« Généralement.

Habituellement, ordinairement, comme dans ces phrases : les hommes sont généralement des menteurs, une femme est généralement perfide, etc. »

(Ambrose Bierce Le dictionnaire du diable)

Exemples astucieusement choisis, remplaçant avantageusement un long discours pour démontrer l'aspect contestable, voire l'invalidité des généralisations abusives. Difficile en effet de dire généralement, sauf peut être en math ou en grammaire (non sans l'assortir de la liste précise des éventuelles exceptions).

À propos de grammaire :

« Genre.

Le sexe des mots. »

Et le nombre alors ? Singulier, pluriel : sans doute référence à leur état de sociabilité ?

« Gnangnan.

Pourvu des qualités propres à la poésie de magazine. Voir Bouillie. »

C'est sûr qu'on n'imagine pas Ambrose écrire pour son journal des articles gnangnan. Lui, je le vois plutôt en spécialiste du gnongnon.

« Gratitude.

Sentiment à mi-chemin entre un bienfait reçu et un bienfait attendu. »

Là on touche à la sentence morale style La Bruyère, assortie d'un talent aphoristique à la Oscar Wilde.

« Grognement.

Langage employé par un bureaucrate fédéral du parti Républicain pour exposer ses vues sur la situation politique. »

Bierce était un démocrate convaincu. Un choix politique dans lequel la récente évolution (involution?) trumpiste du parti républicain ne pourrait que le conforter.

« Fausseté.

Vérité que les faits ne corroborent qu'imparfaitement. »

(Ambrose Bierce Le dictionnaire du diable)

Ah je me demandais où les conseillers en communication de Trump, Poutine et quelques autres (beaucoup d'autres en fait) trouvaient leur inspiration …

« Faute.

L'une de mes offenses, laquelle n'a rien de commun avec les vôtres … qui sont des crimes. »

Ben oui. Ça va sans dire.

« Femme.

Animal qui vit communément dans les parages de l'homme et dont les prédispositions à la domestication s'avèrent modestes. Bon nombre des zoologistes anciens lui attribuent une docilité rudimentaire due à sa solitude dans le passé, mais les naturalistes de la période postféministe, ignorant tout de la vie solitaire, lui refusent cette vertu pour soutenir qu'elle braille aujourd'hui comme à l'aube de la création. Cette espèce est la plus répandue de tous les prédateurs, qui infeste toutes les régions habitables du globe, depuis les montagnes torrides du Groenland jusqu'aux vertueux rivages de l'Inde. De la famille des chats, la femme a des mouvements souples et gracieux, surtout la variété américaine (Felis pugnans). Elle est omnivore et on peut lui apprendre à ne pas parler. »

Voilà, ça c'est fait. On voudrait que ce soit toujours sur ce mode fantaisiste, hein les filles ?

« Fou.

Convaincu que les autres sont fous. »

Du coup je me demande s'il ne vaudrait pas mieux soigner les non-fous, ça coûterait moins cher à la sécu.

« Fripouille.

Une espèce de vermine qui pullule partout où les imbéciles se portent bien, étant donné qu'elle se nourrit de ces belles plantes. »

Un bel exemple d'osmose.

« Envie.

Sentiment qui pousse le prédicateur à dénoncer Satan. »

(Ambrose Bierce Le dictionnaire du diable)

L'inverse marche aussi. Par exemple Satan a dû se sentir un peu tiède devant feu les inquisiteurs. Sacrée concurrence. On savait s'amuser à l'époque. Hélas c'est du passé. Quoique. Regardons de nos jours en certains endroits du monde, nous serons rassurés : la race des infernaux n'est pas près de s'éteindre.

« Épidémie.

Maladie au caractère sociable et aux idées larges. »

En souvenir du bon vieux temps des gestes barrières et autres confinements. Ou en guise de salut à des temps futurs ?

« Épigramme.

Petite pièce mordante généralement en vers, caractérisée par une vive aigreur de la pensée et conçue de telle sorte que la personne visée eût plutôt préféré une épitaphe. »

Ça peut s'arranger. Surtout de nos jours où l'équivalent de l'épigramme, le tweet mordant, aigre, méchant, s'il se répète, pourra provoquer la mort et donc la belle épitaphe espérée.

« Escroquer.

Éclairer le naïf par l'enseignement et l'expérience. »

Avocats, avocates, notez. Voilà qui peut vous être utile dans une future plaidoirie.

« Étranger.

Une canaille plus ou moins tolérée en fonction de sa conformité avec notre immuable amour-propre et nos intérêts inconstants. Les Romains appelaient tous les étrangers des barbares car la plupart des tribus qu'ils connaissaient portaient la barbe. Ce n'était qu'une dénomination purement descriptive ne comportant pas la moindre réprobation, vu que le Romain avait l'habitude d'exprimer sa désapprobation plus franchement, d'un coup de lance. Les descendants des barbares, nos modernes barbiers, sont toutefois capables de riposter avec le rasoir en dents de scies. »

Il y a des moments où les mots se mettent à jouer tout seuls. Un des grands talents de Bierce est de les laisser faire, tel un adulte admirant l'inventivité des enfants.