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Blog - Page 372

  • Esprit es-tu là ?

     

    « Si la pauvreté est la mère des crimes, le défaut d'esprit en est le père. » La Bruyère Les Caractères (De l'homme 13)

    Pauvreté mère des crimes : je veux bien, y a des exemples. Mais pour autant, la richesse, on la dédouane ? Elle a aussi une belle progéniture à faire valoir dans le genre criminesque, non ?

    Les riches, pour leur chère richesse, pour l'accroître et l'embellir, empêcher les autres d'y toucher (surtout ce salaud de fisc qui les rançonne pour donner aux pauvres ou aux immigrés), pour mettre en place leurs stratégies grippe-sou, il pourrait y en avoir quelques-uns qui de temps en temps, par ci par là dans le vaste monde, risquent de faire des trucs pas jolis jolis.

    Mais aussi bien je dis ça juste par défaut d'esprit, va savoir.

    À propos, interrogeons-nous sur ce mot d'esprit, un mot que le XVII° siècle adorait (et encore le XVIII°).

    Le bel esprit était un cocktail à savourer sans modération dans les dîners en ville ou à la Cour : finesse, sens de l'humour, aisance et inventivité de langage, politesse raffinée, ce genre d'ingrédients. En proportions variables selon les gens et les situations.

    L'esprit tout court est plus largement un synonyme d'intelligence, de discernement.

    Il se présente comme une qualité double face : aptitude intuitive à percevoir les enjeux d'une situation, à ressentir de l'empathie avec les gens ; aptitude rationnelle à analyser, inscrire ses observations dans un cadre logique.

    Et puis il suffira de combiner les deux pour adapter au mieux sa conduite à la situation donnée. Or c'est pas gagné.

    « Après l'esprit de discernement, ce qu'il y a au monde de plus rare, ce sont les diamants et les perles. » (Des jugements 57)

    (Tout s'explique pour les riches : ils ont choisi)

    La Bruyère met régulièrement en regard de l'homme (ou femme) d'esprit deux repoussoirs, le sot et le fat. Autrement dit le bourrin et le frimeur.

    Ce qui donne de jolies formules lucides-acidulées :

    « Un sot est celui qui n'a même pas ce qu'il faut d'esprit pour être fat. » (Des jugements 44)

    Le genre « qui voudrait bien avoir l'air, mais qu'a pas l'air du tout » comme dit la chanson de Brel. Le fat est certes par définition un adepte du conformisme (c'est le principe pour être admiré), mais il le fait avec habileté, alors que le sot y va avec ses gros sabots.

    Corollaire : « Un fat est celui que les sots croient un homme de mérite. » (45)

    Forcément, un bourrin est facile à abuser selon le principe « plus c'est gros plus ça passe ». Or l'homme de mérite est par définition discret, ne cherche pas à jeter de la poudre aux yeux : il n'a rien à (se) prouver (cf Orgueil rampant).

     

  • Les promesses n'engagent ...

     

    « Il coûte si peu aux grands à ne donner que des paroles, et leur condition les dispense si fort de tenir les belles promesses qu'ils vous ont faites, que c'est modestie à eux de ne promettre pas encore plus largement. »

    La Bruyère Les Caractères (Des grands 6)

    Suivez mon regard.

    Mais au fait, question : pourquoi considérons-nous que l'aspirant gouvernant doive faire des promesses ? Aujourd'hui, dans le système démocratique caractérisé par la possibilité du libre choix électoral ?

    Du temps de La Bruyère, de la monarchie absolue et de l'inégalité sociale admise sinon bien supportée, il était logique que le rapport aux grands fonctionnât (imparfait du subjonctif symptôme de contamination par la langue du XVII°) selon le binôme requête/promesse.

    Rien n'étant légalement dû, ou si peu, il était inévitable que, semblables aux fontaines des jardins de Versailles, les promesses cascadassent depuis le bon plaisir du roi, par le canal de grands très grands et de haute noblesse, puis d'un peu moins grands et nobles, jusqu'aux petits grands.

