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  • Un sacré mécanisme (1/7)

    « Nous affirmons que le religieux a le mécanisme de la victime émissaire pour objet. Sa fonction est de perpétuer ou renouveler les effets de ce mécanisme, c'est à dire de maintenir la violence hors de la communauté ».

    René Girard La violence et le sacré (1972)

    Je ne vous présente pas René Girard anthropologue et critique littéraire (1932-2015), il est dans Wikipédia. J'ai découvert en googuélisant qu'il y avait un footballeur du même nom. Enfin, un footballeur retraité : ces René Girard ne sont ni l'un ni l'autre nés de la dernière pluie.

    Si je vous parlais foot, sans doute vous captiverais-je davantage, mais j'y connais rien. OK c'est pas sûr qu'en anthropologie j'y connaisse beaucoup. Bon la critique littéraire c'est déjà un peu plus ma tasse de thé.

    Bref je ne sais pour le footballeur, mais le but du RG dont je vais vous parler est rien moins qu'expliquer tenants et aboutissants du fonctionnement de toute institution humaine à partir du principe du sacrifice religieusement ritualisé.

    Le rite sacrificiel découle (c'est le mot vu le contexte sanglant) d'un lynchage primitif. Cet événement a eu lieu pour de bon (ce n'est pas le mot, mais bon), il fait partie de l'histoire réelle des sociétés, mais il est recouvert d'une méconnaissance.

    On pourrait se dire que c'est ballot, mais non, cette méconnaissance « peut seule assurer au rite son effet de structuration sociale ».

    Ce lynchage mit un coup d'arrêt (et de massue avec) à la répétition interminable de la violence mimétique spontanée lors d'une baston généralisée dans la tribu ou quoi que ce soit. Comment ?

    En substituant à la réciprocité de la violence une unanimité violente par laquelle tout le monde se retrouve ligué (on sait pas trop comment) pour accomplir l'élimination d'une victime et une seule. Qui devient du coup The Victim, mythique et tout ça. Pourquoi ?

    Parce qu'au bout du compte c'est elle et elle seule que l'on va considérer comme responsable/maîtresse de la violence, vu que la baston a cessé avec sa mort. Or de concomitance à relation de cause à effet y a qu'un pas en mauvaise logique CQFD. A partir de là, le rite sacrificiel de la victime émissaire pourra servir de leurre efficace à la violence.

    Voilà le résumé de la thèse de René Girard. On peut en dire bien des choses vu qu'elle implique des tas de questions de tous ordres.

    Commençons simplement : si la phrase que je cite au début était de Desproges tout le monde rigolerait. Loufoque, non ?

    Heureusement que je ne suis pas du genre à faire dans le calembour vaseux, sans quoi je serais tentée de dire c'est une phrase loups-faux-culs. Style comment rester loups en (se) le masquant.

    Car m'enfin quand même « maintenir la violence hors de la communauté » en la mettant au centre d'un rite : un peu comment dire limite côté bonne foi.

    En tous cas par rapport à disons au hasard Spinoza, je trouve que ça fait petit bras. Ou plutôt « baissons les bras ».

  • Last but not least

    Vulnerant omnes ultima necat

     

    = Elles blessent toutes, la dernière tue.

     

    Disent parfois les cadrans solaires quand on leur demande l'heure.

    Sans blague ! Ils nous croient nés de la dernière pluie ?

    J'ai pas beaucoup de certitudes, mais celle d'être mortelle, celle-là on me l'enlèvera pas. Sans me vanter : même le plus con du commun des mortels jusque là il y va.

    Il y a même des cadrans solaires qui, histoire d'enfoncer le clou, vont jusqu'à afficher un sadique Ultima forsan (= la dernière peut être).

    Genre je dis ça je dis rien, regarde pas tout de suite, mais tu la vois l'épée de Damoclès au-dessus de ta tête ?

    Quoique sadique. Ça peut être un jeu. Alors on viendrait te dire qu'il te reste une heure à vivre : tu fais quoi ?

    Bon évidemment tout dépend de l'état. Mais admettons, toutes choses égales par ailleurs, qu'on dispose pour cette dernière heure de toutes ses facultés physiques et mentales.

    Vous avez des gens qui vous diront : je change rien à ce que j'avais prévu.

