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Blog - Page 308

  • N'importe qui (2/7)

    L'intérêt du religieux repose donc d'après Girard sur sa vertu prophylactique à l'égard de la violence. Prophylaxie mise en œuvre sous une forme vaccinale. Car la violence ça vous gagne. C'est comme ça c'est plus fort que toi.

    Et qu'est-ce qu'on fait quand on sait ne pas avoir le dessus ? On se garde bien d'affronter, on contourne, on ruse. On cherche à prévenir plutôt que guérir. Dans le genre, le sacrifice serait d'un bon rapport qualité prix.

    Jusqu'ici on se dit pourquoi pas. S'il faut en passer par là. À condition de pas être la victime soi-même ça va sans dire. Ah c'est un premier hic. Jusqu'où on ira pour ne pas être la victime ?

    Girard ignore la question. Un peu comme si on laissait de côté les conditions de signature dans les philosophies du contrat. Sauf que tant qu'on ne s'y collette pas, on n'entre pas dans le dur.

    Mais pour lui les choses sont simples « Tous les acteurs jouent le même rôle, sauf la victime émissaire bien entendu, mais n'importe qui peut jouer le rôle de la victime émissaire. »

    « Bien entendu ». Voulez mon avis ? Pas sûr que la victime elle ait si bien entendu que ça, qu'elle ait été d'accord à fond. « N'importe qui peut jouer le rôle » OK mais si on étudie un peu le scénario pas sûr que ça se bouscule au casting.

    Non je suis un tantinet de mauvaise foi. Le scénario n'était pas écrit. Quand le premier meurtre arrive, c'est au terme d'une crise de violence réciproque style village d'Astérix en moins bon enfant.

    Plan large : feu de l'action, tout le monde tabasse tout le monde avec ce qui lui tombe sous la main, mêlée générale (beaucoup de figurants défigurés peu à peu). Or voici que le hasard se pointe inopinément dans un coin du cadre. La caméra le suit l'air de rien.

    Puis tout à coup zoom avant. On voit qu'il s'est fait happer par la mêlée. Il se démène comme un beau diable pour essayer d'en sortir pendant le zoom arrière et le retour au plan large. Il feinte, il est passé par ici, il est repassé par là. Suspense, le hasard va-t-il arriver à franchir la rude baston ?

    Tout à coup gros plan. Face caméra, il prend les choses en main, endosse le rôle d'arbitre pour désigner un des combattants. Au hasard. Alea jacta est. Un deux trois la victime ce sera toi, quatre cinq six pour finir la crise.

    Voilà c'est ainsi que Girard voit le scénario. Un hasard décida de la première victime. Raison pour laquelle désormais on la choisit plus ou moins arbitrairement dit-il, même que dans certains rituels elle est parfois désignée par un truc style tirage au sort.

    Entre nous le hasard a bon dos, non ?

    Perso je gage que la victime première fut rarement le gros costaud avec grosse massue ou silex tranchant.

    Ma main à couper que cela a dû être une femme plus souvent qu'à son tour. Ou à la rigueur un petit (en taille aussi mais là je veux dire l'âge). Genre le sort tomba sur le plus jeune. Autant dire le plus faible.

    Le « premier venu » du hasard, logiquement est plutôt le dernier.

     

  • Un sacré mécanisme (1/7)

    « Nous affirmons que le religieux a le mécanisme de la victime émissaire pour objet. Sa fonction est de perpétuer ou renouveler les effets de ce mécanisme, c'est à dire de maintenir la violence hors de la communauté ».

    René Girard La violence et le sacré (1972)

    Je ne vous présente pas René Girard anthropologue et critique littéraire (1932-2015), il est dans Wikipédia. J'ai découvert en googuélisant qu'il y avait un footballeur du même nom. Enfin, un footballeur retraité : ces René Girard ne sont ni l'un ni l'autre nés de la dernière pluie.

    Si je vous parlais foot, sans doute vous captiverais-je davantage, mais j'y connais rien. OK c'est pas sûr qu'en anthropologie j'y connaisse beaucoup. Bon la critique littéraire c'est déjà un peu plus ma tasse de thé.

    Bref je ne sais pour le footballeur, mais le but du RG dont je vais vous parler est rien moins qu'expliquer tenants et aboutissants du fonctionnement de toute institution humaine à partir du principe du sacrifice religieusement ritualisé.

