, au cours du temps, au gré des pouvoirs, des alternances de rôles entre persécuteurs et persécutés. Et hélas ce n'est pas fini.

    Il y a eu aussi des « fils de l'homme », femmes, hommes, qui se sont voulus simplement humanistes, témoins d'humanité sur terre. Et ont accepté d'en payer le prix.

    Et heureusement cela aussi continue, les prophètes d'aujourd'hui se font lanceurs d'alerte et témoins de vérité, soutiens de ceux que persécutent les dictatures de toutes sortes (religieuses et/ou idéologiques et/oumafieuses ...). En assumant les risques, et jusqu'au risque ultime d'y laisser leur vie.

     

  • Un souffle au coeur (8/9)

    « Heureux les pauvres de cœur : le royaume des cieux est à eux. » (Mtt 5, 3) (TOB Cerf 2015)

    « En marche, les humiliés du souffle ! Oui le royaume des ciels est à eux ! » (Chouraqui DDB 1989)

    La deuxième partie du verset est ici formulée au présent, et non au futur comme dans les béatitudes lues jusqu'ici. Ce présent interroge, d'autant plus que cette béatitude que je ne lis que maintenant est celle qui inaugure la série dans le texte.

    Mais regardons d'abord le début du verset. (NB pour la formule de Chouraqui, en marche, je renvoie à ce que j'en ai dit au début de ce parcours 1/9).

    Heureux les pauvres de cœur a longtemps été traduit « heureux les pauvres d'esprit (ou en esprit) ». Il semble bien que le mot soit donc esprit, souffle.

    La préférence pour le mot cœur m'apparaît motivée par le politically correct plus que par l'exégèse ou la théologie. Qui n'a entendu dire par dérision heureux les pauvres d'esprit pour moquer quelqu'un de « simplet », ou simplement pour ironiser sur certaines naïvetés ?

    Esprit, ou souffle, dit bien ce dont il s'agit ici : ce qui anime un être, son énergie propre à vivre (cf le mot hébreu ruah). Quelque chose aussi comme le conatus perseverare in suo esse de Spinoza.

    Quant à pauvres et humiliés, ce sont des déclinaisons du manque dont on a déjà remarqué l'importance dans ces béatitudes (cf 5/9 et 6/9). Le pauvre est dans le manque matériel ou relationnel, l'humilié dans le manque de dignité.

    Question : quel est le rapport avec le royaume des cieux ? Expression énigmatique au fond. J'y entends l'idée de faire de la terre un lieu à caractère céleste, ce qui découle en toute logique de la notion de dieu faisant l'humain à son image (Genèse chap 1).

    Cette béatitude, étant au présent, présente ce royaume comme advenu pour les pauvres-humiliés, ici et maintenant.

    De deux choses l'une : ou bien la pauvreté et l'humilité leur sont imposées, sont un effet de la méchanceté, de la non-fraternité humaine. Ou bien elles sont de l'ordre du choix (ce qui les « positive »). Alternative qui peut se rendre dans les mots par la différence appauvri (dépouillé)/pauvre d'un côté, humilié/humble de l'autre.

    Dans la première interprétation, ce royaume des cieux ne fait pas franchement envie. Et autant fermer le livre tout de suite.

    Reste la deuxième façon d'interpréter. Et là, je me souviens d'un autre texte.

    « YHWH mon cœur n'enfle pas, mes yeux ne sont pas hautains, je ne marche pas dans ce qui est trop grand et difficile pour moi*. N'ai-je pas calmé et apaisé mon être ?

    Comme l'enfant sevré** sur sa mère, comme l'enfant sevré, sur moi mon être.

    Qu'Israël attende YHWH, dès maintenant jusqu'en éternité. »

    (psaume 131. trad. Calame et Lalou Albin Michel 2009)

    *Non enflé, non hautain : formulation de l'humilité de l'adam le terrien, de son absence d'ubris.

