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  • B.attitude (17) Joie joie rires de joie ...

     

    Nos héros désormais se savent inscrits dans le triangle DJT, ce qui leur change la vie à coup sûr : car il s'agit là d'un grand pas vers la connaissance adéquate ou je ne m'y connais pas. Pour augmenter leurs joie et puissance induites, je m'en vais leur proposer un parcours des plus sympathiques parmi le lot d'affects que Monsieur Spinoza a répertoriés avec le soin pointilleux qu'on lui connaît.

     

    Notons tout de même d'abord qu'il faut le paramètre de la constance pour valoriser un affect, dans la mesure ou toute incertitude est tristesse. Par exemple qui n'a expérimenté que l'angoisse et l'appréhension paralysent, inhibent la pensée, brouillent l'écoute et le raisonnement ? Moi en tous cas il vaut mieux que je n'entame pas le chapitre. Bref Spin note ainsi que le désespoir d'une situation merdique avérée est préférable à la crainte d'une patate potentielle. Et il sait de quoi il parle.

    Notons aussi que les affects se complexifient par le critère de l'interférence d'un tiers individu ou d'un tierce paramètre. Exemples.

    L'amour est une joie qu'accompagne l'idée d'une cause extérieure. (P3 déf 6)

    Deux paramètres seulement ici, moi et la cause extérieure. Genre un philosophe génial, un bébé craquant, un musicien magicien. Je dirai ainsi : « Montaigne et Spinoza sont mes amis. Solal, petite chose, tu me fais fondre. Quand j'entends Mozart je suis chez moi, etc. »

     

    La pitié est une tristesse qu'accompagne l'idée d'un mal arrivé à un autre que nous imaginons semblable à nous. (Déf 18)

    Ici on voit le cas d'un tierce paramètre avec cet autre. Il y a donc : moi, le mal arrivé et l'autre. On remarque bien sûr que pour que la prise de l'affect fonctionne, il faut un élément de lien, ici la similitude de genre.

    Par ailleurs cet exemple n'est pas choisi au hasard, mais bien pour ses connotations nietzschéennes : la pitié est une tristesse, donc un mal puisqu'elle diminue la puissance d'agir.

     

    Ou encore : L'envie est la haine en tant qu'elle affecte un homme de telle sorte qu'il est attristé du bonheur d'autrui, et au contraire qu'il est content du malheur d'autrui. (Déf 23)

    Cet exemple fait voir la complexité des combinaisons d'affects. Car si la haine est par nature une tristesse, il existe une sorte de joie haineuse. Autrement dit, quand l'envie rend triste du bonheur d'autrui, elle abat, rend impuissant : « à Machin tout réussit et moi j'échoue toujours, autant plus rien tenter ». Mais elle peut aussi réjouir du malheur d'autrui, et alors, en tant que joie, stimuler l'action : « pour Machin qui se la pète ça n'a pas marché sur ce coup-là, bien fait pour lui, et si j'essayais, moi ? »

    Mais laissons Machin à son triste sort, on est venu pour l'affect de joie, et savourons ensemble les mots dont Spinoza décline ce bien parfait.

     

    L'affect primaire de joie : laetitia. Terme qui dit l'épanouissement, la dilatation de l'être. Il implique l'illumination du visage, le sourire, tel un paysage soudain riant dans l'éclosion du printemps.

     

    L'affect de joie, quand il se rapporte à la fois à l'esprit et au corps, je l'appelle titillatio ou hilaritas. (scol prop 11 Part 3). Il explique que ces deux affects s'opposent à la douleur et à la mélancolie.

    Titillatio est le chatouillement, la caresse, la jouissance d'être un corps vivant. Cela m'évoque de très beaux vers de Supervielle : C'est beau d'avoir élu domicile vivant / Et de bercer le temps dans un cœur consistant.

    Hilaritas c'est la gaieté, la belle humeur. C'est le mot qui a donné hilarité, cette précieuse faculté de se laisser illuminer et alléger par un bon mot, une image drôle, de prendre la vie du bon côté. L'hilaritas est contagieuse et ainsi unificatrice, elle est cette bonne manière qu'on se fait entre humains, cette douceur dont on se réconforte dans les âpretés de l'existence.

     

    Gaudium, le contentement, est une joie qu'accompagne l'idée d'une chose passée qui s'est produite au-delà d'une espérance. (Part 3, déf 16)

    Au-delà, c'est à dire pas nécessairement en la satisfaisant. Mais tout compte fait, la joie est là, la joie de se dire « c'est bien ainsi ». Gaudium est le mot qui a donné joie en français. C'est ici qu'il faut remarquer que Spinoza, pour définir son affect essentiel de joie, a préféré le mot concret, éprouvé dans le corps, de laetitia, et non celui-ci, plus abstrait, lié à une idée et à un différentiel de temps. Il associe gaudium à l'effort éthique de cultiver la joie.

