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Le blog d'Ariane Beth - Page 178

  • Un temps pour tout (10/16) Tout est relatif

    Après son odyssée existentielle, le Qohélet est donc rendu, littéralement, au point mort. « Voilà, je déteste la vie. » (Qo 2,17)

    Une phrase qui fait écho à celles de Job « Pourquoi ne suis-je pas mort dès le sein ? Pourquoi donne-t-il la lumière à celui qui peine et la vie aux êtres amers ? »

    (Jb 3, v.11 et 20)

     

    Leurs situations sont au départ comparables, tous deux sont des hommes de biens et de bien : riches, puissants, pieux et sages.

    La différence c'est que l'auto-malédiction de Job est réaction aux malheurs qui le frappent, réponse à l'incompréhensible malédiction divine.

    Le Qohèlet, lui, est désespéré sans raison objective. Il a tout pour être heureux (comme on dit), mais, en proie à une prégnante anhédonie, il ne peut que ressasser tout est vanité.

    Cet écran de fumée* qui obscurcit sa vision du monde peut s'interpréter comme le symptôme de sa mélancolie.

     

    La mélancolie est souvent associée à la bipolarité. Une bipolarité en effet décelable dans la formule initiale, dont on peut suivre le ressassement au long du livre : tout est fumée sous le soleil. L'existence se présente comme un tableau en clair-obscur, structurée de contrastes entre ombre et lumière.

    Le chapitre 3 commence (v.1-8) en parcourant chaque détail du tableau, chaque déclinaison du binôme clair-obscur.

     

    Ce texte bien connu est simple et beau. Il passe en revue les différents domaines de la condition humaine (vie physique, psychique, relations, travail) pour en dédramatiser les aléas. Comment ?

    Littéralement, il les relativise, rendant visible simultanément chaque terme et son pôle complémentaire.

    Ainsi le passage de l'un à l'autre est replacé dans le cadre d'une alternance normale, prévisible. Et peut être même souhaitable.

     

    « Un temps pour enfanter et un temps pour mourir » (v.2)

    « Un temps pour chercher et un temps pour perdre » (v.6)

    « Un temps pour se taire et un temps pour parler » (v.7)

    « Un temps de guerre et un temps de paix ». (v.8)

     

    Cette oscillation finit par donner au texte un rythme rassurant de berceuse.

    Comme une berceuse, il apporte le calme, la paix.

     

    C'est déjà pas mal. Mais notre Qohélet voudrait bien en finir une bonne fois avec ses affres, émerger de son brouillard.

     

     

    *Même symptôme en fait chez Caïn (Gen 4, 4-6). 

     

  • Un temps pour tout (9/16) Tout ça pour ça

    Dans la vanité des choses, finalement le seul but vraiment utile qu'on puisse se donner dans l'existence est la recherche du bonheur, se dit le Qohélet

    « Je me suis dit en moi-même : allons que je t'éprouve par la joie, goûte au bonheur ! » (Qo 2,1)

     

    Alors il décide d'explorer les voies réputées conduire au bonheur.

    « J'ai entrepris de grandes œuvres : je me suis bâti des maisons, planté des vignes (ben oui quand même), je me suis fait des jardins et des vergers, j'y ai planté toutes sortes d'arbres fruitiers, je me suis fait des bassins pour arroser de leur eau une forêt de jeunes arbres. » (Qo 2, 4-6)

    Le roi a donc été un être humain agissant sur le monde pour lui faire donner son fruit, conformément au projet de Dieu soi-même  :

    « Dieu prit l'adam et l'établit dans le jardin d'Eden pour le cultiver et le garder. » (Gen 2, 15)

    « L'homme d'action ne lâchera pas le monde extérieur sur lequel il peut éprouver sa force. » dit Freud pour sa part  (Malaise dans la culture chap.2).

    C'est un passage de Malaise où il suggère une typologie humaine selon la façon de chercher le bonheur et d'éviter la douleur.

    Outre l'homme d'action il évoque « l'homme principalement érotique (qui) privilégiera les relations de sentiments à d'autres personnes ».

    Une chose que le Qohélet a faite aussi : «Je me suis procuré des chanteurs et chanteuses, et, délices des fils d'Adam, une dame, des dames. » (Qo 2, 8).

    (allusion au harem de Salomon).

