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Le blog d'Ariane Beth - Page 103

  • Brutale

    « n°150 : Éléments pour la critique des saints.

    Doit-on donc, pour posséder une vertu, vouloir la posséder précisément sous sa forme la plus brutale ? – comme les saints chrétiens l'ont voulu et en éprouvèrent le besoin ; eux qui ne supportaient la vie que grâce à la pensée qu'à la vue de leur vertu, chacun était saisi du mépris de soi. Mais une vertu qui exerce un tel effet, je la qualifie de brutale. »

    (Friedrich Nietzsche Le Gai Savoir Troisième livre)

     

    Nietzsche pense ici aux saints du christianisme (disons ceux du genre ascètes ou martyrs), et aussi probablement aux gourous et maîtres de l'hindouisme et du bouddhisme.

    Mais comment ne pas penser en outre à la vertu brutale des instigateurs de djihad, incitant au mépris de soi (et de sa propre vie, et par là de beaucoup d'autres).

    On pourrait aussi ajouter la sainteté d'ordre idéologique et politique, celle des purs et durs, des intransigeants de tous bords.

    Dans tous ces cas-là, c'est une fausse vertu, mais une vraie brutalité, dont le seul propos est d'imposer un pouvoir.

    Pouvoir des vieux sur les jeunes, des hommes sur les femmes, des grandes gueules et des impulsifs sur les modestes et les réfléchis.

    Pouvoir déguisé en vertu de ceux qui, en effet, ne supportent pas la vie, parce qu'elle est plus grande qu'eux.

     

  • Des yeux nouveaux et personnels

    « n°143 : Utilité majeure du polythéisme.

    (…) L'invention de dieux, de héros et de surhommes de toutes sortes, ainsi que de quasi-hommes et de sous-hommes, de nains, de fées, de centaures, de satyres, de démons et de diables, fut l'inestimable exercice préparatoire à la justification de l'égoïsme et de la souveraineté de l'individu : la liberté que l'on accordait au dieu à l'égard des autres dieux, on finit par se l'accorder à soi-même à l'égard des lois, des mœurs et des voisins.

    Le monothéisme en revanche, cette conséquence rigide de la doctrine de l'homme normal unique – donc la croyance en un dieu normal, à côté duquel il n'y a que des faux dieux mensongers – fut peut être le plus grand danger pour l'humanité jusqu'à aujourd'hui : ce qui menaçait là, c'est ce coup d'arrêt prématuré que la plupart des autres espèces animales, pour autant que nous puissions le voir, ont atteint depuis longtemps : en ce qu'elles croient toutes en un animal normal unique, idéal de leur espèce, et qu'elles ont définitivement traduit la moralité des mœurs dans leur chair et dans leur sang.

    Dans le polythéisme se préparaient la liberté d'esprit et la multiplicité d'esprit de l'homme : la force de se créer des yeux nouveaux et personnels, sans cesse renouvelés et toujours plus personnels : de sorte que pour l'homme seul, parmi tous les animaux, il n'y a ni horizons ni perspectives éternels. »

    (Friedrich Nietzsche Le Gai Savoir Troisième livre)

     

    Vision iconoclaste du monothéisme comme un instinct animal dans l'homme.

    Cet instinct qui fait de la vie animale l'obéissance à des cycles, un éternel retour. Au contraire ce qui caractérise l'humanité, c'est qu'elle s'invente au fil du temps, c'est qu'elle a une histoire. Une histoire où elle projette des enjeux de liberté.

    À cet égard il faut tout de même souligner que certains textes du monothéisme judéo-chrétien portent pourtant exactement cet enjeu, racontent une histoire de libération : je pense par exemple à l'Exode, aux livres prophétiques, Isaïe particulièrement, à nombre de psaumes, et aussi aux discours évangéliques, particulièrement le « sermon sur la montagne » (Matthieu chap 5 et Luc chap 6).

    Je crois que ce que Nietzsche récuse ici dans le monothéisme, c'est plutôt la mainmise religieuse à proprement parler, qui substitue à la liberté textuelle l'obligation dogmatique, assortie du pouvoir de clercs qui s'en auto-proclament les interprètes exclusifs.

    Mais considérer qu'à l'inverse le polythéisme est le signe de cette liberté et de cette inventivité, me paraît une vision discutable des choses, une vision disons esthétique et romantique. Friedrich semble oublier un peu vite que le polythéisme est une religion aussi, donc aussi un facteur de surveillance, de restriction, comme en témoigne le principe du tabou par exemple.

     

    Quoi qu'il en dise, Nietzsche sacrifie ainsi parfois la vérité sur l'autel de la provocation. Oui je sais il argumenterait que c'est pour accéder à une vérité plus profonde.

    Bon alors disons qu'il entretenait avec la vérité un rapport - insolent.

     

  • Les émanations toxiques

    « n°134 Les pessimistes comme victimes.

    Là où s'impose un profond déplaisir quant à l'existence, se révèlent les répercussions d'une grave faute de régime alimentaire dont un peuple s'est longtemps rendu coupable.

    C'est ainsi que l'expansion du bouddhisme (non pas son émergence) est liée pour une large part à la place prépondérante et presque exclusive du riz dans l'alimentation des Indiens et à l'amollissement général qu'elle entraîne.

    Peut être l'insatisfaction européenne de l'époque moderne doit-elle être considérée à partir de ce fait que le monde de nos ancêtres, tout le Moyen Âge, grâce aux influences exercées par les inclinations germaniques sur l'Europe, s'adonnait à la boisson : Moyen Âge, cela signifie l'empoisonnement de l'Europe par l'alcool. –

    Le déplaisir allemand quant à la vie est essentiellement consomption hivernale, sans oublier l'atmosphère de cave et les émanations toxiques des poêles qui emplissent les habitations allemandes. »

    (Friedrich Nietzsche Le Gai Savoir Troisième livre)

     

    Comme quoi on a beau être le grand Nietzsche, on peut aligner pas mal de conneries au centimètre carré de page.

    On a ici une caricature de ce qu'il appelait sa physiologie. Le fait de ne pas considérer la pensée comme désincarnée, mais au contraire d'en repérer la source corporelle. Une forme de matérialisme, d'anti-spiritualisme, qui fut un des supports de sa réflexion sur la généalogie de la morale. Et certes cette réflexion fut des plus pertinentes.

    Mais ici, il est visiblement influencé par les typologies caricaturales sur les peuples, liées à l'essor des nationalismes, dont son époque était friande. Et particulièrement sans doute en Allemagne. Cette appétence nationaliste, il la condamne, il a l'intuition des tragédies dont elle est lourde (cf ses Considérations inactuelles).

    Pourquoi alors tant d'outrance ici ? Goût de la provocation ? Perception agacée d'une ambivalence : il a honte de cette proximité de pensée et en même temps il ne peut la récuser tout à fait ?