    Très zen. Ou très m'as-tu-vu genre admirez mon stoïcisme.

    Quoique stoïcisme. Moi qui ne suis ni stoïcienne ni zen (et Zeus sait si ça me gêne) je crois aussi que je ne changerais rien.

    La faute à mon tropisme sceptique : le temps de me demander quoi faire, l'heure serait passée. 

     

    Mais revenons à Vulnerant omnes ultima necat.

    Ultima necat, scepticisme ou pas, difficile de dire le contraire. Par contre vulnerant omnes ça se discute.

    Dans la vie il y en a, des heures qui blessent, amoindrissent, désamorcent l'énergie et éteignent la joie. Mais toutes ? Non ! Parmi les heures de notre vie, il y en a qui résistent encore et toujours à l'érosion, à l'entropie.

    Dans l'évolution du corps, même si la pente globale est descendante, il y a parfois un faux plat bon à prendre, voire une remontée plus encourageante.

    Quant au psychisme, s'il a une aptitude, c'est bien celle de cicatriser ses blessures. De parvenir à maintenir vaille que vaille sa petite flamme de joie de vivre. Étonnant, non ?

     

    Quoique. Pas tant que ça, finalement

    Le désir est l'essence-même de l'homme en tant qu'on la conçoit déterminée, par suite d'une quelconque affection d'elle-même, à faire quelque chose.

    (Éthique Partie 3, définition des affects, définition 1)

     

  • Le souffle de l'écrit

    « Verba volant scripta manent »

     

    = les paroles s'envolent, les écrits restent.

    Cette maxime a d'abord une acception juridique.

    Apposer son paraphe à un écrit, un contrat, engagera chaque partie, pour faire et valoir ce que de droit. Alors qu'affirmer Mais si, Machin m'a promis que, ça le fera déjà moins.

    Passage de la culture orale à la culture écrite, une étape majeure pour les sociétés. Elle a modifié les actes de la vie quotidienne. Actes publics surtout, comme dans le domaine juridique ou commercial, mais aussi actes privés (écrire une lettre).

    Elle a chamboulé les mentalités, les modalités (et ainsi le sens) des productions culturelles, du rapport au monde, à l'espace, au temps.

    Le mythique, commencé dans l'oralité, évolue vers l'écrit, fixant les structures sociales. Devenu religieux, il prescrit rites, préceptes, énoncés dogmatiques, à respecter à la lettre

    Quant à la science (mathématique, physique, mais aussi l'histoire gagnée sur le mythe), elle n'a véritablement lieu d'être que dans et par l'écrit.

    Construire un raisonnement scientifique, par le passage de l'hypothèse à sa validation, par la collecte empirique de données, nécessite un enregistrement précis et objectif des informations. L'écrit (mots, mais aussi langage au sens large, symboles, chiffrages) est à cet égard plus sûr que l'oral (même si les biais subjectifs existent toujours).

    L'écrit trace ainsi les contours, les limites, toute la géographie d'un territoire symbolique reconfigurant le réel.

    L'écrit est quelque chose qui reste, mais non sans combiner la permanence et l'évolution. La jurisprudence vient compléter le texte de loi. Même le texte religieux admet relectures et commentaires. Exemple le corpus talmudique issu de la Bible, et la relecture toujours ouverte, maintenant le souffle du texte, sa respiration.

    À l'inverse a lieu le meurtre du texte par étouffement dans le cas de lectures fondamentalistes et totalitaires qui le fétichisent.

    Parfois par névrose disons naïve, plus souvent de façon perverse au service d'enjeux politiques, du verrouillage du pouvoir. (Exemples superflus) (remarquons à ce propos que le meurtre textuel implique celui des humains) (logique infernale).

     

    Verba volant scripta manent  m'amène aussi à une autre idée. L'écrit permet de laisser trace de sa pensée ou ses actes, de la personne qu'on a été, du mode d'être au monde qu'on pratiqué, bref de son souffle personnel, son âme.

    Or si la matière persiste (nous sommes faits des particules du big bang), l'âme s'éteint avec le souffle de vie. Mais l'écrit peut lui ménager un second souffle, une seconde vie dans la mémoire des lecteurs.

    Exegi monumentum aere perennius : j'ai construit une œuvre qui, mieux que l'airain, traversera le temps, dit Horace.