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  • Ils seront rassasiés (6/9)

    « Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice : ils seront rassasiés. » (Mtt 5, 6)

    Faim et soif : le manque sous sa forme la plus radicale. Manger et boire sont des besoins vitaux. S'ils ne sont pas satisfaits, c'est la mort.

    Il faut donc entendre dans « la justice » en question ici le même enjeu de vie ou de mort. Cette justice consiste à maintenir la vie, à refaire les forces de vie.

    C'est cohérent avec ce que nous avons noté plus haut de la contestation du talion. Il ne s'agit pas d'une justice purement légaliste dont le propos serait d'équilibrer les dommages par des réparations en forme de dommages elles aussi. Ce qui, remarquons-le, aboutit à augmenter les pertes en valeur absolue.

    Au lieu de cela le texte dit « ils seront rassasiés » : rassasier, c'est plus que nourrir, c'est de l'ordre d'une plénitude.

    C'est pourquoi on peut voir dans la justice en question ici l'accomplissement total du projet divin de bonheur pour l'humanité. Ce que souvent le texte évangélique nomme « le royaume (ou le règne) de Dieu ».

    À partir de là, on peut reprendre les remarques précédentes. Comme pour la miséricorde, la paix, la consolation, faire advenir la justice (y compris la justice parfaite de Dieu qui fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons) c'est l'affaire des hommes.

     

  • L'homme qui donne et l'homme et qui reçoit (5/9)

    « Heureux ceux qui pleurent : ils seront consolés. » (Mtt 5, 5)

    Heureux ceux qui pleurent : autant dire heureux les malheureux, non ?

    Serait-ce le moment cynique, voire sadique, de l'évangéliste ?

    Parce que bon ils seront consolés, mais quand ? Au paradis, dans l'au-delà ? Ils peuvent avoir un doute, comme les enfants à qui l'on dit « on fera ça, tu auras ça. Demain » juste pour se débarrasser d'eux.

    Très vite ils comprennent que demain, souvent ça veut dire jamais. Les enfants et aussi Qohèlet l'Ecclésiaste :

    « Regardez les pleurs des opprimés : ils n'ont pas de consolateur (…) Et moi je félicite les morts qui sont déjà morts plutôt que les vivants qui sont encore en vie. Et plus heureux que les deux celui qui n'a pas encore été, puisqu'il n'a pas vu l'œuvre mauvaise qui se pratique sous le soleil. » (Qo 4,1-3)

    Qohèlet précise ici ceux qui pleurent : les opprimés. C'est logique si l'on suit la tradition qui attribue le livre au roi Salomon. La justice sociale est en effet, en tous cas devrait être, la préoccupation d'un gouvernant.* Surtout quand il s'agit du plus sage des rois dixit le texte biblique.

    Des opprimés, on en trouvera aussi plus loin dans les béatitudes. Mais dans celle-ci est considérée la seule douleur. Est-ce dans l'idée délétère que la douleur aurait une valeur en soi ? Cette idée obscène, scandaleuse, qui n'a que trop nourri une foi et une piété doloristes. À commencer par l'exaltation des souffrances de Jésus crucifié.

    Chouraqui traduit, de façon plus précise : les endeuillés. Les pleurs sont provoqués par un deuil, une perte, bref un manque. On peut remarquer alors que la notion de manque se retrouve dans une autre béatitude : Heureux ceux qui ont faim et soif de justice. (On verra ça la prochaine fois).

    En quoi consiste la consolation devant un manque ? Pas à le combler : on parlerait alors de réparation. La consolation consiste, l'étymologie le dit, à ne pas laisser la personne désolée, seule avec sa souffrance.

    Les endeuillés-désolés seront donc consolés à condition, dirait M. de la Palisse, qu'ils trouvent des consolateurs pour tenir cette promesse.

    Ainsi le rapport présent/futur de l'énoncé des béatitudes** peut être lu comme un appel à mettre en oeuvre, à incarner à sa mesure la volonté, le désir divin de bonheur pour l'humanité.

    « Vous serez parfaits comme votre père céleste est parfait » lisions-nous la dernière fois.

