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Le blog d'Ariane Beth - Page 88

  • Ils diluent l'amer

    « n°299 : Ce que l'on doit apprendre des artistes.

    De quels moyens disposons-nous pour nous rendre les choses belles, attirantes, désirables lorsqu'elles ne le sont pas ? – et je suis d'avis qu'elles ne le sont jamais en soi ! Nous avons ici quelque chose à apprendre des médecins lorsque par exemple ils diluent l'amer ou additionnent vin et sucre dans leur mélangeur ; mais plus encore des artistes, eux qui travaillent continuellement en réalité à effectuer de telles inventions et de tels tours de passe-passe. (…) C'est tout cela que nous devons apprendre des artistes, en étant pour le reste plus sages qu'eux. Car chez eux, cette force subtile qui leur est propre s'arrête d'ordinaire là où s'arrête l'art et où commence la vie ; mais nous, nous voulons être les poètes de notre vie, et d'abord dans les choses les plus modestes et les plus quotidiennes. »

    (Friedrich Nietzsche Le Gai Savoir Quatrième livre)

     

    Oui beau programme, être les poètes de notre vie, rendre les choses belles, diluer l'amer. Programme attirant, mais pas si facile, non ? Et il ne suffit peut être pas de le vouloir, tu le sais bien, Friedrich – toi.

     

  • Saisi au vol

    « n°298 : Soupir.

    J'ai saisi cette idée au vol et je me suis jeté sur les premiers mots mal venus pour la fixer, afin qu'elle ne m'échappe pas une fois encore. Et voici à présent que ces mots arides me l'ont tuée, et qu'elle pend et se balance en eux – et je ne comprends plus guère, en la considérant, comment j'ai pu être si heureux en attrapant cet oiseau. »

    (Friedrich Nietzsche Le Gai Savoir Quatrième livre)

     

    Un phénomène que connaissent beaucoup d'écrivains, de penseurs, de savants, lorsque, au décours d'un travail, ils sont tout à coup assaillis de toutes parts par des foules d'idées. Il faut alors noter au vol, tenter de saisir les oiseaux. Aussi rebelles que l'amour chanté par Carmen*.

    Lorsqu'il s'agit ensuite de reprendre ces choses notées en mots arides, leur donner fécondité dépend du type de travail que l'on a à faire. Et surtout de sa façon de le faire.

     

    On pourrait penser qu'en philosophie la beauté ou la force des mots notés sont secondaires, contrairement à ceux que l'on note en embryon d'un poème, par exemple.

    Mais voilà : le problème de Nietzsche le philologue, c'est qu'il est précisément de ces créateurs dont le mode de création repose sur l'intimité du lien entre langage et pensée, entre style et contenu de la parole (cf note du 13 avril Sous l'œil de la poésie).

    Et par conséquent les mots qui lui seront venus pour noter déterminent non seulement la qualité du travail fini, mais la possibilité-même de ce travail.

     

     

    *Après sa rupture avec Wagner (dont il finit par ne plus supporter le caractère despotique, et l'idéologie nationaliste), Friedrich fit l'éloge du Carmen de Bizet sur le mode : « ça au moins c'est une vraie musique, qui parle vraiment d'amour, pas comme Tristan et Isolde ou Parsifal, je dis ça je dis rien. »

    Perso je ne doute pas que Wagner était haïssable et son idéologie guère recommandable, mais bon côté génie quand même …

     

  • Un signe élevé de culture

    « n°294 : Contre les calomniateurs de la nature.

    Ils me sont désagréables, les hommes chez qui tout penchant naturel se transforme aussitôt en maladie, en quelque chose qui dénature et déshonore, – ce sont eux qui nous ont incités à croire que les penchants et pulsions de l'homme sont mauvais ; ils sont la cause de la grande injustice envers notre nature, envers toute nature ! Il y a bon nombre d'hommes qui ont le droit de s'abandonner à leurs pulsions avec grâce et insouciance : mais ils ne le font pas, par peur de cette imaginaire ''essence mauvaise'' de la nature !

    De là vient le fait que l'on trouve si peu de noblesse parmi les hommes : le signe distinctif de celle-ci sera toujours de ne pas avoir peur de soi-même, de ne rien attendre de déshonorant de soi, de voler sans hésitation dans la direction où nous sommes poussés – nous, oiseaux qui sommes nés libres ! Quel que soit le lieu où nous parviendrons, nous y trouverons toujours autour de nous liberté et lumière du soleil. »

    (Friedrich Nietzsche Le Gai Savoir Quatrième livre)

     

    « 297 : Savoir contredire.

    Chacun sait aujourd'hui que savoir supporter la contradiction est un signe élevé de culture (…) Mais le fait de savoir contredire, l'accession à la bonne conscience dans l'hostilité envers l'habituel, le transmis par la tradition, le consacré, – c'est (…) ce qu'il y a de vraiment grand, nouveau, étonnant dans notre culture, le pas de géant de l'esprit libéré : qui sait cela ? – »

     

    Bon alors oui, ce sont de telles assertions qui font réfléchir à deux fois avant de mettre Nietzsche entre toutes les oreilles. On ne voit que trop comment certains pourraient s'en autoriser pour se laisser aller à leurs pires penchants. Et certains l'ont fait, d'ailleurs.

    Ce sont de telles phrases que la sœur de Friedrich et son beau-frère (adhérent zélé du parti nazi) ont utilisées sans vergogne pour pervertir certains concepts nietzschéens, en particulier celui de surhumain.

     

    Cette noblesse, cette liberté que Nietzsche espère d'un rapport confiant à la nature et d'un savoir-contredire, il vaudrait donc mieux, avant de s'abandonner à ses pulsions, qu'elles fussent déjà un peu là quand même, comme elles étaient là en lui.

    Sans quoi ce n'est pas la grâce et l'insouciance d'un oiseau libre qui adviendra …

     

    Comme Friedrich, on peut espérer, bien sûr, que beaucoup d'humains soient gratifiés par la nature de cette noblesse. Mais le plus sûr, il me semble (et en fait il me semble qu'il lui semble aussi), est encore de les instruire et de les éduquer en ce sens.

    Non sans tenir compte du conseil qu'il donne plus haut (n°292 Alchimie à l'envers) aux « prédicateurs de morale ».

     

    Pas simple, hein. Décidément Nietzsche nous en demande beaucoup. Mais ce que nous pouvons y trouver, ce qu'il nous donne en retour, cela en vaut la peine.