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Le blog d'Ariane Beth - Page 176

  • Un temps pour tout (16/16) C'est là tout l'humain

    Une question se pose, comme toujours dans la lecture biblique, à propos du statut de la figure divine.

    Dans le livre de Qohélet elle est lointaine, impénétrable, d'un piètre secours pour faire face à la vanité et la dureté de la condition humaine.

    Ce n'est pas la figure consolante du ps 125 par exemple :

    « Je lève mes yeux vers les montagnes. D'où viendra mon aide ?

    YHWH est ton gardien, YHWH est ton ombre à ta main droite. » (v.1 et 5)

     

    Ici ce serait presque le contraire, je dirais (cf 7/16). En outre, ni immortalité de l'âme, ni justice transcendante : impossible d'espérer compensation dans un au-delà qui chante.

    Cette absence, à tout le moins l'infinie distance de ce dieu lointain, on peut s'en désespérer, s'en révolter.

    Le livre du Qohélet commence ainsi dans le tragique métaphysique. Mais très vite il lui apparaît que la question métaphysique est passible de vanité, comme toute autre (cf 12/16).

    Que faire alors ?

    On peut tenter de combler le vide métaphysique par un absolu de rechange, et pour cela investir sur un mode eschatologique la politique, un quelconque projet, une idéologie ...

    Solution moderne qui n'effleure pas plus le Qohélet que les autres philosophes antiques de sa famille d'esprit, stoïciens, épicuriens.

    Reste alors à faire le deuil de l'absolu. Et rabattre la vaine question métaphysique sur l'enjeu éthique, celui qui est à notre portée.

     

    C'est dans cet esprit que le Qohélet résume la torah :

    «Crains Dieu et observe les commandements, car c'est là tout l'humain.» (cf 15/16)

    Crains Dieu, c'est à dire laisse-le à distance respectueuse : la torah se moque de la métaphysique. En revanche elle sait donner à l'homme quelques lumières (cf 15/16) pour faire bien l'homme, dans les limites, la relativité de sa condition humaine.

    « Tout ce que ta main se trouve capable de faire, fais-le par tes propres forces » dit Qohélet.

     

    Conception humaniste, qui ne peut que nous ramener à son meilleur lecteur sous le soleil.

    « Quoi qu'on nous prêche, il faudrait toujours se souvenir que c'est l'homme qui donne et l'homme qui reçoit. »

    (Montaigne Essais II,12 Apologie de Raimond Sebon)

     

    Pas faux, non ? Et du coup sacrée responsabilité ...

     

  • Un temps pour tout (15/16) Illumine les yeux

    La question du soleil dans le texte du Qohélet, le rapport entre l'ombre et la lumière, suscite à bien des égards le rapprochement avec un autre texte biblique, le psaume 19.

    Vu que je suis toujours d'accord avec ce que j'en ai dit dans ce blog (sept 2018), j'y renverrais bien le lecteur-trice. Mais bon il aura la flemme d'aller voir je n'en doute pas (lucidité quand tu nous tiens).

    Je rappelle donc le propos, et son rapport à notre lecture actuelle.

     

    Le ps 19 commence « Les cieux racontent la présence d'El, et le firmament décrit l'œuvre de ses mains » (v.2). Pas franchement raccord avec tout est vanité sous le soleil.

    Sauf que ça continue « Le jour pour le jour exhale le dire, et la nuit pour la nuit vivifie la connaissance » : thématique semblable dans les deux textes du contraste entre l'ombre et la lumière.

    « Nul dire, nulle parole dont le son puisse s'entendre. » : même impossibilité de discerner le dessein de Dieu, voire de lui en supposer un.

    Le tout consonne chez le Qohélet avec « Il fait toute chose belle en son temps ; à leur cœur il donne même le sens de la durée sans que l'homme puisse découvrir l'œuvre que fait Dieu depuis le début jusqu'à la fin. » (3,11)

     

    Autre point de convergence important : le statut de rhapsode de leurs auteurs. Qohélet le revendique on l'a vu (1/16). Le psaume 19 est visiblement composé à partir de deux textes différents cousus ensemble, avec une couture repérable au brusque changement thématique*, assorti d'un changement du nom divin (d'El à YHWH).

     

    Enfin si le psaume présente une création plutôt lumineuse et harmonieuse et Qohélet un monde assombri du brouillard des vanités, les deux y proposent à l'être humain, in fine, le même chemin de sagesse et de joie.

    « L'enseignement de YHWH, parfait, convertit l'être, le témoignage de YHWH, fidèle, donne au simple la sagesse.

    Les préceptes de YHWH, droits, réjouissent le cœur ; le commandement de YHWH, lumineux, illumine les yeux. » (ps 19, 8-9)

     

    Qohélet formule la même idée, même si c'est de façon plus sobre et nettement  moins poétique : « Fin du discours : Tout a été entendu. Crains Dieu et observe les commandements, car c'est là tout l'humain. » (Qo 12,13)

     

    Pour finir mon discours à moi, c'est sur cette fin du discours que je reviendrai la prochaine fois.

     

     

    *du tableau grandiose de la nature à l'évocation d'un homme à sa table d'étude, lisant la torah.

     

  • Un temps pour tout (14/16) Voir le soleil

    « Au jour du bonheur, sois heureux, et au jour du malheur, regarde : celui-ci autant que celui-là, Dieu les a faits. » (Qo 7,14)

     

    « Si l'homme vit de nombreuses années, qu'il se réjouisse en elles toutes, mais qu'il se souvienne que les jours sombres sont nombreux, que tout ce qui vient est vanité. » (11,8)

     

    La conjonction des deux sagesses, stoïcienne et épicurienne, ramène à l'idée qu'il y a un temps pour tout, rencontrée au début du chapitre 3 (cf 10/16)

    On a vu que grâce a elle Qohélet relativisait la bipolarité de son tempérament mélancolique.

    Ici, presque à la fin, Qohélet y revient. Rien de nouveau dans son texte comme sous le soleil ?

    Je vois deux choses qui font que cette reprise n'est pas répétition.

     

    Après plusieurs spirales d'entrelacement des fils sombres et lumineux, une chose apparaît : la bipolarité n'est pas juste le ressenti d'un poète, d'un philosophe un peu mélancolique. Elle est la caractéristique objective de toute vie.

    Si Qohélet et quelques autres qui lui ressemblent (tel Montaigne) s'en font l'écho mieux que d'autres, c'est tout simplement qu'ils y résonnent intimement, comme la corde vibre sur la bonne fréquence.

     

    La deuxième chose, c'est ça :

    « La sagesse est bonne comme un héritage, elle profite à ceux qui voient le soleil. » (Qo 7,11)

    « Douce est la lumière, c'est un plaisir pour les yeux de voir le soleil. » (11,7)

     

    Tout est vanité sous le soleil. Précisément : sous le soleil.

    Le brouillard des vanités peut cacher le soleil, mais il ne peut l'empêcher de briller, il ne peut l'empêcher d'être le soleil. La question est donc de se rendre capable du plaisir de voir le monde à la clarté du soleil sans qui les choses ne seraient que ce qu'elles sont, c'est à dire vanités.

    C'est à cet ensoleillement du regard que commence (et finit) tout effort de sagesse.

    Mais on est d'accord, c'est plus facile les jours clairs où rien ne le cache, le soleil.

    Ou alors faut chercher un autre soleil.