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  • Foules sentimentales (10/16) A Maman pour la vie

    Le déterminant pour l'enamoramento ?

    Freud répond : L'identification (Psychologie des foules et analyse du moi. Titre chap.7)

    Il en résume ainsi le processus :

    « Premièrement, l'identification est la forme la plus originaire du lien affectif à un objet. » Un lien étrangement indécis entre le désir d'être ou d'avoir l'objet, de se l'assimiler.

    Caractère visible dans la phase orale (le bébé avec le sein), mais qui peut s'inscrire culturellement. « Le cannibale, comme on sait (…) aime ses ennemis jusqu'à les dévorer, et ne dévore pas ceux qu'il ne peut aimer d'une manière ou d'une autre. »

     

    « Deuxièmement, par voie régressive (à l'oralité), elle devient le substitut d'un lien objectal libidinal (comme dans la phase dite génitale) en quelque sorte par introjection de l'objet dans le moi. »

    Le sujet s'approprie un trait de son objet d'amour/intérêt (comportement, langage, apparence) qui en est pour lui la marque caractéristique. (Einzige Zug écrit Freud, un certain trait, Lacan traduira trait unaire). C'est le moyen de l'avoir toujours avec lui, de ne jamais en être séparé. 

    En quoi l'adoption du trait unaire évoque un tatouage genre à Maman pour la vie (pour rester dans une note oedipienne).

     

    « Troisièmement, elle peut naître chaque fois qu'est perçue à nouveau une certaine (einzige) communauté avec une personne qui n'est pas objet des pulsions sexuelles. Plus cette communauté est significative, plus cette identification partielle doit pouvoir réussir et correspondre ainsi au début d'un nouveau lien. »

    C'est à ce troisième axe d'identification que Freud rapporte le lien réciproque entre les individus de la foule. Soulignons réciproque (gegenseitige) : le lien se fait d'individu à individu, et la foule se construit en tant que telle (comme nouveau lien) par intégration de ces liens successifs.

    L'atteinte d'un niveau significatif des réciprocités mises en œuvre, celui qui sera à même de créer le nouveau lien (l'enfoulement à proprement parler), dépend donc du type du trait qui fait reconnaissance.

    Plus il sera simple, facile à percevoir et à reproduire, plus vite et plus fortement il soudera la communauté.

     

    Slogans en guise d'explication du monde et de programme d'action, désignation de personnes ou groupes dont l'écartement, voire l'élimination serait nécessaire à la cohésion et à l'identité de ladite communauté : les exemples historiques et contemporains de ces modes d'enfoulement ne manquent pas.

     

  • Foules sentimentales (9/16) Comme s'ils étaient uniformes

    Poursuivant l'analyse des foules selon le paramètre libidinal, Freud remarque que les individus en foule semblent échapper à un caractère essentiel du lien, qu'il nomme ambivalence.

    « Selon le témoignage de la psychanalyse, presque tout rapport affectif intime de quelque durée entre deux personnes – relation conjugale, amicale, parentale et filiale – contient un fond de sentiments négatifs et hostiles, qui n'échappe à la perception que par suite du refoulement. »

    (Psychologie des foules et analyse du moi chap.6 Autres problèmes et orientations de travail)

     

    Il rapporte ces sentiments négatifs, inclus dans la positivité de la libido, à la prévalence du narcissisme, lien de soi à soi, sur tout lien à autrui.

    Une ambivalence particulièrement sensible dans le « narcissisme des petites différences. L'Allemand du Sud ne peut pas sentir l'Allemand du Nord, l'Anglais dit tout le mal possible de l'Ecossais, L'Espagnol méprise le Portugais. 

    Que de plus grandes différences aboutissent à une aversion difficile à surmonter, celle du Gaulois contre le Germain, de l'Aryen contre le Sémite, du Blanc contre l'Homme de couleur, a cessé de nous étonner. »

    (Passage qui mériterait des tonnes de commentaires – d'ailleurs il les a eues. La lecture visuelle rend frappante l'avalanche de majuscules accusant l'essentialisation au fondement de toute discrimination).

     

    Curieusement « toute cette intolérance se dissipe, temporairement ou durablement, du fait de la formation en foule et à l'intérieur de la foule (…) les individus se conduisent comme s'ils étaient uniformes, supportent la singularité de l'autre, se mettent à égalité avec lui et n'éprouvent aucun sentiment de répulsion à son endroit. »

    (Il a rappelé plus haut la parabole des porcs-épics de Schopenhauer cf ce blog 29-12-2016).

     

    Le pas suivant du raisonnement consiste à rapprocher les limitations de l'amour de soi narcissique que vivent les enfoulés des manifestations de l'état amoureux.

    Autrement dit, l'enfoulement serait de l'ordre de l'enamoramento. S'agréger à une foule serait un peu comme tomber amoureux.

    D'où la question suivante : quel élément est déterminant pour provoquer le mécanisme d'enamoramento ?

     

  • Foules sentimentales (8/16) Foules sentimentales

    Freud a mentionné plus haut (cf Autres évaluations 5/16) la discrimination possible des foules en fonction du temps, entre foules éphémères ponctuellement rassemblées, et foules structurées au long cours.

     

    Il en envisage une autre, à ses yeux plus déterminante encore « la distinction entre foules sans meneur (Führer) et celles avec meneur. »

    Il la développe en analysant Deux foules artificielles : l'église et l'armée. (Titre chap.5 Psychologie des foules et analyse du moi.)

     

    Artificielles ? « C'est à dire qu'une certaine contrainte extérieure est mise en œuvre pour les préserver de la dissolution et éviter des modifications quant à leur structure. »

    En clair ce sont des institutions que le souci premier de se préserver en tant que telles rend intolérantes à toute dissidence (hérésie, objection de conscience etc).

    Et par conséquent (Freud ne le dit pas, mais ça va sans dire) en délicatesse avec la vérité, ferventes pratiquantes du mensonge par omission.

    Secret défense de la grande Muette (justifié parfois, parfois dévoyé), secret de la confession, fabuleuse omerta cléricale d'un si bel usage pour l'édification de la jeunesse.

     

    Dans ces foules artificielles « prévaut le même mirage (illusion) qu'un chef suprême est là (…) qui aime tous les individus de la foule d'un égal amour. De cette illusion, tout dépend. » Elle est le ciment des liens entre enfoulés à tous niveaux.

    « Il est indubitable que le lien unissant chaque individu isolé au Christ est également la cause de leurs liens mutuels. Il en va pareillement pour l'armée ; le commandant en chef est le père, qui aime tous ses soldats également, et c'est pourquoi ils sont camarades entre eux. »

     

    L'analyse de ces deux foules reste largement pertinente. Ce que ce chapitre amène en outre, c'est la perception du fonctionnement totalitaire, comme y invite le terme de meneur.

    À cet égard, le fascisme italien et le nazisme n'en étaient certes qu'à leurs balbutiements. En revanche la lucidité sur les dérives du régime soviétique naissant était déjà possible. Et autres encore.

    « Si un autre lien à la foule prend la place du lien religieux, ce à quoi le lien socialiste semble actuellement parvenir, il en résultera la même intolérance envers ceux de l'extérieur qu'au temps des guerres de religion, et si les différences de points de vue dans les sciences pouvaient jamais avoir pour les foules une importance analogue, c'est également pour ce motif que le même résultat se reproduirait. »

    Encourageant, non ?