Voici que je me découvre une aptitude inattendue à la politique : car que dire de ma relation pour le moins lâche à mes promesses et décisions, voire à mon intégrité morale ? A peine en effet m'étais-je engagée à faire un parcours aléatoire à travers mes étagères, que je suis allée, reniant mon allégeance au hasard, vagabonder du côté de chez Nietzsche, Guillevic et même Freud, par pure lubie je dois l'avouer.
Mais j'ai décidé de me ranger. Étagères nous revoici. Et pour ne pas faire dans la demi-sérieusitude, rejoignons donc l'Etagère des Essentiels. Dans toute bibliothèque en état de marche, il y a une étagère des essentiels. Elle doit être très accessible, car on y revient sans cesse, pour la raison qu'elle soutient les quelques bouquins vraiment indispensables à nourrir votre pensée. La mienne n'est pas grande ni haute, je parle de mon étagère pas de ma pensée (on ne se méfie jamais assez de l'esprit critique du lecteur). Mais elle suffit à accueillir, ils ne sont pas si nombreux, les livres qu'en bon français je nommerai mes musts.
D'abord, à propos de bon français, Petit Robert. A tout seigneur tout honneur. Robert avec qui nous dialoguâmes en un Abécédaire s'il vous en souvient (cf février 2014). Robert qui est deux, celui des communs et celui des propres. Avec la particularité pour ceux de mon étagère qu'ils ne sont pas jumeaux comme il se devrait. Au contraire pas loin de deux générations les séparent. Ce qui donne à mon Robert des noms propres datant de 1977 (antédiluvien autant dire) un charmant petit air de tomber d'une autre planète. Par exemple pour lui Duras est encore vivante. Guillevic n'existe pas. Franchement pour un dico à prétention littéraire ça la fout mal, vu que le mec à l'époque n'était déjà pas total inconnu dans les dîners en ville option je me la pète poète. Je sais bien qu'un dico a ses limites, que par définition il n'est pas aux avant-postes de la branchitude. Mais y a des limites aux limites. Or Euclidiennes a beau avoir été publié en 1967 eh bien dix ans après page 804 entre Guillet Léon ingénieur métallurgiste et Guillot-Gorju (Bertrand Hardouin de Saint-Jacques dit) farceur français (sic), pas plus de Guillevic que de beurre en broche. Décevant, non ?
L'avantage soyons positifs c'est que Robert millésime 1977 ignore tout par exemple au hasard de Sarkozy, ce qui n'est pas un mince plaisir dans la vie. (Pour la littérature j'en cause même pas). Dans le même ordre d'idées (si l'on peut dire) il ne connaît personne du nom de Le Pen. Mentionnons néanmoins pour être exhaustif son entrée Hollande notant tout à fait normalement qu'il s'agit de la désignation impropre donnée aux Pays Bas. Au fait vous diriez ça vous, désignation donnée à ? Bêtement j'aurais dit désignation de. Mais ce que j'en dis après tout c'est lui le dico. N'empêche : l'absence de Guillevic, cette tournure contournée, deux indices pour soupçonner que l'entente entre les deux Robert n'était pas au top en 1977. Divergences de programme, d'idéologie, rivalités personnelles ? Après tout les auteurs de dico ne sont que des hommes comme vous et moi. A propos c'est le moment de signaler que je propose à Robert disons 2050 de m'admettre parmi ses élus. Quoi, n'aurais-je pas le droit de revendiquer mon quart d'heure de mégalomanie depuis ma basse étagère ? (NB Robert 77 ignore aussi Andy Warhol).
Et puis réfléchissez : en 2050 donc mon nom sera inscrit au sein de Robert avec celui de Duras et Guillevic, certes. Mais aussi, sauf accident de gomme qui les effacerait d'ici là, avec les autres que j'ai cités plus haut.
Et ça, ça rend nettement plus modeste.