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  • Arthur et le cinquième élément

    « Pourtant que m'est-il arrivé ? Comment me suis-je libéré du dégoût ? Qui a rajeuni mon regard ? » (Ainsi parlait Zarathoustra. De la canaille)

     

    Voici qu'au beau milieu du discours De la canaille, c'est un retournement aussi total qu'inattendu. Dans le marais d'eau saumâtre soudain s'ouvre un gué par où traverser et prendre pied sur l'autre rive.

     

    « Oh je l'ai trouvée, mes frères ! Ici au plus haut coule pour moi la source de joie ! Et il y a une vie où boire sans la canaille.» Exclamation en écho à celle de Rimbaud : Elle est retrouvée l'éternité, c'est la mer allée avec le soleil. En voilà deux qui sont sur la même longueur d'onde ...

     

    Au revers de la face sombre d'Alceste l'atrabilaire, c'est le dévoilement solaire d'une face radieuse, celle d'Arthur R. qui tomba en amour de l'aube d'été.

    « Mon cœur où flambe mon été, mon court été, brûlant, mélancolique, heureux si heureux (überselige) : combien mon coeur-été aspire à ta fraîcheur ! (source de joie) »

     

    Associé à l'eau de la joie, il y a donc le feu du cœur. Et puis le discours continue dans le cosmique en évoquant l'arbre de l'avenir, donc implicitement la terre où il s'enracine, et enfin le vent : « Vrai, Zarathoustra est un grand vent sur tous les bas-fonds ».

    (Vraiment allez voir ce discours de la canaille, ça décoiffe!)

     

    Les quatre éléments, un peu comme dans le film de Luc Besson, entrent en synergie avec un cinquième. Quel est-il that is the question : comment me suis-je libéré, qui a rajeuni mon regard ? Pour l'instant ces questions restent sans réponse dans ce chapitre. Comment, qui, on ne sait pas. On ne voit que l'effet : la surabondance de joie que dit ce mot überselige.

    D'autres chapitres reviendront sur ce retournement, et nous ne manquerons pas d'en parler avec Zarathoustra (et avec Herr Doktor Freud, vous l'auriez deviné).

     

    Zarathoustra a donc gagné (de haute lutte) son pari : là où est vraiment la vie, la canaille est renvoyée à son néant. Et à cet endroit-là il a accédé.

    Ça c'est fait.

     

    Et maintenant : sa vie trouvée ou retrouvée, qu'est ce qu'on en fait quand on est philosophe, qu'est-ce qu'on en fait pour la cause de la sagesse ?

     

     

     

  • Le paradoxe d'Alceste

     

    « La vie est une source vive de plaisir ; mais là où la canaille boit aussi, tous les puits sont empoisonnés. » (Ainsi parlait Zarathoustra. De la canaille)

     

    Comment comprendre le mot canaille (Gesindel) ? Déjà franchement qui l'emploie aujourd'hui ? Les traducteurs ne se sont pas cassés, sauf leur respect. D'accord je n'ai pas mieux à proposer, ni rien à proposer du tout en fait. Racaille trop connoté. Pourri ? Salaud ? Vaurien ? Vulgaire ?

    En tous cas le terme renvoie à des spécimens de sales types dont le point commun est d'inspirer à Monsieur Z. un insurmontable dégoût.

    Canailles vauriens vulgaires sont les adeptes de la servitude volontaire, régis par le penser-petit et inauthentique qui insinue sa lèpre de moisissure dans le corps social. Bref la canaille est ce qui nous pourrit le vivre-ensemble.

     

    Alors qu'en faire ? Et damnation (ne jamais dédaigner un jeu de mots stupide). Zarathoustra fait un pari, moins métaphysique que celui de Pascal (quoique), mais nettement plus exigeant : de sa vie au moins, il décide d'exclure la canaille. « Et j'ai tourné le dos aux maîtres de l'heure lorsque je vis ce qu'ils appellent maintenant gouverner : trafiquer et marchander le pouvoir – avec la canaille ! »

     

    Parfait. Oui mais. La servitude volontaire pourrit le corps social, mais hélas du même mouvement le structure. Son refus implique donc marginalité.