    *Enfant sevré ramène à la notion de manque, mais avec cette précision que l'enfant garde l'accès à l'essentiel, la présence matricielle (cf 3/9) de sa mère. Présence transformée en attente, en désir, dans la relation entre YHWH et Israël.

     

    Tout cela pour dire que je reformulerais bien cette béatitude :

    « Heureux ceux qui n'ont pas pour moteur le désir d'avoir, de pouvoir, de réputation, ils sont animés d'un souffle créateur d'humanité. »

     

  • Comme un fils d'homme (7/9)

    « Heureux les cœurs purs : ils verront Dieu. » (Mtt 5, 8)

    Autant le confesser tout de suite, la notion de pureté me gêne. Elle a été historiquement entachée de connotations surtout sexuelles, et qui plus est essentiellement à destination des femmes. Et continue à l'être en beaucoup de lieux, y compris jusqu'à l'abjection, l'infamie des crimes dits d'honneur.

    Mais même son sens premier, matériel, de non-mélange, peut être dangereux. Isoler un corps pur en chimie, soit. Mais parler de pureté de sang, d'ethnie, de peuple, on sait où ça mène.

    Bien au contraire : « On dit bien vrai qu'un honnête homme c'est un homme mêlé. » (Montaigne Essais III, 9 De la vanité)

    Simplissime formulation d'un caractère essentiel de l'humanisme, que nous nommons aujourd'hui métissage, qu'il soit celui des corps, des cultures, des modes de vie. 

    Mais ici, me dira-t-on, la notion de pureté s'applique aux cœurs. On peut comprendre : les cœurs purs sont des gens « purement cœurs », donc tout entiers dans la miséricorde qui fait l'objet d'une autre béatitude (cf 3/9).

    Mais alors du coup leur pureté de cœur, est-ce Dieu qu'elle leur fera voir, ou les autres êtres humains, particulièrement ceux qui sont dans le malheur ?

    À moins que ce ne soit la même chose ?

    Voilà qui amène à un autre texte évangélique qui pose cette question.

    « Alors (le Fils de l'homme) dira (…) '' Venez les bénis de mon Père, recevez en partage le royaume qui a été préparé pour vous depuis la fondation du monde. Car j'ai eu faim et vous m'avez donné à manger ; j'ai eu soif et vous m'avez donné à boire ; j'étais un étranger et vous m'avez recueilli ; nu, et vous m'avez vêtu ; malade et vous m'avez visité ; en prison, et vous êtes venus à moi.

    Alors les justes lui répondront : '' Seigneur, quand nous est-il arrivé de te voir affamé et de te nourrir (etc.) (…)

    Et le roi leur répondra : '' En vérité je vous le déclare, chaque fois que vous l'avez fait à l'un de ces plus petits qui sont mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait''. » (Mtt 25 , 31-40)

    Il s'agit du texte dit du jugement dernier, qui présente ce « fils de l'homme » en gloire condamnant les injustes et accueillant les justes (cf le sens de justice la dernière fois).

    La scène est un must de l'iconographie chrétienne : chapiteaux, portails, tableaux, parmi lesquels de magnifiques chefs d'œuvre.

    Le titre de Fils de l'homme apparaît dans le livre de Daniel. C'est un livre à caractère apocalyptique, c'est à dire qui entend dévoiler le sens des événements. Comme dans l'Apocalypse de Jean, cela passe par des visions ou des songes.

    « En l'an premier de Belshassar, roi de Babylone, Daniel vit un songe et les visions de son esprit sur sa couche. Alors il écrivit le songe. (…)

    Je regardais dans les visions de la nuit, et voici qu'avec des nuées du ciel venait comme un Fils d'Homme (…) Et il lui fut donné souveraineté, gloire et royauté : les gens de tous peuples, nations et langues le servaient. » (Daniel 7, versets 1,13,14)

    Le texte évangélique reprend ce motif, mais dans un climat différent. Les justes ne servent pas le roi, mais participent de son règne. En prenant soin des hommes.