    Qui donc s'emploie à maîtriser ses affects et ses appétits par seul amour de la liberté s'efforcera, autant qu'il peut, de connaître les vertus et leurs causes, et de s'emplir l'âme (animum) du contentement qui naît de leur vraie connaissance ; mais de contempler très peu les vices des hommes, ou les dénigrer (…) Et qui observera cela diligemment (et en effet ce n'est pas difficile (hilaritas made in Spinoza) et s'y exercera, celui-là, oui, en peu de temps il pourra diriger la plupart de ses actions sous l'empire de la raison. (Part 5 scol prop 10) Une joie raisonnée, une joie secondaire, médiatisée par le temps et l'effort.

    Laetitia au contraire est la joie primaire, la joie du corps vivant dans le présent, dans l'existence-même, c'est à dire (nous le savons) dans l'éternité. La joie de Rimbaud dans l'aube d'été.

     

    Risus, tout comme jocus est pure joie (laetitia). (scol coroll 2 prop 45 Part 4)

    Risus, le rire, celui qui éclate, celui qui libère, qui voit l'absurdité du dérisoire et dit « mieux vaut en rire ». Jocus, la plaisanterie, a donné le mot jeu. Il s'agit en effet de jouer avec les mots, grâce à eux de déjouer le mal et le malheur, la mort elle-même. Bref toute la fragilité de notre condition humaine, ainsi que le montre Freud dans son livre sur le « mot d'esprit dans son rapport avec l'inconscient ».

    Cela dit vous savez quoi cette série est presque à son terme. La prochaine fois on arrivera à la béatitude rien que ça. Ensuite on dira une mot de l'éthique option politique (qui a dit c'est pas du luxe?).

    Et puis je crois bien que ce sera tout.

     

    A suivre.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • B.attitude (16) Le triangle DJT

     

    Lors du dernier épisode, nos héros sont entrés au pays des affects par une arche triomphale crypto-biblique, dans l'euphorie de deux concepts aussi grandioses qu'abscons. Cependant, face à la rugueuse réalité (Rimbaud, who else?) de leur quotidien pas toujours si plusbellela vie que ça, ils se demandent si cette série ne commence pas à planer grave, alors que Spin leur avait promis du concret géométrique.

     

    OK les gars on va faire dans le géométrique précis concis.

    Par affects j'entends les affections du corps qui augmentent ou diminuent, aident ou répriment, la puissance d'agir de ce corps, et en même temps les idées de ces affections.(Part 3, déf 3)

    L'affect est donc, comme on l'a déjà dit, la force d'impact entre boules de billard, aussi bien dans le plan réel, charnel, des corps, que dans celui, abstrait et imaginaire, de leurs représentations en idées. Comme toute force, il se caractérise en deux paramètres : intensité et direction.

     

    Tout la machine des affects dans l'Ethique fonctionne par combinaisons de ces deux paramètres.

    L'intensité de la force permet de distinguer les affects actifs des affects passifs. Les affects passifs diminuent la puissance, et les actifs l'augmentent.

    La direction de la force permet de distinguer ce qui va dans le sens du conatus, ce qui l'aide, de ce qui va à son encontre, le freine, le réprime.

     

    Le moteur de la machine est le désir (cupiditas), moteur démarrant sous un impact quelconque dans notre jeu de billard autodéterminé.

    Le désir est l'essence-même de l'homme en tant qu'on la conçoit déterminée, par suite d'une quelconque affection d'elle-même, à faire quelque chose. (Part 3 déf 1 cf B.2) J'y embrasse ensemble tous les efforts (conatus) de la nature humaine que nous désignons sous les noms d'appétit, volonté, désir ou impulsion (nomine appetitus, voluntatis, cupiditatis, vel impetus) (…) lesquels varient en fonction des variations de l'état d'un même homme, et il n'est pas rare de les voir tellement opposés entre eux que l'homme, tiraillé en des sens divers, ne sache où se tourner. (Explication de la déf 1).

     

    Il y a deux autres affects de base, qui déplacent le curseur dans des sens opposés sur l'échelle mesurant la puissance.