    Résultat ? « Eh bien ! Tout cela est vanité et poursuite de vent, on n'en a aucun profit sous le soleil. » (Qo 2, 11).

     

    Alors, dit Freud, c'est que tu dois être du troisième type : « Le narcissique qui incline plutôt à se suffire à lui-même cherchera dans ses processus animiques internes les satisfactions essentielles ».

    Je t'ai attendu, peut être ? (semble répondre le texte)

    Mais oui j'ai essayé ça aussi, le « travail sur soi », le « développement personnel » :

    « Je me suis aussi tourné, pour les considérer, vers sagesse, folie et sottise.

    (…) Le sage a les yeux là où il faut, l'insensé marche dans les ténébres. Mais je sais, moi, qu'à tous les deux un même sort arrivera.

    Alors moi je me dis en moi-même : ce qui arrive à l'insensé m'arrivera aussi, pourquoi donc ai-je été si sage ? Je me dis à moi-même que cela aussi est vanité. » (Qo 2, 12-15)

     

    Bref, j'ai tout essayé. Conclusion : tout ça pour ça.

    Plaisirs du corps, richesse, accomplissement d'un travail, d'une œuvre, vie relationnelle, famille, savoir, sagesse, vertu, jusqu'aux rites religieux (Qo 5, 1) : tout est vanité.

    « Voilà, je déteste la vie, car je trouve mauvais tout ce qui se fait sous le soleil : tout est vanité et poursuite de vent. » (Qo 2, 17)

  • Un temps pour tout (8/16) Un monde à soi

    Pour être heureux, être fou : très bien. Mais comment ?

    « J'ai délibéré en mon cœur de traîner ma chair dans le vin » (Qo 2, 3)

     

    Non mais sérieux : Traîner ma chair dans le vin ? Ça veut dire quoi : prendre un bain au Château-Yquem ? Boire ou traduire faut choisir, les mecs. Ou alors ils ont fumé (pour rester dans le contexte) un tapis offert par la reine de Saba à Salomon ?

    Ils essaient de se rattraper avec la note : le vin représente ici les jouissances matérielles. On comprend ce qu'ils ont en tête : j'ai décidé de traîner dans les bars, où le vin me donnera accès à d'autres jouissances matérielles.

    En clair tu fais boire la meuf pour la pécho plus facilement.

     

    À mon humble avis, c'est voir les choses par le petit bout de la lorgnette, si j'ose dire. Je pense que l'idée de ce verset rejoint plutôt ceci :

    « L'action des stupéfiants dans le combat pour le bonheur et le maintien à distance de la misère est à ce point appréciée comme un bienfait que les individus, comme les peuples, leur ont accordé une solide position dans leur économie libidinale (…)

    Ne sait-on pas qu'avec l'aide du 'briseur de souci' (le vin, référence à un poème de Goethe) on peut se soustraire à chaque instant à la pression de la réalité et trouver refuge dans un monde à soi offrant des conditions de sensations meilleures ? »

    (Freud. Malaise dans la culture chap.2)

     

    Plus parlant, non ?

    Freud continue :

    « Il est connu que c'est précisément cette propriété des stupéfiants qui conditionne aussi leur danger et leur nocivité. Ils portent le cas échéant la responsabilité de ce que de grands montants d'énergie qui pourraient être utilisés pour l'amélioration du sort des hommes se trouvent perdus sans profit. »

    (Au passage, on voit le rapport, Sigmund l'avait en tête j'en suis sûre, avec la notion marxiste d'opium du peuple).

     

    Le Qohélet, lui, continue ainsi :

    « Mon cœur s'est conduit avec sagesse pour saisir la folie, le temps de voir ce qu'il est bien pour les fils de l'adam de faire sous le ciel, pendant les jours comptés de leur vie »

    (je panache ici les deux traductions dont je dispose, pour aller au plus clair) (c'était pas gagné).

     

    Saisir la folie mais juste le temps de voir. Car il semble se dire : le briseur de souci, ça va un moment, vu que mes jours sont comptés.

    Je vais arrêter de perdre du temps et de grands montants d'énergie que je ferais mieux d'utiliser, en temps que roi, pour l'amélioration du sort des hommes.

    Et déjà pour l'amélioration de mon propre sort, en tant que moi.