    Soit. Mais comme « Dieu est dans le ciel et toi sur la terre » (Qohèlet 5, 1) c'est aux humains qu'il appartient de parfaire cette terre.

    Ou, comme le dit encore mieux Montaigne (en pensant à cette phrase de Qohèlet ?)

    « Quoi qu'on nous prêche, il faudrait toujours se souvenir que c'est l'homme qui donne et l'homme qui reçoit. »

    (Essais II,12 Apologie de Raimond Sebon)

     

    *Je dis ça je dis rien …

    **Trois des béatitudes, cependant, sont entièrement au présent. On verra ça plus loin.

     

  • Son soleil sur les méchants (4/9)

    « Heureux ceux qui font œuvre de paix : ils seront appelés fils de Dieu. » (Mtt 5, 9)

    D'emblée cette formule pose une question : fils de Dieu (filles), ne l'est-on pas de toutes façons, si l'on conçoit un dieu créateur, père (ou mère, puisque matriciel cf la dernière fois) ? Faut-il alors comprendre ici : être appelé fils de Dieu c'est faire honneur à ce nom ?

    Faire œuvre de paix ratifierait le label de qualité « made in God » que le texte biblique appose à l'humanité : Dieu créa l'homme à son image, à l'image de Dieu il les créa ; mâle et femelle il les créa (Gen chap I, 27).

    Mais alors logiquement on doit en déduire que la paix est dans sa nature, à Dieu. Elle est dans son ADN, elle qui permet d'identifier l'humain comme son enfant.

    Et là on tombe sur un gros hic : historiquement et aujourd'hui encore, l'œuvre de paix des différentes religions n'est pas toujours disons évidente ...

    OK je ne veux pas être de mauvaise foi : des faiseurs de paix parmi les adeptes des religions « y en a aussi »*. Oui, ceux, celles qui conçoivent leur dieu à leur image d'humanistes.

    Mais bon inutile d'épiloguer. Puisqu'il s'agit d'agir, de faire, d'oeuvrer, laissons les pourquoi et regardons le comment. Pour faire la paix, comment on fait ?

    Ah oui du coup faut se demander d'abord : c'est quoi la paix ? (J'aurais dû commencer par là, heureusement qu'on n'est pas dans une dissert du bac philo).

    On dit souvent : la paix, c'est ce qu'on fait avec ses ennemis. Qu'est-ce qu'un ennemi ? Quelqu'un qui vous veut du mal et/ou à qui vous voulez du mal.

    Il est important de voir la réciprocité de relation. Car c'est à partir de cette réciprocité négative que la positive se construira. Cela rejoint ce qu'on a vu la dernière fois de la miséricorde mutuelle venant se substituer à la violence mutuelle du talion.

    Le texte le réaffirme un peu plus loin.

    « Vous avez appris qu'il a été dit : ''Tu aimeras ton prochain'' et tu haïras ton ennemi. Et moi je vous dis : aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent, afin d'être vraiment les fils de votre père qui est aux cieux, car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et les injustes. Car si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense allez-vous en avoir ? (…)

    Vous donc vous serez ''parfaits'' comme votre père céleste est parfait. » (Mtt 5, 43-48)

    Remarquons que « tu haïras ton ennemi » n'est pas présenté comme une citation directe, mais comme un corollaire éventuellement déductible du commandement d'amour du prochain. Casser cette corrélation est le premier travail des constructeurs de paix, travail qui commence donc dans l'interprétation du texte.

    C'est contre cette corrélation que le rabbi Jésus livre ici son interprétation. Elle n'est pas facile à entendre. On peut essayer de la rapprocher de ce nous avons déjà lu.

    Récompense, plus précisément salaire. Le sens de la question est « Qu'y gagnerez-vous ? » L'idée est bien, comme dans la contestation du talion, de sortir du "jeu à somme nulle" dans les relations humaines, et au contraire de faire advenir une plus-value, un gain.

    Cf encore Spinoza : la recherche d'une augmentation de puissance, mais une puissance bien paradoxale.

     

    *Dans une séquence d'anthologie où les Tontons flingueurs trinquent avec une gnôle plutôt raide, l'un d'eux hasarde « y a de la pomme, non ? » À quoi un autre réplique « y en a aussi ».