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Blog - Page 376

  • La sangsue et la mordue

    « Aime-t-elle Beethoven ? » En sept lettres.

    Margot adore les mots croisés. Elle ne sait dire la motivation ni l'origine exacte de cette passion (frôlant l'addiction elle l'admet volontiers).

    Mais chose certaine, cette activité (est-ce le mot ?) a le don de désamorcer sa machine à gamberges, de la détendre, d'éviter la cigarette (enfin disons de retarder la prochaine, si l'on désire être vraiment précis).

    Les mots croisés installent dans le rapport avec les mots un climat comment dire : bon enfant. Voilà, bon enfant.

    Les mots croisés, c'est plein de petites vannes faciles à éventer, de feintes à trois balles. Même, et davantage en fait, dans le cas de grilles soi-disant complexes, nécessitant paraît-il des connaissances, de la finesse.

    Elle fait le rapprochement avec le poker. Dans la partie de poker, la force objective des cartes n'a rien de déterminant (sans être totalement négligeable d'accord). Compte essentiellement l'art de laisser l'adversaire imaginer, s'interroger.

    L'art de laisser croire, de faire croire. L'art de faire semblant. 

    De même, les grilles dites difficiles le sont en fait, si on les analyse, par la mise en condition préalable. Point barre. Des renommées assises, mais mensongères.

    C'est comme avec la philo finalement, les math, ces savoirs dits abstraits. Certains les abordent avec sentiment d'incompétence, dans l'inhibition. Trop dommage.

    Les grands hommes (et femmes) et les grandes choses sont simples. Elle le sait, ça n'a pas nécessité longtemps de le savoir. Mais la simplicité effraie, là est le hic.

    Et ça, Margot a mis longtemps à l'admettre …

    Allons allons, éviter la gamberge on a dit.

    « Aime-telle Beethoven ?» Décidément : bon enfant. Clin d'œil, second degré en toc dont on sait ne tromper personne. Mais on l'ose par simple plaisir de la connivence.

    Comme ces charades idiotes dont Margot se délecte pareil. Exemple « Mon premier est dans la mer, mon second dans le verger, et l'ensemble le nom d'un grand roi de France ».

    Le genre de choses à la faire rire encore et encore. Dans sa tête elle a cinq ans. Maxi. Et elle rigole avec sa grille de mots croisés comme on rigole avec sa bonne copine à la récré ...

    Alors, voyons après y a ... En 4 lettres : « Il paresse mais il s'accroche ».

     

     

     

     

     

     

     

  • Piano forte

     

    Le piano va arriver aujourd'hui. Enfin. Frédéric l'a commandé il y a plusieurs semaines, il commence à piaffer pour de bon. Il lui semble avoir des colonies de fourmis dans les phalanges.

    Bien sûr il s'exerce quand même chaque jour sur son vieux machin à moitié désaccordé. Une façon de ne pas perdre la main. Mais ça s'appelle à peine jouer. Avec un engin pareil, où chercher le plaisir, le souffle, l'envol dans la musique ?

    Il préfère encore fredonner pour lui-même, ruminer la mélodie, faire vibrer les accords au niveau de son plexus solaire. « Je suis à moi-même mon propre piano ».

    D'ailleurs son professeur, ce génie qu'il ne remerciera jamais assez, lui prodigue sans cesse la même consigne : Frédéric, vous ne devez pas jouer la musique, vous devez la vivre. Vous devez la laisser s'inscrire dans vos fibres comme dans votre âme.

    Qu'elle vous imprègne, vous noie, puis vous en émergerez : là, vous jouerez.

    « Un peu allumé » a pensé Frédéric à leur premier rendez-vous, la première fois que le professeur lui a servi son discours. Il n'aime pas le flou, ne jure que par bosser, bosser, encore bosser. Sans blabla superflu.

    Puis il a essayé, il a admis d'avoir confiance dans le bonhomme. Il a vu. Ça marche.

    À peine Frédéric reprend-il son exercice qu'on sonne. Voilà les livreurs.

