« De tout ce qui est écrit, je ne lis que ce quelqu'un écrit avec son sang.
Écris avec ton sang : et tu verras que le sang est esprit. »
Nietzsche Ainsi parlait Zarathoustra (Discours Lire et écrire)
Cette phrase peut sonner de façon romantique. Un Zarathoustra qui ne renierait pas les vers de Musset L'homme est un apprenti, la douleur est son maître/Et nul ne se connaît tant qu'il n'a pas souffert.
Un romantisme indéniable, mais qui ne me paraît pas du tout porter la fine pointe du passage. L'image du sang n'est pas tant là pour signaler la douleur que pour dire l'énergie de la vie, la vie comme énergie. Car la vie est chose qui circule, chaleur, courant. D'où le rapprochement décisif entre le sang et l'esprit. Nietzsche cherche dans ses écrits ce qu'il cherche dans ceux des autres, l'écriture en sang et en esprit. Il écrit dans le souffle intime qui le fait qui il est.
Ce souffle intime, c'est comme un petit animal en soi. Ce n'est pas l'âne de l'autre jour, mais un tout petit être qui est au monde une boule palpitante de vie, connecté à tout ce qui palpite, aux couleurs qui vibrent, aux secondes qui s'égrènent, surtout lorsque la musique les rend sensibles. Je dis ça parce qu'en écrivant, là, j'écoute la musique de Bach que font vibrer les doigts de Glenn Gould. Bach, l'essentiel. La palpitation de la vie, ce battement fondamental, c'est son rythme exactement, le mouvement ininterrompu qu'il a cherché, obsessionnellement. Qu'il a cherché, et, le miracle est là, qu'il a su poser patiemment en chaque endroit de son œuvre, en chaque moment de sa vie créatrice. Bach aussi écrivait avec son sang. (C'est ce qu'a si bien vu Alexandre Astier dans son spectacle Que ma joie demeure).
Ajoutons cependant que tout le monde n'est pas Nietzsche ou Bach, et l'écriture de sang ne garantit pas nécessairement un contenu plus fort, plus intéressant, ni un gain esthétique ou éthique. Avec son sang, on peut aussi bien écrire des choses superficielles, des conneries caractérisées, des horreurs, des méchancetés, gratuites ou pas. Simplement l'écriture de sang a toujours pour elle la justesse, une certaine adéquation à une vérité de son auteur. C'est une écriture qui ne triche pas : avec son sang, dans les histoires plus ou moins faustiennes, on signe le pacte par lequel on vend son âme au diable, en échange de la vie que l'on désire.
Nietzsche ne fait pas de son Zarathoustra un Faust. Ni un diable ni un dieu (oui je sais faudra bien qu'on parle de cette histoire d'Ubermensch, mais chaque chose en son temps). Il en fait un homme selon son cœur battant, pour lui donner une vie écrite à l'encre de son sang.