    « J'ai vécu longtemps tel un infirme devenu sourd et aveugle et muet : j'ai vécu ainsi longtemps pour ne pas vivre avec la canaille au pouvoir, la canaille qui écrit et la canaille de la débauche. »

     

    Le Zarathoustra de Nietzsche illustre comme l'Alceste de Molière le paradoxe de la misanthropie. Si idéale est leur conception du lien social qu'il ne peuvent que rejeter la société réelle humaine trop humaine. Ils vivent alors dans la solitude et l'amertume : après tout, dira-t-on, c'est leur choix. Mais il est une autre conséquence, un corollaire au paradoxe d'Alceste : leur retrait, leur splendide isolement prive la société de l'énergie de ses éléments les plus fiables, les plus aptes à la faire progresser dans le bien commun.

     

    Si on en restait là, ce serait un sacré gâchis.

     

     

     

     

     

     

     

     

  • Zéro triche

    « Le pire ce sont les pensées petites. Vrai, plutôt avoir fait mal que pensé petit ! D'accord vous dites : 'le plaisir pris à de petites méchancetés nous en économise beaucoup de grandes'. Mais ici il ne faut pas vouloir économiser .»

    (Ainsi parlait Zarathoustra. Des compatissants)

     

    Houps ! Peut être que je pense petit, mais voilà des phrases à ne pas mettre dans toutes les oreilles, à mon humble avis. Genre le jeune qui se la joue rebelle et qui sautera sur l'occasion : au lieu de s'en tenir au petit plaisir de faire la gueule à ses parents ou à ses profs, il risque d'aller direct sur la grosse connerie, la violence crapuleuse et/ou idéologique qui fait tant de dégâts par les temps qui courent. Vous me direz avant que le jeune en question ouvre un bouquin de Nietzsche … (Voire ouvre un bouquin tout court, vu qu'il préfère aller se faire décerveler par le moins net du net …)

    Reste qu'il n'y a pas foule en ce bas monde pour songer à s'économiser côté méchanceté. Au contraire que de persévérance à dépenser sans compter ! Et sans trier : petites, grandes choses, pourvu que ce soit du mal des maux du mauvais ...

     

    Dans les phrases suivantes Zarathoustra précise ainsi sa pensée :

    «Voyez, je suis maladie – ainsi parle l'action mauvaise ; voilà qui est loyal de sa part. Mais la pensée petite est pareille à la moisissure : elle rampe et se tapit et prétend n'être nulle part - jusqu'à ce que le corps entier soit tout pourri et flétri de petits champignons. » (Beurk!)

    Autrement dit : « l'acte mauvais annonce la couleur (donc il a au moins un bon point pour lui, une forme de vérité), alors que la pensée petite fait dans l'hypocrisie ». Je crains que nous ne soyons ici dans une sorte de sophisme. Car, au regard de n'importe quelle pensée (petite grande bonne mauvaise), n'importe quel acte (petit grand bon mauvais) a forcément l'avantage d'être vrai. Vrai car dans la réalité. Alors que la pensée reste cachée tant qu'elle n'a pas été formulée, ou qu'elle n'a pas produit son effet dans la réalité.

     

    Bref ce qu'il y a de plus clair derrière ces déclarations aussi paradoxales que provocatrices de Zarathoustra, c'est juste sa haine du mensonge et de la dissimulation. On me dira c'est essentiel. Pas faux. Il y a en outre un point commun avec l'idée d'économie : le menteur se garde la vérité (tout ou partie) sous le coude, pour la manipuler à son gré, la rentabiliser le cas échéant, en faire un instrument de pouvoir.

    Et là, d'accord, Zarathoustra : c'est petit, c'est bas, c'est moisi, et ça pourrit tout.

     

    Au fait, une anagramme pour Zarathoustra de Nietzsche : Hâtez saut dans zéro triche.