    Desquels le peuple, petit et grand, attendait quelques gouttes en fin de parcours.

    Mais en démocratie, où le législatif et l'exécutif sont censés n'exercer leurs pouvoirs que par délégation des citoyens (ou disons pour être plus précis du corps électoral), c'est à nous citoyens qu'en principe il appartiendrait d'alimenter et canaliser la fontaine.

    Limpide, non ?

    Mais non : c'est pas demain la veille qu'élus ou autres « grands » se détacheront de la mentalité furieusement Ancien Régime qui caractérise notre monarchie républicaine.

    À moins que nous ne les y aidions. En y renonçant pour notre part.

    Mais bon je dis ça je dis rien. Ils promettent, ils promettent pas, ils tiennent, ils tiennent pas : tout ça n'est pas si grave. Le monde ne s'est jamais si bien porté, non ?

    Partout on ne fait assaut que de fraternité, et il règne à l'ONU une super bonne ambiance.

    Quant à l'Europe ? Un modèle de coopération.

    Et les capitalistes ? Trop partageux !

    Le sens de la responsabilité écologique ? Il tient le haut du pavé, mobilisant l'ensemble de la communauté internationale si soucieuse de la survie de notre espèce humaine.

    Bref tout baigne.

    Et en plus ici chez nous la gauche plus unie que ça elle meurt.

    Bon allez, j'arrête de me faire du souci.

    Promis.

     

  • Orgueil rampant

     

    « Du même fond d'orgueil dont on s'élève fièrement au-dessus de ses inférieurs, l'on rampe vilement devant ceux qui sont au-dessus de soi.

    C'est le propre de ce vice, qui n'est fondé ni sur le mérite personnel ni sur la vertu, mais sur les richesses, les postes, le crédit, et sur de vaines sciences, de nous porter également à mépriser ceux qui ont moins de cette espèce de biens, et à estimer trop ceux qui en ont une mesure qui excède la nôtre. »

    La Bruyère Les Caractères (Des biens de fortune 57)

    Voilà qui méritait d'être dit : l'orgueil peut vous faire ramper. C'est même à vrai dire le principal moteur de la reptation sociale, bien davantage que la peur.

    Ne pas confondre bien sûr l'orgueil tel qu'il est ici défini, et la fierté de soi.

    Ils sont totalement antithétiques. Le vice d'orgueil ici épinglé se fonde sur la rivalité/comparaison, alors que la fierté de soi va de pair avec l'autonomie.

    L'orgueil ça mesure, c'est quantitatif. Nombre de zéros au compte en banque, nombre des diplômes (réels ou inventés pour les besoins d'un poste désiré), accumulation de crédit dans le monde de l'amitié virtuelle, pourcentage flatteur d'un sondage, chiffres de vente, parts de marché, poids des médailles etc.

    Et ça mesure pourquoi ? Pour comparer et classer.

    Pour (se) prouver qu'on a (qu'on est) plus que.

    En revanche mérite personnel ou vertu font par définition échapper à toute comparaison, étant les qualités qui font qu'on est soi.

    La fierté de soi ne conduit cependant pas nécessairement à se reposer sur les lauriers de son jardin privatif. Elle n'interdit pas qu'on s'améliore moralement, qu'on progresse socialement, qu'on s'enrichisse pourquoi pas (si on y arrive honnêtement).

    Mais elle empêche qu'à la différence s'accroche la comparaison quantifiée, qu'à celle-ci s'accroche la rivalité classificatrice, et à celle-ci l'aliénation au maître dont on espère qu'il vous fasse son sous-maître (cf note précédente).

    Une sous-maîtrise qui suffira à vous mettre au-dessus de quelques autres.

    Et enfin on se sentira quelqu'un.

    Un espoir pour lequel on est prêt à ramper.

    Sans économiser sur la vilenie.