Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Blog - Page 375

  • Un oryx récalcitrant

     

    Armand était content. La scène à tourner aujourd'hui serait un vrai plaisir. Elle ne présentait aucune difficulté particulière. Un tournage en décors naturels ce n'est pas forcément évident, pourtant.

    La seule contrainte serait le timing, pour profiter de la lumière parfaite, comme au moment des repérages. Mais sinon ces grands espaces, ce désert, ça donnait beaucoup de possibilités. Il faisait placer plusieurs caméras, il multiplierait les angles des prises de vue.

    Et comme ça au montage, il ne se fermait aucune option de scénario. C'est ainsi qu'il avait construit ce que les critiques appelaient sa virtuosité à jouer avec les codes. La surprise, décevoir l'attente ... Sans oublier l'émotion bien sûr.

    Mais ici ? Plutôt mélo ou plutôt happy end ? Ça dépendait du public visé. Il verrait avec le producteur.

    Qui pour l'instant s'était montré enthousiaste (une fois n'est pas coutume).

    « Super ton histoire, Armand ! La petite antilope, ou gazelle, enfin bref, arrachée à sa harde, qui devient la légende du désert. L'immensité, les grands espaces, le jeu de cache cache avec les chasseurs. Un mélange de Bambi et de Lawrence d'Arabie.

    Sans compter le côté féministe (bonne idée la gazelle femelle), un soupçon de Thelma et Louise. Et puis bien sûr le thème écolo, espèce menacée tout ça, c'est un must maintenant. Bref hyper syncrétique, non, vraiment très malin, on va faire un carton. »

    Bambi … Un peu humiliant, non ? Mais bon. Ce qui comptait c'est qu'on lui laissait carte blanche. Allons, profiter du plaisir de la scène d'aujourd'hui.

    « Armand ! Ah te voilà ! Euh on a un petit souci. On a perdu l'animal.

    - Comment ça ?

    - L'antilope, l'impala, enfin le machin, là. Tu sais on avait prévu de la lâcher à la caméra 4, et puis de la suivre …On l'a lâchée. Mais on l'a perdue. En fait c'est elle qui nous a lâchés, on sait pas où elle est passée …

    - L'impala est plus là ? Mais enfin elle peut pas être bien loin. Y a pas des tonnes de planques ici, c'est le désert, merde. Et puis d'abord pourquoi elle est partie, qu'est ce que vous avez fait ?

    - Rien, voyons, on a fait comme les autres jours, mais tu sais c'est des bestioles assez capricieuses … Surtout celle-là avec son petit caractère.

    - Bon tant pis. Le temps qu'elle revienne, on va tourner avec la doublure. On s'arrangera pour les raccords, on supprimera des gros plans enfin on verra …

    - Ben c'est à dire la doublure ... L'autre impala est plus là non plus. Elles sont parties ensemble on dirait qu'elles se sont donné le mot.

    - Quoi ! Non mais qu'est-ce que c'est que cette équipe de nazes ? Je vais m'expliquer avec le directeur du parc, moi. Bon ben allez on les cherche ! Tout le monde s'y met, là, et fissa ! »

    Et voilà, on allait perdre un jour de tournage pour ces bestioles à la con ! Ces antilopes, toutes des ... Je t'en foutrai, moi, des Thelma et Louise ...

     

     

     

  • Ouessant

     

     

    « Ouais je suis pas sûr que c'était une bonne idée, la Bretagne en septembre.

    - Si tu arrêtais un peu d'être négatif une fois, pour changer ?

    - C'est pas une question de négativité, Françoise. Mais avoue que là c'est ce qu'on peut appeler une absence de perspective, non ?

    - Tu veux dire pour nous ? Notre couple ?

    - Notre couple ? Qu'est-ce que ça vient faire ? Je dis juste que d'ici on était censé voir l'île d'Ouessant, mais avec ce brouillard qu'on dirait de la ouate … Quoi notre couple ? Tu lui reproches quoi à notre couple ?

    - Eh bien en fait puisque tu en parles, il faudrait qu'on ait une discussion, qu'on aille un peu au fond …

    - Au fond de quoi ?

    Au fond de l'inconnu pour trouver du nouveau …

    - Quoi ? Attends tu es en train de me dire que tu … Quel nouveau d'abord ? Le frimeur de l'autre soir, à la fête chez Édouard ?

