Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

  • Inconstance (1)

     

    Il s'appelait Sylvestre, parce qu'il était né un trente et un décembre. Né sans peau. Le fait est rare, mais pas impossible : la preuve.

    Ce n'était pas héréditaire, il était le seul de sa famille, le vilain petit canard, canard sans plumes. Ses parents, passé le premier choc, essayèrent bien de le faire greffer. Mais rien n'y fit.

    On eut beau dévider des rouleaux entiers de peau sur son corps, ça ne prit pas. Né sans peau, sans peau il dut grandir, car cela ne l'empêcha pas de grandir.

     

    Il grandit et se posa des questions sur son avenir. Comme quoi l'absence de peau ne délivre pas forcément de toute inquiétude. (Même si on doit à la vérité de dire qu'elle vous épargne beaucoup de ces réactions épidermiques qui troublent la sérénité d'une existence).

    Quel métier, quelle position dans la vie pourrait-il trouver ?

    « Déjà, » disait-il à ses copains, car il avait des copains, manquer de peau ne signifie pas manquer de tout, « déjà qu'on risque fort d'être chômeur avec une peau, comment trouver le moindre job quand on présente aussi mal ? »

     

    C'est alors que l'un des copains eut une inspiration : il ne fallait pas chercher du boulot malgré son absence de peau, en tant qu'handicapé, en quelque sorte, mais au contraire à partir de cette particularité.

    « T'as qu'à le mettre dans ton C.V. que t'as pas de peau, y a sûrement des trucs à faire avec ... », dit-il précisément. En disant avec, il voulait dire « avec l'absence », ce qui n'est pas tout à fait la même chose que « sans ».

    Sylvestre rédigea donc l'annonce suivante, qu'il fit passer dans divers quotidiens et journaux spécialisés : J.H. bon niveau d'études générales pourrait occuper tout poste nécessitant absence totale ou partielle de peau.

    Il avait rajouté « partielle », en se disant qui peut le plus peut le moins. C'était sa façon de prendre des risques.

     

    Il n'eut pas à attendre longtemps pour recevoir une réponse. Il y avait dans la ville un lycée, et dans le lycée (enfin pas tout le temps mais aux heures de leur emploi du temps) deux professeurs de SVT, et parmi eux l'un était une femme, et s'appelait Mlle Fortmolle.

    Elle dépouillait ce soir-là les petites annonces, car elle comptait changer son ordinateur. Son regard glissa par hasard de l'informatique aux demandes d'emploi. L'expression « absence de peau » l'accrocha.

    Immédiatement elle eut la vision du vénérable écorché qui s'empoussiérait dans le bric-à-brac attenant à la salle de biologie du lycée.

     

    À suivre.

     

     

     

  • Zoé

     

    « Zoé : zoologie. Forme larvaire des crustacés décapodes qui succède au stade nauplius. » Dit Robert qui dit ce qu'il veut mais quand même. Ça calme, je trouve. (Et encore je vous épargne la définition de nauplius).

    En fait moi bêtement je m'étais dit, je vais terminer mon abécédaire spinoziste par ce mot, puisque zôê en grec veut dire vie. Quel mot mieux adapté à Spinoza ?

     

    Car Spinoza fut certes snobé par Frida Vanden Ende (cf WE à La Haye). Laquelle à son égard manqua scandaleusement de savoir-vivre, comme il m'est déjà arrivé de le laisser entendre il me semble.

    Mais, belle consolation, il fut l'objet d'une faveur extraordinaire de la part de la vie elle-même, la grande et belle Zoé, la seule l'unique.

    À lui elle se dévoila, à lui elle s'offrit sans retenue, lui donnant à contempler sa substance étendue comme sa substance pensante. Une révélation dont se saisit dans la joie son pénétrant esprit.

    Cette rencontre avec Zoé la rayonnante lui fut l'occasion de formuler quelques propositions honnêtes autant qu'éthiques, sans compter corollaires et scolies, géométriques OK mais néanmoins réjouissants au plus haut degré.

     Et puis, en compagnie de Zoé, il a trouvé la force de résister à tous les invivables qui ne manquèrent pas de croiser sa route.

    Pas mal de zombies de la superstition religieuse cherchant à le contaminer de leur stupide tristesse, à l'assigner à leur nuit de morts-vivants.

