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  • Fabuleux

    Où est le pouvoir des fables ? Pas dans leur morale banale, qui flirte avec les propos du café du commerce, chasse sur les terres de Monsieur de la Palice.

    Hélas on voit que de tout temps/Les petits ont pâti des sottises des grands (Les deux taureaux et une grenouille II,4).

    Tu m'étonnes !

    Selon que vous serez puissant ou misérable/Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir. (Les animaux malades de la peste VII,1).

    Objection ? - Non non, Votre Honneur !

    Il était expérimenté,/Et savait que la méfiance/Est mère de sûreté. (Le chat et un vieux rat III,18).

    Sûr. Quoique ?

    La ruse la mieux ourdie/Peut nuire à son inventeur,/Et souvent la perfidie/Retourne sur son auteur. (La grenouille et le rat IV,11).

    Pas faux non plus.

    Bref rien de nouveau sous le soleil. Et pas d'apport déterminant de contenu chez La Fontaine par rapport à ses devanciers, Phèdre Ésope et autres.

    « Fabulistes, philosophes, moralistes ont dit ce qu'il y avait à dire sur le plan éthique. Alors si l'homme ne progresse pas en humanité, c'est qu'il doit être décidément inéducable. » dit-il en substance.

    JLF n'est certes pas le seul en son siècle à ne pas briller par son optimisme, de Pascal à Racine en passant par Molière ou La Rochefoucauld. (On peut pas briller sur tous les plans) (Mais c'est pas une excuse.)

     

    Alors pourquoi écrire ? Vous, La Fontaine, pourquoi écrivez-vous ?

    Le monde est vieux, dit-on, je le crois ; cependant

    Il le faut amuser encor comme un enfant. (Le pouvoir des fables livre VIII,4)

    Verrons-nous là une pure et simple incitation au divertissement ?

    La fable en question dit une chose plus complexe et plus forte.

    Dans Athène autrefois, peuple vain et léger,/Un orateur, voyant sa patrie en danger se lance dans un discours politique hyper bien construit, avec argumentaire béton, style flamboyant. Tout le monde s'en fout.

    Alors il se met à raconter un conte pour enfants, une histoire de Cérès, d'anguille et d'hirondelle. Et d'un coup tout le monde est suspendu à ses lèvres, mieux, participe comme à Guignol :

    Et Cérès, que fit-elle ?

    Ce qu'elle fit ? Un prompt courroux/L'anima d'abord contre vous.

    Et là il se met à bien les casser sur le thème : vous vous sentez pas un peu minables, non, de vous intéresser aux faits et gestes de ces personnages fictifs plutôt qu'à la menace bien réelle qui pèse sur notre cité ?

    À ce reproche l'assemblée,/Par l'apologue réveillée,/Se donne entière à l'orateur :

    Un trait de fable en eut l'honneur.

     

    La fable a donc frayé passage à la vérité, en un détour paradoxal.

    Peut être aussi le moment de récréation a-t-il eu pour effet de réactiver les forces psychiques des citoyens, les rendant aptes à regarder en face la dure réalité.

    Du bon usage des fables, donc. L'ennui c'est que les gens qui fabulent, ça ne manque pas.

    Mais les grands fabulistes ...

  • Le maître des horloges

    On conte qu'un serpent voisin d'un horloger

    (C'était pour l'horloger un mauvais voisinage)

    Clair. Horloger ou pas, ça fait pas envie. On me dira y a des serpents inoffensifs, ça dépend si c'est une couleuvre ou une vipère.

    Ouais c'est vite dit. Perso j'aimerais pas, enfilant mes pantoufles, sentir un machin grouiller sous ma plante de pied. Ah ! Vous voyez !

    Cherchant à manger/ N'y rencontra pour tout potage

    Qu'une lime d'acier qu'il se mit à ronger.

    C'est là où le serpent a dû regretter de ne pas avoir squatté plutôt au voisinage d'une fromagerie. Qui dit fromage dit souris qui dit souris dit miam miam. Soit dit en se mettant dans la peau du serpent naturellement.

    Moi bouffer des souris je ne le ferai qu'en dernière extrémité genre retranchement dans galerie souterraine pour cause d'apocalypse nucléaire.

     

    Cette lime lui dit, sans se mettre en colère : (...)

    Tu te prends à plus dur que toi,/Petit serpent à tête folle (…)

    Tu te romprais toutes tes dents.