    La joie est le passage de l'homme d'une moindre perfection à une plus grande (déf 2)

    La tristesse est le passage de l'homme d'une plus grande perfection à une moindre. (déf 3)

    Ni joie ni tristesse ne sont des valeurs absolues, mais bien des différentiels de perfection ( = d'adhésion à la substance). C'est donc le passage, le mouvement du curseur qu'il faut repérer.

     

    D'où les procédures qui balisent le parcours éthique

    1/ repérer quand le moteur Désir se met en marche

    2/ observer dans quelle direction il déplace le curseur Joie/Tristesse

    3/ ramener ce curseur à un niveau compatible et si possible favorable pour son conatus.

     

    On voit ici l'utilité de la connaissance adéquate pour faire un juste repérage, et celle du système vertu/raison/conatus pour agir sur le curseur. Faute de quoi on reste tiraillé en tous sens, en proie aux flottements d'âme. Et alors, même si on passe à toutes sortes d'actes, on n'est pas actif, et même si on croit s'affirmer, on se dé-nature (P 4, prop 33-34 cf B.2).

    En tant qu'ils sont en proie aux affects qui sont des passions, les hommes peuvent être contraires les uns aux autres.

    C'est en tant seulement qu'ils vivent sous la conduite de la raison que les hommes nécessairement conviennent toujours par nature.

     

    Ces procédures signent l'optimisme et la force affirmative de Spinoza : chercher la joie, fuir la tristesse, même par essais et erreurs successifs (faut pas rêver quand même) nous rend parfaitement vivants de vie substantielle.

    Comme la raison ne demande rien contre nature, c'est donc elle-même qui demande que chacun s'aime lui-même, recherche son utile, ce qui lui est véritablement utile, et aspire à tout ce qui mène l'homme à une plus grande perfection (perceptible dans l'affect joie), et, absolument parlant, que chacun s'efforce, autant qu'il est en lui, de conserver son être.

     

    Je vais vous dire, moi perso je demande pas plus.

     

    A suivre

     

  • B.attitude (15) Amour gloire et vertu

     

    Dans ce nouvel épisode nous allons entrer au pays des affects. Rendez-vous au départ de la ligne « Désir » du tramway. (Encore une blaguadeub trop tentante). Mais avant tout, un coup d'oeil sur la carte pour baliser notre itinéraire. (Mode géométrique, quand tu nous tiens …).

     

    Spinoza aborde son étude des affects dans la troisième partie de l'Ethique qui en compte cinq. C'est donc la partie centrale, à la fois en logique et en pratique. Une fois posé le système unisubstantiel dans son déterminisme (Part 1,2), il faut pour trouver la béatitude (Part 5) savoir/pouvoir désamorcer la négativité et faire jouer la positivité de l'impact de détermination (Part 4). Cet impact, ce sont les affects. Voilà pourquoi le repérage et le classement des affects constitue le pivot de la machine éthique.

    D'ailleurs la plupart des gens ne lisent que cette troisième partie. La plupart des gens, on disait à l'époque de Spin levulgaire. On a tous en nous quelque chose de vulgaire : ce qui fait chacun semblable à tout autre chacun. L'humain ni trop ni trop peu humain, juste humain. De la même façon dans le Tractatus Spinoza dit c'est vrai il faut être philosophe historien et philologue pour vraiment comprendre les textes bibliques dans leurs enjeux de production et de réception (dirions-nous aujourd'hui). Mais ça n'empêche pas que tout un chacun puisse en tirer l'essentiel, les préceptes éthiques fondamentaux qui en sont le cœur et la raison. Car ils sont formulés avec des mots simples et sans ambiguïté. Genre Tu aimeras ton prochain comme toi-même, Choisis la vie. Clair et efficace. Tout comme la partie 3 de l'Ethique.

     

    Mais alors pourquoi Spinoza s'est-il cassé à écrire tout le reste (et nous à y aller voir) ? Pour la démontrer objectivement, l'éthique, la fonder une bonne fois pour toutes hors fantasmes et erreurs, pour qu'on arrête de perdre du temps en débats z'oiseux z'et nuisibles. Et puis ce que je ressens surtout (aux affects comme aux affects) : pour se faire du bien. Par l'Ethique Spinoza fait ce qu'il dit, et dit ce qu'il fait, dans un besoin profond d'unification. Comme tout grand créateur, est à la fois très fort et très fragile. Très fort, témoin son immense ambition conceptuelle qui a quelque chose de démiurgique. Il est fascinant de voir à quel point le doute lui est étranger. Très fragile aussi, à cause de son hypersensibilité à la présence du monde, à cause de cette « passibilité » qu'il décrit si éloquemment. Cette dualité fait qu'il ne peut vivre sans inscrire dans un cadre à sa mesure son rapport personnel au monde, sans poser sa propre constante essence/substance.