    « Bonjour Messieurs, alors venez voir, le piano je pense le placer ici.

    - Euh pas facile : ça risque de coincer au passage du chambranle, là.

    - Vous ne pouvez pas le passer par ailleurs ? Si j'ouvre la baie ?

    - Ah ouais OK, on va essayer par là. On va prendre l'appareil pour surélever. Ça va aller, ça va le faire, vous bilez pas ».

    La mise en place du piano a lieu, non sans mal, sous le regard préoccupé de Frédéric. Ce nouveau piano sera désormais son compagnon fidèle, son ami, son frère, celui à qui se confier jour après jour.

    Pourvu qu'il ne souffre pas, qu'il n'écope pas d'une éraflure sur son bois. Ou pire, quelque chose qui vienne fausser sur le clavier lui-même une blanche, une noire.

    Le piano auquel il rêve depuis ... son Pleyel …

    Alors Frédéric pousse un cri.

    « Messieurs, messieurs ! Il y a une erreur ! Vous ne m'avez pas livré le bon piano, j'avais commandé un Pleyel … Mais là, regardez … »

    Frédéric va défaillir, les yeux élargis d'horreur.

    Le livreur regarde son bordereau.

    « Ah, merde ! On a confondu avec la livraison d'après, le Steinway ! »

     

     

     

     

  • Sans cesse

     

    J'ai pour métier l'horlogerie. Et j'aime tellement cela. Un métier vraiment magnifique, noble, grand. Qu'y a-t-il de comparable, en effet, à cette occupation qui m'accroche à la trame de la vie ?

    Car oui, la vie on peut en percevoir (charnellement je veux dire) l'avancée, au rythme machinal et ininterrompu d'une montre, d'une pendule, d'une horloge. Tic tac tic tac. Et encore et encore.

    Dans une douceur tellement enveloppante et calmante, comme l'écho du cœur qui me berçait dans le ventre maternel ...

    Car inutile de le dire, l'horlogerie que je pratique exclut la montre à quartz, ou le machin numérique. Je fonctionne au mécanique uniquement.

    Je n'ai de relation qu'à ce qui vit et vibre comme un petit animal grignoteur du jour, avaleur de la nuit. Un fidèle animal de compagnie, qui tout tranquillement mène à bien un travail de déglutition de l'éternité.

    Mon métier je l'aime tellement pour tout ce qu'il révèle de la magique beauté de la dynamique, de la cinétique. Une beauté élaborée et brute tout autant.

    Une beauté qui tient exactement à ceci : une même pâte permet de façonner le matériel et l'immatériel. Un même matériau, celui que je travaille, la durée, le cycle vital.

    Tout cela peut paraître bien lyrique. Et pourtant nulle exagération, je l'affirme, quand j'exprime cette émotion.

    Cependant "cycle, éternité, déglutition ininterrompue, nul arrêt" : il faut mettre un bémol. Oui forcément cela arrive, l'arrêt de l'horloge.

    Comme un blanc dans le déroulement temporel, comme un mot qui achoppe et rompt la fluidité du texte, comme le trou du comédien qui tout à coup perdrait le fil du long monologue.

    D'où mon métier. Un arrêt de la montre implique mon mouvement à moi. Remettre la pendule à l'heure. Et l'horloge et la montre. Remettre en route le tic tac, pratiquer le mouvement ad hoc, trouver le rythme adéquat.

    Comme on fait, quand arrive un arrêt cardiaque, pour remettre en marche la pompe vitale. Et épargner la vie menacée.

    La vie : rien d'autre qu'un rythme. Vie, rythme, déroulement temporel : on parle là de la même réalité Et au cœur de ce rythme j'ai placé ma demeure.

    Ma petite grotte cachée où la joie m'accompagne, la joie de vivre au jour le jour, une minute, et une minute, et une autre, une autre, encore, encore ...

     

    J'ai pour métier l'horlogerie. Et j'aime tellement cela. Un métier vraiment magnifique, noble, grand. Qu'y a-t-il de comparable, en effet, à cette occupation qui m'accroche à ...