    Le rite sacrificiel découle (c'est le mot vu le contexte sanglant) d'un lynchage primitif. Cet événement a eu lieu pour de bon (ce n'est pas le mot, mais bon), il fait partie de l'histoire réelle des sociétés, mais il est recouvert d'une méconnaissance.

    On pourrait se dire que c'est ballot, mais non, cette méconnaissance « peut seule assurer au rite son effet de structuration sociale ».

    Ce lynchage mit un coup d'arrêt (et de massue avec) à la répétition interminable de la violence mimétique spontanée lors d'une baston généralisée dans la tribu ou quoi que ce soit. Comment ?

    En substituant à la réciprocité de la violence une unanimité violente par laquelle tout le monde se retrouve ligué (on sait pas trop comment) pour accomplir l'élimination d'une victime et une seule. Qui devient du coup The Victim, mythique et tout ça. Pourquoi ?

    Parce qu'au bout du compte c'est elle et elle seule que l'on va considérer comme responsable/maîtresse de la violence, vu que la baston a cessé avec sa mort. Or de concomitance à relation de cause à effet y a qu'un pas en mauvaise logique CQFD. A partir de là, le rite sacrificiel de la victime émissaire pourra servir de leurre efficace à la violence.

    Voilà le résumé de la thèse de René Girard. On peut en dire bien des choses vu qu'elle implique des tas de questions de tous ordres.

    Commençons simplement : si la phrase que je cite au début était de Desproges tout le monde rigolerait. Loufoque, non ?

    Heureusement que je ne suis pas du genre à faire dans le calembour vaseux, sans quoi je serais tentée de dire c'est une phrase loups-faux-culs. Style comment rester loups en (se) le masquant.

    Car m'enfin quand même « maintenir la violence hors de la communauté » en la mettant au centre d'un rite : un peu comment dire limite côté bonne foi.

    En tous cas par rapport à disons au hasard Spinoza, je trouve que ça fait petit bras. Ou plutôt « baissons les bras ».

  • Last but not least

    Vulnerant omnes ultima necat

     

    = Elles blessent toutes, la dernière tue.

     

    Disent parfois les cadrans solaires quand on leur demande l'heure.

    Sans blague ! Ils nous croient nés de la dernière pluie ?

    J'ai pas beaucoup de certitudes, mais celle d'être mortelle, celle-là on me l'enlèvera pas. Sans me vanter : même le plus con du commun des mortels jusque là il y va.

    Il y a même des cadrans solaires qui, histoire d'enfoncer le clou, vont jusqu'à afficher un sadique Ultima forsan (= la dernière peut être).

    Genre je dis ça je dis rien, regarde pas tout de suite, mais tu la vois l'épée de Damoclès au-dessus de ta tête ?

    Quoique sadique. Ça peut être un jeu. Alors on viendrait te dire qu'il te reste une heure à vivre : tu fais quoi ?

    Bon évidemment tout dépend de l'état. Mais admettons, toutes choses égales par ailleurs, qu'on dispose pour cette dernière heure de toutes ses facultés physiques et mentales.

    Vous avez des gens qui vous diront : je change rien à ce que j'avais prévu.

    Très zen. Ou très m'as-tu-vu genre admirez mon stoïcisme.

    Quoique stoïcisme. Moi qui ne suis ni stoïcienne ni zen (et Zeus sait si ça me gêne) je crois aussi que je ne changerais rien.

    La faute à mon tropisme sceptique : le temps de me demander quoi faire, l'heure serait passée. 

     

    Mais revenons à Vulnerant omnes ultima necat.

    Ultima necat, scepticisme ou pas, difficile de dire le contraire. Par contre vulnerant omnes ça se discute.

    Dans la vie il y en a, des heures qui blessent, amoindrissent, désamorcent l'énergie et éteignent la joie. Mais toutes ? Non ! Parmi les heures de notre vie, il y en a qui résistent encore et toujours à l'érosion, à l'entropie.

    Dans l'évolution du corps, même si la pente globale est descendante, il y a parfois un faux plat bon à prendre, voire une remontée plus encourageante.

    Quant au psychisme, s'il a une aptitude, c'est bien celle de cicatriser ses blessures. De parvenir à maintenir vaille que vaille sa petite flamme de joie de vivre. Étonnant, non ?

     

    Quoique. Pas tant que ça, finalement

    Le désir est l'essence-même de l'homme en tant qu'on la conçoit déterminée, par suite d'une quelconque affection d'elle-même, à faire quelque chose.

    (Éthique Partie 3, définition des affects, définition 1)