    Nombre de zoïles, distingués ou pas, l'accablant de toutes sortes de pinaillages made in conformisme.

    Zoïles ? « Critique injuste et envieux (du nom de Zôilos, détracteur d'Homère). »

    Comme quoi je ne serai pas allée pour rien à la page Z de Robert, ni vous venus pour rien sur la page de ce blog. Nous aurons appris au moins un mot aujourd'hui.

    Quoi vous le connaissiez déjà ? Oh ben zut alors !

     

    Ah oui y a aussi ça : "zutiste : membre d'un cercle de poètes qui disaient 'zut' à tout, présidé par Charles Cros".

    Cependant, malgré toutes les raisons qu'il aurait eues pour cela, Spinoza ne s'adonna jamais au zutisme. (Comme quoi pour lui l'éthique n'était pas que des mots).

    Et tenez-vous bien.

    "Remarque : on applique le mot à un cercle antérieur auquel participaient Verlaine, Rimbaud ... "

    Rimbaud ! Quoi ? Comme on se retrouve ! ...

     

     

     

  • Yass

    « Jeu de cartes d'origine hollandaise qui se joue avec 36 cartes entre 2, 3, 4 joueurs ou plus. » (dixit Petit Robert )

    Le rapport avec Spinoza ? L'origine hollandaise du jeu. Ça ne vous suffit pas ? Vous trouvez que c'est un peu léger ?

     

    1) Trouver un mot en Y n'est jamais de la tarte quel que soit l'abécédaire. Mais alors sur Spinoza je voudrais vous y voir. D'autant plus qu'avant, l'abécédaire vous a obligée à en passer par W et X. Deux lettres pour lesquelles, Dieu m'alphabétise, j'ai assuré grave, non ? J'ai donc droit à présent à mon quota d'àpeuprésisme.

    2) À propos de tarte, le côté léger après tout n'est pas si mal venu. Vu que la plupart des choses que j'ai écrites dans cet abécédaire, sans aller jusqu'au bourratif, demandent peut être malgré tout un certain effort de mastication et de digestion. (cf Ubuesque)

     

    Bien sûr, me direz-vous, je pouvais trouver l'allègement grâce à d'autres mots en Y. Donc pourquoi celui-ci précisément ? Bon je vois que lire Spinoza ou Freud stimule au mieux votre aptitude au questionnement, ce qui est l'intérêt et principal foi d'animal. Qu'à cela ne tienne, je m'en explique.

    Yaourt ne m'a pas paru approprié, risquant d'induire quelque allusion plus ou moins désinvolte à la clarté conceptuelle désirée par Spinoza.

    Yiddish ne convenait pas davantage, puisque Spinoza en tant que séfarade ne le parlait pas.

    Yeuse fut repoussé parce qu'en Hollandie y en beaucoup moins que de tulipes et de moulins (à paroles ou pas), yéti récusé par crainte de débats oiseux sur le caractère exact de l'humanitude.

    Et yuppie éliminé parce que remettre de l'ordre dans la finance mondiale est une tâche urgente s'il en est. (Si on était à P j'eusse éjecté pareillement Panama, voire Paradis, ça va de soi).

     

    Bref donc restait yass. À présent qu'en dire ?

    Spinoza n'y joua pas. Il préférait le whist ainsi que Colera nous l'a appris.

    J'ignore absolument comment on y joue. Cependant si l'on se fie au vocable qui le désigne, sonnant comme un coup de fouet, je ne l'imagine pas faciliter l'attitude coopérative entre joueurs.

    Vous me direz c'est rarement le cas dans les jeux de cartes, et les jeux en général. Et vous ajouterez peut être que l'attitude non-coopérative déborde parfois assez largement sur d'autres activités humaines que le jeu.

    Voilà que finalement ce mot en Y, choisi comme ça un peu au pif dans la page de Robert, se révèle sous cet angle clairement raccord avec le mot en X qui le précède.

    Nous en conclurons que le hasard n'existe pas. Et que consécutivement, Spinoza, dans son obsession de la nécessité, ne raconte pas que des billevesées (CQFD). Même si on ne peut en dire autant de sa blogueuse lectrice.