    Entre armure conceptuelle et dévoilement de la sensibilité, l'individu Spinoza se livre à nous dans l'Ethique, tel qu'en lui-même.

     

    La théorie des affects découle directement de la nature et la logique du conatus. Le but est de donner les moyens à chacun de libérer sa puissance propre, sa « vertu », comme on parle de la vertu d'une substance médicinale par exemple. Sa vertu d'individu, dans son rapport personnel à l'énergie de l'ensemble. Virtus, force. En l'occurrence, la grande force est de comprendre, car comprendre est le branchement adéquat sur l'énergie-même du conatus de l'humanité, dont l'essence est raison.

    Pour l'humanité globalement, persévérer dans son être est maintenir sa constante « raison ». Ainsi le principe fondamental du bon usage des affects est que vertu individuelle et vertu générale, « vertu d'espèce humaine » sont absolument indissociables.

    D'où il suit que les hommes que gouverne la raison, c'est à dire les hommes qui cherchent leur utile sous la conduite de la raison, n'aspirent pour eux-mêmes à rien qu'ils ne désirent pour les autres hommes, et par suite ils sont justes, de bonne foi et honnêtes.(Scol prop 18 Part 4) (Ah l'optimisme pré-Cahuzac, Tapie, Guéant et j'en passe tant et tant ...)

     

    Autrement dit, le critère de la vertu est la convergence désir individuel/désir d'espèce. On peut dire d'une certaine façon que la vertu conative de Spinoza réalise la synthèse entre ce que Freud appelle l'autoconservation et la libido. Sauf que là où Freud désigne le fameux « malaise dans la civilisation », Spinoza affirme qu'une telle synthèse est la joie humaine par excellence. Car, telle est la révolution spinoziste, l'effort éthique n'est pas diminution ni même canalisation de puissance. Par lui au contraire l'être humain peut se mettre en œuvre, réaliser ce qu'il est. L'éthique de libération doit unifier intellect et affect pour ouvrir les chemins d'une Wille zur Macht à la mode spinoziste. La puissance du sage s'y révèlera comme joie d'acquiescer à soi et au monde. Tel est l'horizon proposé.

    Deux expressions décrivent cet avenir radieux, amor dei intellectualis et acquiescentia in se ipso. Complémentaires et indivisibles, elles sont les deux faces de la vertu d'être.

     

    Amor dei intellectualis. Was is das ?

    L'amour intellectuel de l'esprit envers Dieu est l'amour-même de Dieu dont Dieu s'aime lui-même (…) De là suit que Dieu, en tant qu'il s'aime lui-même, aime les hommes, et par conséquent, que l'amour de Dieu envers les hommes et l'amour intellectuel de l'esprit envers Dieu est une seule et même chose. (Part 5, prop 36 et coroll)

    On va traduire : l'ADI est un affect qui porte à discerner/reconnaître DSN. La conscience heureuse, positive, du lien mutuel d'appartenance entre soi et Dieu/la nature/le réel/l'espace-temps dans tout son déploiement. Disons encore autrement une adhésion à la fois rationnelle, affective et sensitive à la fonction vie et à toutes les valeurs qu'elle prend. Une adhésion non pas générale et acquise une fois pour toutes, mais à renouveler dans le concret de chaque instant et occasion, et dans un perpétuel mouvement d'ajustement à ce qu'il y a.

     

    Que cet amour se rapporte à Dieu ou bien à l'esprit (mentem), c'est à bon droit qu'on peut l'appeler satisfaction de l'âme (animi acquiescentia), laquelle en vérité ne se distingue pas de ce qu'on appelle Gloire dans les livres sacrés (…) Par là s'éclaire (si tu le dis ...) pour nous comment et de quelle façon notre esprit suit de la nature divine selon l'essence et l'existence et dépend continuellement de Dieu ; et j'ai pensé qu'il valait la peine de le noter ici pour montrer par cet exemple toute la force de la connaissance des choses singulières que j'ai appelée intuitive ou du troisième genre. (Scolie prop 36, 5)

    L'ADI est l'adhésion sous sa face externe de rattachement au système global. Sa face interne est l'acquiescentia in se ipso. Elle est une joie née de ce qu'un homme se contemple lui-même ainsi que sa puissance d'agir. (Part 3, déf 25). Acquiescentia, état de paix, d'équilibre : voilà, là je suis et je suis bien. Acquiescentia in me : ça, c'est vraiment moi. Moi force moi gloire, mazette ! Sûr que ça valait la peine de le noter ...

     

    A suivre.