« Heureux ceux qui font œuvre de paix : ils seront appelés fils de Dieu. » (Mtt 5, 9)
D'emblée cette formule pose une question : fils de Dieu (filles), ne l'est-on pas de toutes façons, si l'on conçoit un dieu créateur, père (ou mère, puisque matriciel cf la dernière fois) ? Faut-il alors comprendre ici : être appelé fils de Dieu c'est faire honneur à ce nom ?
Faire œuvre de paix ratifierait le label de qualité « made in God » que le texte biblique appose à l'humanité : Dieu créa l'homme à son image, à l'image de Dieu il les créa ; mâle et femelle il les créa (Gen chap I, 27).
Mais alors logiquement on doit en déduire que la paix est dans sa nature, à Dieu. Elle est dans son ADN, elle qui permet d'identifier l'humain comme son enfant.
Et là on tombe sur un gros hic : historiquement et aujourd'hui encore, l'œuvre de paix des différentes religions n'est pas toujours disons évidente ...
OK je ne veux pas être de mauvaise foi : des faiseurs de paix parmi les adeptes des religions « y en a aussi »*. Oui, ceux, celles qui conçoivent leur dieu à leur image d'humanistes.
Mais bon inutile d'épiloguer. Puisqu'il s'agit d'agir, de faire, d'oeuvrer, laissons les pourquoi et regardons le comment. Pour faire la paix, comment on fait ?
Ah oui du coup faut se demander d'abord : c'est quoi la paix ? (J'aurais dû commencer par là, heureusement qu'on n'est pas dans une dissert du bac philo).
On dit souvent : la paix, c'est ce qu'on fait avec ses ennemis. Qu'est-ce qu'un ennemi ? Quelqu'un qui vous veut du mal et/ou à qui vous voulez du mal.
Il est important de voir la réciprocité de relation. Car c'est à partir de cette réciprocité négative que la positive se construira. Cela rejoint ce qu'on a vu la dernière fois de la miséricorde mutuelle venant se substituer à la violence mutuelle du talion.
Le texte le réaffirme un peu plus loin.
« Vous avez appris qu'il a été dit : ''Tu aimeras ton prochain'' et tu haïras ton ennemi. Et moi je vous dis : aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent, afin d'être vraiment les fils de votre père qui est aux cieux, car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et les injustes. Car si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense allez-vous en avoir ? (…)
Vous donc vous serez ''parfaits'' comme votre père céleste est parfait. » (Mtt 5, 43-48)
Remarquons que « tu haïras ton ennemi » n'est pas présenté comme une citation directe, mais comme un corollaire éventuellement déductible du commandement d'amour du prochain. Casser cette corrélation est le premier travail des constructeurs de paix, travail qui commence donc dans l'interprétation du texte.
C'est contre cette corrélation que le rabbi Jésus livre ici son interprétation. Elle n'est pas facile à entendre. On peut essayer de la rapprocher de ce nous avons déjà lu.
Récompense, plus précisément salaire. Le sens de la question est « Qu'y gagnerez-vous ? » L'idée est bien, comme dans la contestation du talion, de sortir du "jeu à somme nulle" dans les relations humaines, et au contraire de faire advenir une plus-value, un gain.
Cf encore Spinoza : la recherche d'une augmentation de puissance, mais une puissance bien paradoxale.
*Dans une séquence d'anthologie où les Tontons flingueurs trinquent avec une gnôle plutôt raide, l'un d'eux hasarde « y a de la pomme, non ? » À quoi un autre réplique « y en a aussi ».