    Bon. Qu'une lime parle, pas de problème on est dans une fable : rien de plus cohérent avec le cahier des charges conte, imaginaire et merveilleux.

    Mais qu'elle soit aussi zen, alors ça c'est un scoop.

    Petit serpent à tête folle : limite maternel, non ? N'abuse pas des sucreries, mon petit chou, attention aux caries. Les limes je me les figurais jusqu'ici un peu plus mordantes.

    Quoique. La seule que je fréquente vraiment c'est ma lime à ongles, et il est vrai qu'elle est du genre à arrondir les angles.

    (Mais peut être n'est-ce qu'un vernis et devrais-je me méfier).

    Tu te romprais toutes tes dents./ Je ne crains que celles du temps.

    Et philosophe avec ça, cette lime ! Du coup à ce moment de la fable on se demande un peu où ça va, où La Fontaine veut en venir (et avant lui Ésope et Mathurin Régnier) (comment je sais les sources de La Fontaine ? C'est en note dans mon bouquin pour chaque fable).

     

    Ceci s'adresse à vous, esprits du dernier ordre,

    Qui n'étant bons à rien, cherchez sur tout à mordre (sur tout quoi?)

    Croyez-vous que vos dents impriment leurs outrages

    Sur tant de beaux ouvrages ?/Ils sont pour vous d'airain, d'acier, de diamant.

    Ah pigé. Le serpent c'est la criticature (langue de vipère, c'est cohérent). Et l'horloger un auteur qui construit une mécanique textuelle aussi précise que précieuse, aussi élégante que solide.

    Mais vous voyez, vous, à qui La Fontaine peut bien faire allusion ?

     

    PS : il s'agit de la fable Le serpent et la lime (livre v,16)

  • Exegi monumentum ...

    À ceux d'entre vous, lecteurs, qui par le plus grand des hasards seraient de ces hypersensibles écorchés-vifs semblables au pot de terre, voici de quoi penser et vous panser avec la fable intitulée Parole de Socrate (livre IV,17).

    Socrate un jour faisant bâtir,

    Chacun censurait son ouvrage.

    Ce dernier mot suggère le propos réel de La Fontaine derrière le récit. La baraque à Socrate il en a rien à cirer.

    Pour Phèdre chez qui il a trouvé l'histoire je sais pas, mais pour lui l'ouvrage en question c'est son oeuvre, ses écrits, en butte à toutes sortes de remarques plus ou moins pertinentes (cf Le bénéfice du doute)

    C'est logique : les critiques qui vous atteignent ne peuvent être que celles qui portent sur vos lieux d'investissement. Je ne parle pas d'investissement immobilier (quoique) mais bien d'investissement psychique.

    En l'occurrence les critiques sur la maison de Socrate sont ambiguës. "Chacun" le débine, certes, mais avec un argument béton possiblement positif : dans tous ses aspects la maison est indigne d'un tel personnage.

    Ambiguïté = verre à moitié vide ou à moitié plein.

    Socrate a alors le choix de son interprétation.

    Verre à moitié vide : ta maison est un trou à rat, mon pauvre Socrate !

    Verre à moitié plein : une maison si petite ne correspond pas à ton standing. N'oublie pas que t'es en première place dans le who's who des philosophes.

    Philosophe, oui, et pas moins psychologue, habile on le sait à accoucher la vérité, Socrate détecte derrière le compliment de façade un vice caché. Lequel ? Jalousie, bêtise, conformisme ? Peu importe à vrai dire.

    La maison est petite, c'est exact. C'est qu'elle est destinée à recevoir des vrais amis.

    Et vous savez quoi ? Côté petitesse et étroitesse, la maison elle est pas la seule, chers amis. Du coup pour des gens comme vous elle est encore bien trop grande.

    (Quand il s'y met Socrate il a pas peur de balancer).

     

    Le bon Socrate avec raison

    De trouver pour ceux-là trop grande sa maison.

    Chacun se dit ami ; mais fou qui s'y repose :

    Rien n'est plus commun que ce nom,

    Rien n'est plus rare que la chose.

     

    Y a des jours où La Fontaine est un peu amer.

    Et y a des jours on n'est pas si loin de le comprendre.

     

    PS : mon titre vient d'une phrase d'Horace (euh, je crois, en tous cas d'un grand poète latin) exegi monumentum aere perennius = j'ai construit un monument plus durable que l'airain.