    - Lequel de frimeur ? Parce que ça manquait pas …

    - Mais si, tu sais, le con qui rentrait de Ouagadougou … ou de Ouarzazate …

    - Non, il rentrait de Ouaterloo.

    - Ah tu vois tu l'as remarqué !

    - Mais non, l'inconnu, le nouveau tout ça, c'était une citation. Un poème. Mais laisse tomber.

    - Voilà ! Je l'attendais celle-là ! Parce que j'ai pas traîné à la fac de lettres comme Madame, je suis un inculte moi, vas-y dis-le, puisque c'est ce que tu penses ! Ah tu veux qu'on aille au fond, eh bien on va y aller. Tu crois que c'est marrant pour moi de toujours naviguer à vue avec toi ? De me dire que d'un moment à l'autre la météo peut changer, que ta bonne humeur peut se transformer en grand frais ? Et après va tenir le cap, dans le brouillard, avec un vent force 4 …

    - C'est quoi cette métaphore pourrie ? Tu vois que tu fais dans la littérature quand tu veux … Hein mon Chouchou, allez, on est en vacances, on est bien. Et puis regarde, ça se dégage sur la baie. On va finir par la voir, notre île d'Ouessant …

    - Ouais ouais. Mais tu sais ce que dit le proverbe ici : qui voit Ouessant voit son sang.

    - Mais c'est pas vrai ! Tu le fais exprès ou quoi ? Et après tu diras que t'es pas négatif ? À moins que ce ne soit une manière élégante de m'informer que tu as des envies de meurtre à mon égard ? Eh bien rassure-toi Chouchou c'est réciproque. »

     

     

     

     

  • Sous la plage un pavé

     

    Pour ses congés, Ursule cette année est allée à la mer. Une rupture avec ses habitudes. Car elle passe systématiquement son mois de repos annuel à la montagne.

    Parce que la montagne, précisément, c'est reposant. L'été, bien sûr. À la saison du ski, au contraire, la montagne, elle la fuit. Car Ursule n'a pas la fibre panurgique.

    « Être obligé de s'entasser, de faire la queue, de subir la proximité de gens bruyants, pas toujours polis, bref s'exposer à manquer des égards minimaux qu'on est censé attendre des autres dans une société digne de ce nom : pas pour moi. » se dit-elle.

    « D'ailleurs », s'ajoute-t-elle, « à considérer les choses sous cet angle, on peut énoncer un axiome sociologique. Il y a permutation des désagréments et agréments de la montagne ou de la mer entre saison chaude et saison froide.

    À la montagne l'été, à condition de contourner les itinéraires les plus courus, on peut toujours dénicher le coin où profiter en toute quiétude des bienfaits de l'altitude, de la solitude au calme de l'alpage. Là il y a des moutons mais sans Panurge.

    À la mer c'est le contraire. Des moutons à Noël, et Panurge au quinze août. »

    Alors pourquoi diable Ursule a-t-elle choisi la mer cet été, au détriment de sa sérénité ? À cause de la sienne. De mère.

    « Le mois prochain je t'emmène en congé, Maman, si ça te dit.

    - Quoi ? Me changer ? Tu n'aimes pas ma robe ?

    - Non : con-gé Maman. Aller en congé toutes les deux.

    - Congelée ? Oui il fait froid ici. Emmène-moi quelques jours au soleil, sur la Côte d'Azur, là où nous allions, tu te rappelles ? »

    C'est ainsi qu'Ursule a atterri ici, allongée sur le sable, ayant conquis de haute lutte la surface minimale où poser les draps de bain, entre papiers gras et mégots.

    Faisant abstraction de l'ambiance sonore (haute teneur en décibels garantie grâce aux enfants du drap limitrophe), s'abritant tant bien que mal, de son bras replié, du chien accouru s'ébrouer près d'elle (elle y peut rien les animaux l'adorent), Ursule tente de se détendre.

    Sa mère, elle, est toute contente. Elle se hâte pour aller à l'eau, dans une joie d'enfant. Ursule sourit. Allons, elle n'aura pas sacrifié la paix de la montagne pour rien. Et elle la suit du regard, tendrement.

    Mais tout à coup, boum, elle est tombée ! Ursule se précipite. Sa mère a buté sur un galet. Non, pas un galet. Ursule n'y croit pas : sous le sable de la plage, un … Pas possible !

    « Emportons-le, ma chérie, je le mettrai sur ma table de nuit, ça me rappellera mes nuits de mai à la Sorbonne, mes jeunes étudiants ... »